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 Frrt ! Frrt ! Pschhhcht ! C’est bon, ça s’éclaircit. De pire en pire par ici, pas un endroit correct où nicher. Quelle nuit encore ! J’en ai mal à la patte de me tenir sur cette branche. Retour aux arbres : j’y crois pas.

- Germaine ! Germaine ! Secoue-toi la plume, on va rater le vieux.

- Laisse-moi. Ton vieux, il jette trois miettes à moitié moisies. Je viendrais pour le petit blond.

- OK Chérie, comme tu veux. Je file !

 Ouh, un peu rouillé moi ! Après, allez essayer de prendre votre envol au milieu d’un arbre. Pourri le spot. Moi, j’suis un gars des balcons. Des grands espaces. Alors, il est où mon vieux ? Il fait quoi ? En retard, en retard ! C’est bon ce petit vent de Sud. Presque chaud, ça me détend le croupion. Ah, le voilà. Il a pris par la rue de l’autre folle d’Aglaé. J’espère qu’elle lui pas déjà tout quémandé. Vieille pie. Hop, vol d’approche. Petit virage à gauche, on rentre les ailes et… waouh ! Super atterrissage de Raymond le pigeon ! Bon tout le monde s’en fout. Toujours pareil, les pigeons on les calcule pas. Il a quoi mon vieux aujourd’hui ? Pourquoi il ne me regarde pas. Putain, si même le vieux il ne me regarde pas, je remballe et je vais bouffer du grain à la sortie des usines. Ah, si. Il s’approche. Gonfle le poitrail mon gars, l’œil vif, sautille gaiement. Les vieux, ça aime les pigeons jeunes et fort. Bien fait de me faire ce bain de vapeur à la sortie du Mac do hier. L’huile, y’a pas à dire, y’a pas mieux pour se lustrer la plume. Voilà.. sors ta main de ta popoche et jette moi le…

- Freet, Pshiii! Pschii!

 Il est tombé.

 Mon vieux est tombé là, dans la rue. Devant moi. Mon pain. Mon pain moisi ! Coincé dans sa poche. Putain, j’ai la dalle. Bon, il se relève ? Y’a quelqu’un qui veut bien relever mon vieux que je puisse becqueter ?

 La mère là, elle arrive avec sa gosse. Hein? Qu’est-ce qu’elle fait? Pas possible. Elles traversent la rue. Mais ton école, elle est de ce côté gamine ! Pourquoi tu changes de trottoir juste à l’endroit où mon vieux est tombé ?

 Là, c’est bon. Des congénères avec le toutou. Il renifle ? Il ne va pas bouffer mon pain quand même. Oh, le viok ! Tiens ton clebs, il est à moi ce quignon. Ils se barrent. Des cons de la même génération. T’as froid le vieux ? T’es mort ? Voyons, je m’approche… Non, tu fais un petit nuage de fumée avec ton nez. Bon t’as l’œil un peu parti, mais t’es encore là. T’es sûr que tu pourrais pas sortir ta main de ta poche, juste le temps de me donner ce pain ?

 Ok, j’exagère. J’ai faim quand même.

 Ouh là, attends je me pousse. Des trottinettes en approche. J’suis plus tout jeune non plus, je remonte sur le lampadaire. Tiens, voilà ma Germaine.

- Ben tu fais quoi là ? Tu joues à la mouette ?

- Il est tombé et personne le relève. Il allait juste me donner le pain.

- Tu viens pas au blond ?

- Je sais pas, je voudrais pas me faire doubler sur ce plan.

 Le soleil chauffe bien maintenant. Je vais en profiter pour faire un peu de toilette, j’ai quelques poux qui traînent. Il fait quoi ? Toujours là, étendu. J’ai l’impression de voir un pigeon mort. Tout le monde passe à côté, personne ne le voit. Pourtant, il est quand même bien plus gros que moi. Ils ne vont pas le laisser là, si?

 Si.

 J’ai pas bouffé de la journée.

 Le vieux est au sol, tout le monde s’en fout; mon pain moisi est dans sa poche, tout le monde s’en fout. C’est quoi cette odeur? Oh je rêve, l’autre avec son caddie surprise. Sacavin. Enfin une bonne nouvelle. Lui, il a toujours des vieux bouts de sandwich qui tombent. A table!

 Il s’arrête. Il s’arrête ? Il ne va pas lui piquer mon pain quand même, c’est pas une poubelle mon vieux, pas la peine de le fouiller ! Il prend son téléphone. Il appelle. Oh, il a trouvé mon pain !

 On est bien là tous les trois. Sacavin, mon vieux et moi. Voilà l’ambulance. Il ne fait plus sa petite fumée, mon vieux.

 Je crois que c’est fini le pain moisi.