XXVII. Là-bas, loin devant...
Un léger rayon de soleil caressa les remparts de la ville. Il jetait un œil par-dessus l'horizon. Lentement, paresseusement, il glissa sur les pierres, filtra par les créneaux et inonda les toits de Lonn. Il joua un moment sur les ardoises, rebondit sur les fenêtres les plus haut placées et fit miroiter la girouette au sommet des tours du palais. Peu à peu il monta et sa lueur s'étendit. Ses sœurs les Lunes l'avaient prévenu qu'un destin exceptionnel prendrait un tournant aujourd'hui. Il recouvrait donc de sa lueur toute la surface pour dénicher ce fameux destin. Sa recherche se heurta à un volet fermé, dans une rue excentrée ; il envoya son rayon le plus fin s'insinuer dans la fente de la fermeture. Le rai de lumière transperça l'espace de la chambrette et tomba précisément sur le visage endormi d'un jeune homme bien découplé, étendu sur un lit à demi défait, avec des cheveux bruns en bataille. Un sac de voyage reposait au pied du lit, un ceinturon garni d'une épée qui brillait à l'autre extrémité du rayon matinal gisait à côté d'un chapeau à plume blanche posé sur une table de nuit sommaire. Deux yeux gris perle s'ouvrirent d'un seul coup. Une détermination sereine et inébranlable s'installa aussitôt sur ce visage.
Puis le corps commença à bouger, une main étalée sur la couverture se leva pour rejeter en arrière les cheveux indisciplinés ; le jeune homme se tourna et posa ses pieds au sol, parcourant sa chambre d'un regard étourdi. Il alla au volet et l'ouvrit en grand, permettant au soleil d'inonder complètement le plancher. Un reflet sur la garde de son épée attira son œil et, avec une sorte d'urgence calme qui s'emparait de tous ses mouvements, il retourna à son lit et s'équipa entièrement. Il caressa l'écusson attaché à la fermeture de sa cape et fit jouer l'épée dans son fourreau. Avec une respiration profonde qui dénonçait sa farouche volonté, il jeta un dernier regard à la chambrette à présent vide et descendit à l'étage inférieur.
- Bonjour, messager Dernéant. Avez-vous bien dormi ?
- Aussi bien qu'il est possible, merci.
Son hôtesse hocha la tête.
- Adieu, messire messager. Bonne chance.
- Adieu, et bonne continuation.
Il salua et le messager nommé Dernéant sortit dans la rue venteuse. Le soleil n'avait pas encore atteint le sol entre les bâtiments, il faisait frais et la rosée matinale perlait sur le moindre pavé. Le jeune homme s'efforçait de ne pas glisser. Il se dirigeait dans une direction précise, à croire que rien ni personne ne pouvait entraver sa marche. Son sac lui battait la hanche, il le déplaça d'un geste encoléré et releva son col pour se protéger du vent glacé. Des pas pressés et légers coururent derrière lui, des pas qu'il connaissait bien. Il ne se retourna pas mais sourit.
- Je t'ai entendue.
Une tape prévisible s'écrasa à l'arrière de sa tête. Il se retourna et immobilisa le bras de sa cousine.
- Moi aussi, je suis content de te revoir.
Elle insuffla la magie dans sa main, maintenue à quelques centimètres du visage du jeune messager. Il eut à peine le temps d'ouvrir des yeux effrayés avant qu'un jet d'eau ne s'y écrase et qu'un rire musical ne retentisse.
- Liz !
Il s'essuya de sa manche. Sa cousine le regardait, les yeux pleins d'étincelles, avec ce sourire moqueur qui faisait son charme. Elle portait son épais manteau brun et ses cheveux noirs noués par un ruban. Le messager aperçut alors derrière elle la silhouette haute de Lénaïc, enveloppé dans un manteau beige laissant apparaître sa toge bleue d'étudiant. Il haletait et se courba sur ses genoux sitôt qu'il put s'arrêter à leur niveau. Il avait probablement essayé de suivre Liz dans sa course effrénée... Il releva la tête et essaya d'articuler :
- Bon...jour... me...sager... Jal...
Son souffle créait de la vapeur dans l'air froid.
- Liz... je... vais...te...tuer...
La désignée leva le menton d'un air vainqueur.
- Essaie, je t'attends !
Jal terminait de sécher les pointes de ses mèches qui tombaient sur son front.
- Tu sais combien elle est redoutable... Si tu veux la tuer, au moins ne l'avertis pas !
Il éclata de rire, perdant à nouveau son souffle.
- Au fait, bonjour, Lénaïc, nota Jal en reprenant sa marche une fois qu'il fut remis.
- Vous vous sentez comment ? s'inquiéta le médecin en lorgnant vers son convalescent.
- Niveau physique, très bien, lâcha Jal.
Liz perdit son sourire ; elle venait de se souvenir.
La porte de la ville apparut devant eux, fermée encore. Les gardes de la ville commençaient à tourner les grandes poulies pour les ouvrir ; les chaînes grinçaient et se tendaient laborieusement. Les deux immenses battants reculaient lentement vers l'extérieur et finirent par claquer contre la muraille. Jal accéléra le pas. Son cerveau tournait à vive allure, mais il ne le montrait pas. Ses yeux fouillaient les rues alentour, aigus et fébriles.
Je finis toujours par arriver...
La voix de l'escrimeuse lui chuchotait cette phrase à l'oreille en boucle. Il se retourna pour la quinzième fois, et lorsqu'il redirigea son regard vers la porte de la cité, elle se dressait à quelques pas devant lui.
- Lidwine !
Il réprima cet élan d'allégresse qui l'avait fait presque crier pour se racler la gorge bruyamment et parler normalement.
- Heureux de vous voir.
- Moi aussi, mon cher chevalier.
Elle portait sa robe blanche à arabesques grises, aux manches profondes doublées de rouge, Devra au côté bien entendu, sa houppelande rousse raccommodée et les cheveux attachés coulant sur son épaule droite, sous la capuche relevée. Elle ne souriait pas. Ses yeux le sondaient, inquiets, tristes, confiants, affectueux, tout cela à la fois. Jal essaya de lui sourire mais ses lèvres pesaient trop lourd et écrasèrent sa crédibilité. Par réflexe, il serra sa main autour de son avant-bras, là où la rune devait briller. Lidwine surprit son mouvement et ses traits parurent se détendre fugitivement, mais le souci barrait toujours son front.
- Tu es prêt, j'imagine, en termes de matériel et de forme physique, mais te sens-tu prêt ?
Jal réfléchit une petite seconde, le regard braqué vers les pavés.
- Je crois. D'une part, je n'ai pas le choix. J'ai une mission urgente. D'autre part, je sens au fond de moi qu'il faut que je bouge, et surtout que j'entreprenne enfin quelque chose. J'ai eu mon titre de messager, mais ce voyage sera mon sacre. J'ai envie de cesser de fuir et d'affronter ce danger... que vous sentez tous rôder autour de moi, n'est-ce pas ? Il faut que je vous en débarrasse. Je suis obligé de partir, j'en ai envie, et j'y suis prêt.
Il la regarda, droit dans les yeux cette fois.
- La seule chose à laquelle je ne suis pas prêt, c'est de te quitter.
Il promena son regard sur Liz et Lénaïc.
- De vous quitter tous.
Personne ne répondit ; que dire ? Quelque chose leur serrait le cœur. Ils marchaient à présent en pleine lande, vers l'élevage de Temha. Lidwine connaissant le mieux la route, elle guidait le groupe, ce qui évitait à Jal de devoir lui parler. Il n'aurait pas su quoi dire. Il partait ! Il ne savait pas quand il la reverrait ! Que lui dire à ce moment-là ? Allait-elle aborder le sujet de la nuit des feux d'artifices, au moment des adieux ? Serait-il pire qu'elle n'en parle pas du tout ? Combien passerait-il de temps à remuer cette question insoluble dans sa tête ? Il regarda sa cousine qui marchait derrière lui, les mains blotties dans ses manches, le regardant avec un petit air de malice sous son affliction. Que cachait encore la princesse des sorcières ? Jal réussit à sourire cette fois, du coin de la bouche, avec la même malice. Lui aussi avait une surprise pour elle.
Ils entrèrent dans la cour de l'élevage alors que le soleil réchauffait enfin l'air ambiant et qu'ils retiraient leurs capuches. La plume du chapeau de Jal palpitait au vent. L'éleveuse descendit vers eux.
- Bonjour, mademoiselle messagère, mademoiselle, messire messager, magicien ! Puis-je vous aider ?
- Je suis Jal Dernéant, je viens chercher ma monture.
- Voulez-vous me rappeler son nom ?
- Phakt.
- Très bien, attendez ici, j'arrive.
Elle disparut vers les écuries. Jal se retourna vers ses amis. Ils étaient trois, là, en face de lui, à le regarder avec intensité.
- Liz, j'aimerais que tu serves de relais entre Vivien et moi en ce qui concerne les messages, puisque tu es la seule à être fixe à présent... Il ne saura pas que je suis à Kimkaf, tu pourras me rediriger ses messages. Je te tiendrais au courant de mes déplacements.
- Je m'en occupe. Je peux aussi les rediriger pour vous, Lidwine...
- Allons, Liz, tu peux cesser de me vouvoyer ! Mais j'accepte cette excellente idée avec joie.
Lénaïc hocha la tête.
- Je peux aussi m'en charger si Liz est trop prise par ses études.
- Oh, mais c'est vrai ! J'espère que ta première journée s'est bien passée !
- Je vous... je te raconterai ça, ne t'inquiète pas. Je te raconterais aussi quelques secrets sur Jal, si tu veux...
Elle cligna de l’œil à son cousin, qui hésitait à s'offenser. Lidwine afficha un sourire gourmand.
- Pourquoi pas... Je ne doute pas qu'il y en ait beaucoup dans cette tête trop curieuse !
- Tu n'imagines même pas...
Jal interrompit cette conversation qui prenait un tour dangereux pour lui.
- Je vais chercher mes affaires, je les ai montées hier.
- Je vais t'aider, dit Lidwine, brusquement ramenée dans l'optique du départ de son ami.
Lénaïc se proposa aussi, empressé. A trois, ils n'eurent aucun problème à transporter et entasser là, dans la cour, les quelques bagages du messager. Il chercha dans son sac à bandoulière une carte du royaume de Lonn et l'étudia pour se donner une contenance et retarder le moment de leur parler. Liz posa d'autorité un objet sur la carte devant son nez.
- Essaie avec ça.
Il la fixa avant de regarder sa main. Elle souriait, avec au fond des yeux ce petit éclat moqueur et attentif qu'il connaissait si bien. Il lui sourit et baissa les yeux. Elle venait de poser là une chaîne où pendait un boîtier d'or, rond, gravé de motifs entrelacés symétriques, superbe, avec un petit bouton sur le dessus. Il l'enfonça. Dans un son d'engrenages métalliques, le couvercle se souleva et révéla une boussole sur un cadran noir à graduations, avec une fine aiguille ouvragée pointant vers le Septentrional. A l'intérieur du couvercle, une fleur séchée de minevrine avait été insérée sous une lentille de verre. Jal admira la finesse de l'ouvrage et le referma dans un petit bruit sec.
- Princesse sorcière, je n'ai jamais vu de boussole aussi magnifique. Elle me servira tous les jours et tu peux avoir la certitude que je penserai à toi. Ils vont tous être jaloux !
- C'est vrai, ça te plaît ?
- Tu plaisantes ? C'est un bijou, je ne la mérite pas ! Ma championne magique me montre le chemin désormais, je n'ai plus peur de rien.
Elle jeta ses bras autour de son cou.
- Je ne veux pas que tu te perdes.
- C'est bien parce que ta vengeance est redoutable, mais d'accord, essaya-t-il de plaisanter pour refouler les larmes qu'il sentait monter dans sa gorge.
Il la reposa au sol et fit un clin d’œil.
- Moi aussi, j'ai un petit quelque chose à t'offrir. Ça fait pâle figure après cette merveille, mais...
Il fouilla dans son sac et trouva une petite bourse de cuir, qu'il ouvrit, puis déploya devant elle un lien qui supportait, en manière de pendentif, une minuscule fiole de verre attachée par un nœud autour du goulot, bouchée par un morceau de liège, et dans laquelle oscillait un liquide cristallin. Liz éleva le pendentif au niveau de ses yeux.
- C'est de l'eau pure de la source du Rivent. On raconte qu'elle éloigne les ennuis. Comme ça, moi aussi je veille sur toi.
- Oh, merci Jal !
Elle glissa le collier autour de son cou. La fiole reposait sur son col et captait la lumière rasante. Liz sourit et y fit jouer les reflets ; le verre inégal et l'eau projetaient un arc-en-ciel sur sa peau. Lénaïc l'admirait béatement. C'est alors que Mme Temha arriva avec Phakt au bout d'une longe. L'ordimpe avançait d'un pas souple et puissant, ses yeux bronze braqués sur lui, à la lueur presque malicieuse.
- Voici votre monture, messire messager.
Il savoura ce titre enfin conquis et s'approcha pour glisser ses mains dans la fourrure roussâtre et épaisse de Phakt.
- Merci beaucoup, madame.
L'éleveuse s'inclina et régla le harnachement dont elle l'avait équipé, puis se retira. Jal se retourna et se chargea de déposer ses paquets sur le bât, attachées sur les côtés de la selle. Ses amis vinrent spontanément l'aider, affligés soudain de se souvenir de son départ. Lidwine se tenait juste à côté de lui, l'aidait à serrer les sangles et à fixer les sacoches. Leurs mains se frôlaient régulièrement et ils semblaient se forcer tout deux à s'éviter du regard. Jal brûlait de lui parler, de rompre ce fichu silence et de lui poser la question fatidique. Il n'osait même pas jeter un œil de côté pour voir l'expression de son visage. Ce fut rapidement fini et il prit une profonde respiration en reculant d'un pas. Le temps des adieux était venu.
Il prit son courage à deux mains et se retourna franchement vers elle. Il le regretta aussitôt. Elle le fixait, le regard profond, grave, ses traits délicats exprimant simplement un regret infini. Il sentit son courage fléchir et s'amollir très vite. Son regard vert l'appelait, l'aimantait ; il tentait de résister. Elle eut un léger sourire triste avec un je ne sais quoi d'engageant, comme si elle savait la tentation qu'elle provoquait. Il déglutit et sans pouvoir s'en défendre, fit un pas en avant. Lidwine lâcha ses bras qu'elle tenait croisés et parut un peu surprise, un peu moqueuse, mais surtout satisfaite.
- Jal !
Liz passa sous l'encolure de Phakt et se glissa entre l'ordimpe et Lidwine. Le magnétisme vibrant de l'air s'évapora instantanément et Jal se détendit pour venir serrer sa cousine dans ses bras.
- Cet ordimpe est magnifique, il prendra soin de toi. Ne fais pas de bêtises.
- C'est encore moi l'aîné, Princesse des Sorcières. Prends soin de toi. Et rappelle-toi que tu entendras parler du messager Dernéant.
- Je n'en doute pas. Jal, tu vas tellement me manquer !
Elle manquait de sangloter. Il recula et tint ses épaules.
- Tu vas me manquer aussi, Reine magicienne, mais ne t'en fais pas, on se reverra ! Je ne pars pas si loin ! Et puis on s'enverra beaucoup de lettres. Je veux tout savoir. Ne crains rien, les Dernéant seront vainqueurs.
- Au revoir, chevalier Tête de Trandine, découvre tout ce qu'il y a à voir.
- Je te raconterai, promis.
Elle hocha la tête, sourit et s'essuya les yeux de la manche. Lénaïc lui prit l'épaule.
- Messager Dernéant...
- C'est à moi de vous remercier, mille fois et mille encore, Lénaïc Fauxoll. Vous m'avez sauvé la vie et je n'ai pas réglé cette dette. Je n'aime pas les dettes et soyez certain que celle-ci ne sera jamais oubliée. Vous prenez la route d'un médecin brillant, mon cher. Et vous avez montré votre courage. Je vous confie Liz, puisque vous seul restez.
- Je n'ai pas besoin d'un gardien ! protesta vaguement la magicienne.
Jal se contenta de lui tirer la langue.
- Je crois que votre carrière ne prend pas un tour moins brillant que la mienne, chevalier. J'ai pu apprécier votre force d'âme et votre courage, et je resterai toujours très honoré de vous connaître et d'avoir été un temps votre maître de bibliothèque. J'espère sincèrement que vous trouverez un remède à cette magie défaillante. Quand à Liz...
Il sourit avec effort et se tourna vers elle.
- Je vous promets que je ferai tout pour lui rendre la vie à Lonn la plus agréable possible. Comptez sur moi pour la défendre.
Le messager eut un sourire entendu.
- Je n'en doute pas. Merci et bon courage pour vos études, Lénaïc ; vous méritez le succès le plus absolu, j'en suis convaincu.
- Merci, seigneur.
- Allez-vous cesser de m'appeler ainsi ?
Le magicien haussa les épaules en souriant. Jal se tourna vers Lidwine. Le moment terrible.
- Au revoir, demoiselle messagère. Je suis persuadé que nous nous reverrons bientôt.
- La Longarde est grande...
- Et notre détermination est infinie. Nous nous reverrons.
Elle quitta son air affligé et sourit adorablement.
- J'attendrais ce jour.
- Flatté, dame, dit-il en s'inclinant.
Mais son sourire sonnait faux. Il chercha ses yeux en se redressant et y lut plus de tristesse que son expression ne le laissait supposer.
- Tu vas beaucoup me manquer, messager.
- Toi aussi, escrimeuse de génie. Mais j'ai un souvenir...
Il effleura son bras marqué. Elle sourit et dégaina Devra pour la tendre, pommeau vers le ciel, devant lui.
- Mon escrime portera ton empreinte.
Il posa sa main sur le pommeau et elle posa la sienne par-dessus.
- Dans tous tes combats, je te soutiendrai en esprit.
Elle la lâcha et rangea l'épée. Jal se retourna vers l'ordimpe et posa sa main sur la fourrure comme s'il s'apprêtait à monter, attendant qu'elle se décide à parler, les oreilles aux aguets. Il fut récompensé par un léger soupir.
- Jal... -Oui ?
Elle le serra contre elle d'un seul coup. Surpris par sa poigne, il laissa échapper un petit rire qui s'étouffa rapidement dans son émotion. Elle posa son menton sur son épaule et murmura :
- Tu sais cacher des messages dans les mots, chevalier.
Une effervescence de joie emplit sa poitrine sans barrière ; elle avait deviné ! Il maîtrisa avec effort le ton de sa voix pour lui répondre à mi-voix.
- Et tu sais les déceler, messagère.
- Oui, je sais.
Il allait reculer, mais les mains fermes de la demoiselle saisirent son col et elle le souleva presque pour poser ses lèvres sur les siennes. Emporté par une sorte de délire, Jal la saisit aux épaules et l'embrassa plus longuement. Elle ne protesta pas ; elle répondit après une courte seconde de réserve, plus vigoureusement encore. Une de ses mains se posa sur son cou.Il se sentait trembler. Un fine main entoura son dos. Il avait la sensation extraordinaire que quelque chose se propageait dans tous son corps à partir de sa bouche, comme si chacune de ses cellules s'imprégnait de ce qu'elle exhalait.Toutes les fibres de son corps portaient ses couleurs.
Jal entendit une toux insistante et recula soudainement. Lidwine surprise écarta son bras pour recoiffer sa chevelure maladroitement. Le messager, encore enflammé, s'inclina devant elle et baisa sa main avec dévotion. Il crut un instant qu'il ne parviendrait pas à la lâcher. Le simple contact de sa peau le maintenant dans une ivresse difficile à maîtriser.
- Ce fut un honneur, dame Artanke. Que Merina vous garde et vous protège.
- Jal, tu seras en danger, mais je sais que tu es trop fier pour l'admettre. Aussi je prie toutes les Lunes de veiller sur toi, et te souhaite de survivre. J'attendrais le jour ou nous nous reverrons avec impatience.
- A un jour prochain, donc, Lidwine, ma chère...
Son cœur battait jusque dans sa gorge ; il lançait une perche à la dame.
- Votre très chère, j'espère ! A un jour le plus prochain possible, Jal, mon chevalier. Portez-vous bien.
Elle recula d'un pas et il grimpa sur Phakt pour masquer le déferlement d'émotion qui risquait d'altérer ses traits. Il parcourut du regard ses amis rassemblés là, respira profondément.
- Kimkaf, hein ? A nous deux.
Une sorte de sourire gourmand, presque carnassier, monta aux lèvres du messager. Le monde ne perdait rien pour attendre. Liz tapota son genou.
- Au risque de recycler une formule, ne t'avise pas d'avoir des problèmes, où tu auras affaire à moi.
- Je m'en charge, magicienne victorieuse. Je m'en sortirai pour te voir devenir mage, promis.
Elle acquiesça et recula pour la laisser passer. Il plongea son regard dans celui de Lidwine en hochant la tête, sous le chapeau, puis adressa un signe de la main à Lénaïc. Lorsqu'il se redressa, un vent frais agita la plume de son chapeau et joua avec ses cheveux.
Un vent plein de sons et de parfums, un vent qui venait du plus profond de l'horizon et des quatre points cardinaux, un vent qui chantait des pays lointains, des voyages et des découvertes, un vent qui lui prenait la main, l'entraînait au loin.
Déjà il ne voyait plus ses amis, il ne voyait plus les murs de l'élevage, ni même la lande.
Il voyait là-bas, loin devant, l'aventure.
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