XXII. Nous sommes des vainqueurs, première partie

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 Jal vérifia du coin de l’œil le nom de la place sur une plaque. C'était bien ici. Il avait tenu à venir seul. Il inspecta avec soin tout ce qui l'entourait, et repéra très vite le champ de tir. Par contre, il ne parvint pas à déceler la silhouette qu'il cherchait parmi les archers. Il s'approcha, en touriste, essayant de donner à son pas un air nonchalant. Il s'accouda à la barrière pour les détailler un par un, mais ils se ressemblaient tous, la tête rentrée, avec des casques et des vêtements souples. Seules quelques carrures différaient. Il se redressa, il allait contourner la barrière pour se faufiler parmi eux quand une main se posa sur son épaule. Légère et gantée. Une main d'elfe.

  • Humain Dernéant. Vous me cherchiez ?

 Il se retourna et inclina la tête. Évidemment, il ne l'avait pas entendue venir.

  • Elfe Hovandrell. Effectivement, enchanté de vous revoir.

 Elle ne souriait pas. Elle portait son arc à la main, les pennes de ses flèches dépassaient derrière son épaule, et elle enlevait son casque vert, laissant couler sur ses épaules une longue chevelure sombre.

  • J'aimerais que vous preniez part à une opération... en fait, j'aimerais que vous protégiez mes amies et moi. Vous connaissez le château de Ghyzdal ?
  • Non. Je connais très peu la ville.
  • C'est une demeure en ruines, au Ponant de Lonn. Nous devons nous y rendre pour découvrir le commanditaire d'un attentat, et nous apprécierions de bénéficier de vos talents.
  • Que ferez-vous si je refuse ?

 Son visage restait impassible, mais il perçut nettement la pointe de curiosité, qu'il connaissait si bien, dans ses pupilles fendues en croix. Il ne put retenir un mouvement d'agacement.

  • Nous irons tout de même. Je ne vais pas vous supplier. Il ne me dérange pas de prendre ce risque, mais ma cousine sera du nombre et je tiens à ce qu'elle coure le moins de danger possible. Cependant je saurai vous prouver que nous n'avons nul besoin de protection.

 Elle hocha la tête.

  • J'aime bien votre fierté et votre fougue, humain Dernéant. Elles sont presque dignes d'un elfe. Combien serez-vous ?
  • Trois, sans vous compter. Moi, ma cousine Liz, excellente magicienne, et la dame Lidwine Artanke, escrimeuse sans égale. Il y a probablement deux ennemis, dont l'un ressemble à un elfe, mais il est bien humain. Un certain Samuel.

 Il aurait juré vous le sang se retirer des joues de l'elfe Hovandrell, une seconde. Mais la couleur sombre de la peau des elfes ne lui permettait pas d'en être sûr. Elle opina sans autre signe de trouble.

  • Je suis prête à vous suivre. Vous avez confiance en mon habileté ?
  • Tout à fait. Au reste, je n'ai pas réellement le choix. Vous êtes la seule elfe qui accepterait de me prêter main-forte.

 Elle rangea son arc dans son dos, d'un geste dont il était aisé de voir qu'elle avait l'habitude.

  • Votre lucidité vous honore. Quand nous retrouvons-nous ?
  • Lors du lever de Merina, aux portes du palais.
  • Du château de Ghyzdal ?
  • Non, du palais de la ville. J'ai mon idée.
  • Très bien. Nous avons un accord, humain Dernéant.

 Elle retira son gant de tir et tendit une main fine.

  • Cette appellation me gêne, appelez-moi Jal, je vous prie.

 Il serra la main de l'elfe.

  • Si tel est votre souhait. Cependant, que cela n'encourage chez vous aucune familiarité.

 Il recula, toute l'image de la dignité blessée dans ses pupilles grises.

  • Pour qui me prenez-vous ? Être humain ne veut pas dire être un goujat !

 Cela ressemblait presque à un sourire en coin.

  • Décidément, pour un humain, vous êtes étonnant.

 Il inclina légèrement la tête.

  • Elfe Hovandrell, je prends cela comme un compliment.

 Elle le salua d'un geste de la main et s'éloigna de son pas aisé, plein d'une puissance tranquille. Il admirait cette assurance calme, cette confiance en soi, qui le rassurait sur l'avenir de ses camarades. Il répondit à son signe et tourna les talons, impatient d'apporter la bonne nouvelle à Liz et à Lidwine qui l'attendaient rue Batelière, chez la magicienne.


  Il toqua à la porte de la chambre de Liz, d'où s'échappaient des voix joyeuses. Elles s'interrompirent, quelques pas résonnèrent et la tête de sa cousine s'encadra dans l'ouverture.

  • Jal ! Alors ?
  • C'est bon.

 Elle recula pour le laisser entrer. C'était une petite pièce, chaleureuse et confortable, avec un lit de fer forgé couvert de tentures colorées, un écritoire dans le coin gauche, des rideaux aux fenêtres, un lustre au plafond, un bougeoir sur la table de nuit et un tapis erdentin sur la plancher. Il y avait même des patères où pendaient le manteau brun de Liz et la capeline violette de Lidwine, qui, dans sa merveilleuse robe rouge, attendait assise sur le lit.

  • Je vais vous expliquer. Je ne voulais pas vous donner de faux espoirs, mais à présent, nous avons de l'aide. Je vous ai peut-être parlé de cette elfe qui a gardé généreusement la porte de la maison des brigands, juste avant leur arrestation ? Elle se nomme Hovandrell, et à ce moment-là, elle m'avait proposé son aide au besoin. Elle a accepté de nous couvrir de son arc pour ce soir. Êtes-vous prêtes ?

 Liz leva les mains et sa puissante magie y flamba, dessinant des couronnes de flammes.

  • Prête !

 Lidwine dégaina Devra, si vite qu'il eut à peine le temps d'entendre le son de la lame, et la tendit devant elle comme pour un serment d'allégeance.

  • Plus que prête, renchérit l'escrimeuse, farouche. Simplement, je crois que je ferai mieux de revêtir une tenue plus discrète.
  • Bonne idée. Rendez-vous au lever de Merina, à la porte du palais royal.

Elle hocha la tête.

  • J'y serai.

 Elle rengaina son épée, remit sa capeline et considéra ses deux alliés ; ses yeux de pierre précieuse prirent l'acuité de sa lame.

  • Ce soir, messager et magicienne, nous allons tenter quelque chose de grand, de dangereux. Nous allons désobéir à un ordre clair en toute connaissance de cause et prendre un risque énorme. Et pourtant, vous savez quoi ? Je me sens confiante. Ce soir, mes amis, nous saurons ou nous mourrons.

 La porte claqua derrière elle. Jal inspira et regarda Liz.

  • Nous saurons.

 Elle ne paraissait pas avoir peur. A nouveau il se sentit regonflé par le courage qui l'entourait. Oui, ce soir, il s'attendait à tout, mais il avait confiance. Il cligna de l’œil et concentra ses forces pour faire jaillir une minuscule étincelle de magie dans son claquement de doigts.

  • A nous tous, nous ne pouvons pas perdre.
  • J'aurai aimé que Vivien soit là.

 Il s'approcha d'elle et posa une main sur son épaule.

  • Tu es la sœur de Vivien. Je suis son cousin. Nous aussi, nous sommes des vainqueurs.

 Elle sourit de toutes ses dents et acquiesça.

  • Des vainqueurs.

 Il remit son chapeau et quitta la salle.

  • A ce soir.

 La porte se ferma derrière lui.

  • Oui, de foutus vainqueurs, murmura-t-il pour lui seul, avant d'entamer la descente de l'escalier.

 Il marchait dans la rue, perdu dans ses pensées, en direction de sa petite chambrette, quand les cloches du palais sonnèrent. Il s'attendait à ce qu'elles sonnent l'uchronie, mais il s'aperçut vite qu'il se trompait : les cloches ne cessaient pas de sonner, et avec un son plus bas, grave, presque menaçant. Il obliqua vers la grand-rue pour avoir une vue sur le palais, et s’aperçut que tout le monde faisait de même.

  • Que se passe-t-il ? demanda-t-il à un homme qui avait lâché ce qu'il portait pour courir là-bas.
  • C'est le tocsin, il se passe quelque chose de terrible au palais !

 Jal lui emboîta le pas, curieux et inquiet. Des cohortes entières de soldats de la garde convergeaient vers le palais. Mais Jal, de là où il était, vit les hautes grilles de la cour se refermer peu à peu. Lorsqu'il arriva devant, la garde prenait position dans la cour et entrait en formation par les larges portes. Hendiad Londren bloquait le passage par la porte.

  • Calmez-vous, n'entrez surtout pas. La garde s'occupe de tout.

 La foule s'amassait et criait des questions.

  • Que se passe-t-il ?
  • Une nouvelle victime parmi les mages, lâcha le capitaine, un pli soucieux sur le front. La garde sécurise le palais. Toutes les autres opérations sont suspendues ; la priorité absolue de la garde devient de retrouver le criminel qui vient d'assassiner la mage Flora Hechid.

 Jal reçut un coup au cœur en entendant ce nom. Flora avait été une des plus compréhensives lors de sa plaidoirie dans la salle des secrets. D'un autre côté, cela signifiait que la garde ne surveillerait pas le château de Ghyzdal ce soir. D'ailleurs, était-ce réellement une coïncidence ? Peut-être les mêmes agents de la Chape avaient-ils assassiné la mage pour faire diversion et pouvoir se retrouver ce soir en toute tranquillité. Flora assassinée... Il leva les yeux au ciel et murmura :

  • Puisse-t-elle rejoindre les Lunes en paix.

 Hendiad parut le repérer parmi la foule et le regard d'acier qu'il lui jeta ressemblait à un avertissement. Jal baissa la tête, exactement comme s'il acquiesçait, mais sa détermination ne vacilla pas une seule seconde.

  • Le roi est-il en danger ?
  • Sa Majesté Oswald a été exfiltrée par la garde et est en sécurité.

 Le capitaine tourna les talons et dégaina son sabre pour intégrer la formation qui encerclait la porte. Jal en avait suffisamment entendu. Il quitta la foule qui cherchait à apercevoir l'intérieur et reprit le chemin de son logement.

 Pourraient-ils accéder à la porte arrière du palais qu'il se proposait d'utiliser pour quitter la cité du bon côté ? Il faudrait peut-être trouver un autre passage. Une fois arrivé chez lui, il passa l'uchronie suivante à polir et aiguiser Valte avec soin. L'appréhension et l'excitation du futur combat se mêlaient dans ses veines à l'avance. Il jeta un coup d’œil par sa fenêtre. Par-dessus les toits, Loano s'élevait. Elle serait bientôt suivie de Merina, la lune de Lidwine, qui annoncerait leur rendez-vous. Il était temps.

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