Espoir
L'agitation est à son comble au troisième étage de l'hôpital Sainte-Mangouste. Après des mois de recherches, de travail et de reconstitutions acharnés, c'est aujourd'hui que Drago et Hermione ont décidé de mettre à l'épreuve les souvenirs reconstitués de Jonathan et Edith Granger.
Hermione n'a rien caché de ses intentions au personnel en charge des soins de ses parents. Ce matin, elle est arrivée à l'hôpital, sa besace remplie des précieuses fioles de filaments argentés, et elle s'est contentée de déclarer :
– Il existe peut-être un nouveau remède pour venir en aide au mal qui frappe mes parents. Nous allons mettre le protocole en place immédiatement.
Aux questions pressantes – et stupéfaites – de ses collègues, la jeune femme n'a apporté que des réponses brèves, décrivant en quelques phrases le très long processus de recréation de souvenirs auquel Malefoy et elle se sont adonnés depuis presque une année entière.
De Malefoy, par contre, elle n'a pratiquement pas dit un mot. Elle ne l'a pas présenté, n'a cherché en aucune manière à justifier sa présence à ses côtés dans l'hôpital. Sans doute compte-t-elle sur sa seule autorité pour échapper aux questions. Drago doit bien s'avouer qu'il en est probablement mieux ainsi. L'étape décisive qui les attend aujourd'hui le rend déjà suffisamment nerveux comme cela. Au stress de l'échec s'ajoute aussi l'angoisse d'être reconnu, pointé du doigt, et jeté en prison pour avoir embarqué la grande héroïne de guerre Hermione Granger dans une escroquerie machiavélique, ou pire encore, dans un « traitement » de magie noire. Mieux vaut que Granger ne leur facilite pas la tâche, alors que déjà, tous les regards le dévisagent et s'interrogent. Qui est ce mystérieux inconnu aux airs de cadavres qui apparaît auprès de leur patronne, en lui promettant la solution miracle que tous ont échoué à trouver depuis des années ?
Drago tente de se faire oublier, mais son instinct de paria lui fait déjà dresser les poils sur la nuque : il est bien trop exposé ici. Il aurait envie de raser les murs, mais il ne peut pas faire cela à Granger. Pas alors que c'est leur grand jour, celui qu'ils attendent depuis leurs retrouvailles étranges dans la boutique de l'Allée des Embrumes. Pas alors que Granger a tant besoin de lui.
Prenant son mal en patience, Drago ignore donc les murmures étouffés qui semblent lui parvenir de toutes parts dans les corridors de Sainte-Mangouste.
Après son incident à la cathédrale Saint-Paul, il a mis plusieurs jours à retrouver l'ouïe. Contrairement à la fois où sa vue l'avait pris en défaut, il s'est fait étonnamment vite à la perte de cet autre sens. Comme si la surdité lui apportait enfin la tranquillité à laquelle son esprit aspirait depuis tant d'années. Tous les rouages de sa vie, toutes les agressions, tous les sons parasites, tout s'était arrêté. Ses pensées avaient cessé de hurler dans son esprit, pour se concentrer sur l'instant présent. Il avait passé presque deux jours entiers ainsi, allongé sur son lit dans le noir, à se demander ce qu'il arriverait lorsque tous ses autres sens auraient disparu. Il se sentait à peine exister. Il se sentait bien. Quelque part, il ne souhaitait presque pas que les choses aillent mieux.
Et puis, Granger avait insisté pour qu'il sorte de sa chambre. Elle n'avait cessé de glisser des origami de toutes sortes par-dessous sa porte, tous plus originaux les uns que les autres, et porteurs de petits messages encourageants, drôles ou menaçants, destinés à le faire quitter sa tanière. Elle avait même tenté de l'appâter avec du saumon en papillote – son plat préféré – et Drago avait fini par céder. A partir de là, l'audition lui était revenue progressivement. Mais jamais dans son intégralité.
Debout au milieu de l'hôpital désormais, Drago se sent à nouveau agressé de toutes parts, oppressé par ces murmures qui s'insinuent jusqu'au fond de son crâne pour lui crier à quel point il est mauvais, coupable, ignoble, et tout le cortège d'injures que l'imagination humaine a été capable de créer depuis les débuts du langage articulé. C'est presque comme s'il pouvait entendre les pensées de ces gens rassemblés tout autour de lui. « Qui est-il ? ». « Pourquoi est-il si pâle ? ». « Qu'a-t-il fait au mage Granger pour la mettre dans un état pareil ? ». « Mon Dieu... Il a l'air presque mort. »
Drago frémit, mais se force à ne pas écouter. Il a l'impression d'évoluer à l'intérieur d'un immense aquarium. Tous les sons lui paraissent étouffés, comme à travers la vitre d'un bocal rempli d'eau. Ils cognent contre sa conscience et veulent se planter dans son cerveau.
– On y va ? lui fait soudain Granger, omettant sciemment de prononcer son nom.
Drago hoche la tête. Il doit absolument se reprendre.
Tous deux se dirigent jusqu'à la chambre des parents d'Hermione, suivis par leur cortège d'incrédules qui se demandent encore s'ils doivent intervenir ou non.
Lorsqu'ils ouvrent la porte, Jonathan et Edith Granger se tiennent comme à leur habitude : étendus sur leur lit, sans le moindre signe de conscience intérieur, étrangers à l'ouragan de stimuli qui vient soudain de pénétrer dans leur pièce. Tremblante, les poings serrés, Hermione se dirige vers sa mère. Il a été convenu, d'un commun accord avec Drago, qu'il serait inutile d'infliger des souffrances à ses deux parents si leur solution devait échouer. Mieux valait d'abord ne faire l'essai que sur un seul.
Tendant sa baguette, Hermione murmure :
- Wingardium Leviosa.
Le corps d'Edith Granger se soulève de quelques centimètres dans les airs, sans résistance. Hermione la fait léviter jusqu'à la sortie :
– Faites-nous de la place s'il-vous-plaît, ordonne-t-elle au personnel médical. Préparez la salle trois.
Personne n'ose lui désobéir. Hermione remonte lentement le corridor, chargée de son fardeau affreusement macabre, sous le regard de presque tout l'hôpital qui la prend sans doute pour une folle. Drago, lui, tente de lui transmettre tout son soutien en ne la quittant pas des yeux. Peu importe cette gigantesque masse d'imbéciles. Lui sait ce que cela fait que d'être pris pour un fou par tous ceux qui l'entourent. Lui sait ce que cela fait d'être désespéré. Prêt à tout faire pour que le calvaire s'arrête.
A l'extrémité de la coursive ils arrivent enfin devant la salle numéro trois, une petite chambre que les infirmières achèvent d'aménager à la hâte. Hermione dépose délicatement le corps de sa mère sur les draps frais. Alors, elle adresse un dernier regard au personnel rassemblé pour la juger :
– Veillez sur monsieur Granger, dit-elle.
Puis elle fait signe à Drago d'entrer, et elle referme la porte de la chambre sur eux d'un simple coup de baguette. Ils sont seuls à présent. La prochaine fois qu'ils franchiront le seuil de cette pièce, Edith Granger les accompagnera peut-être.
Hermione capte le regard de Drago :
– Prête ? lui demande-t-il.
Elle serre brièvement ses mains dans les siennes, comme pour se donner le courage de répondre :
– Prête.
Tous deux s'activent. De son sac sans fond, Hermione extrait à l'aide de sa baguette toutes les fioles argentées, qui se mettent à tournoyer en un ballet entêtant au-dessus de leurs têtes. Drago, lui, en extirpe les souvenirs un à un pour les unir les uns aux autres, les entremêler, les raccorder, tissant entre eux un réseau complexe de connexions et de liens que Granger et lui ont mis des semaines à élaborer. Ils ont d'abord commencé par trier les souvenirs par ordre chronologique, avant d'initier des passerelles entre chacun d'entre eux, des relations de cause à effet, des parallèles, autant d'auxiliaires nécessaires à une meilleure intégration de la trame dans l'esprit d'Edith Granger.
Lorsque toutes les fioles sont vidées de leur contenu, les souvenirs scintillent dans l'atmosphère de la pièce comme une gigantesque toile d'araignée merveilleuse, une voûte céleste remplie de constellations uniques, une dentelle de joaillier qui cartographie dans leurs moindres détails les six premières années de la vie d'Edith Granger.
Hermione tend sa baguette pour unir ses efforts à Drago. Le jeune homme peut voir à quel point elle est tendue. Ça y est, c'est pour maintenant. Après des mois de labeur et d'attente, la réponse à la question qu'ils se posent se tient à quelques secondes d'eux. Edith Granger repose, inerte, sur son petit lit blanc. Le filet de souvenirs se déploie juste au-dessus d'elle, puis, délicatement, vient se déposer sur son corps immobile tel un suaire. L'outil de sa résurrection, peut-être...
Les yeux grands ouverts, la mère d'Hermione tressaille. Les filaments pénètrent sa peau, un à un, infiltrant souvenirs et sensations dans la moindre parcelle de son corps. C'est un spectacle tel que Drago n'en a encore jamais vu. Avant de disparaître, chaque lacet d'argent s'illumine d'un éclat renouvelé, avant de rallumer une lueur égale dans les yeux d'Edith.
Granger paraît terrorisée, et subjuguée. Incapable de détourner le regard elle aussi. La luminosité se reflète sur sa peau très pâle. Elle est telle que Drago a presque du mal à garder les yeux ouverts. Une magie puissante est à l’œuvre devant eux. Malgré l'érosion de ses sens, Drago est capable de le percevoir : cette sensation si particulière et si rare l'abreuve, le grise, absorbant son esprit. Chaque torsade d'acier liquide représente pour lui des heures d'un travail minutieux digne des plus grands orfèvres. Il a tout mis dans ces souvenirs, absolument tout : il y a investi son temps, son sommeil, tout son talent, sa magie et ses espoirs, et même parfois ses propres souvenirs, les vestiges de ses impressions fugaces qui s'effacent à mesure que ses sens lui échappent. Quelque part, tandis qu'il contemple ces souvenirs artificiels qui se dissolvent, Drago éprouve l'étrange sensation de se dissoudre avec eux, comme s'ils emportaient une infime partie de sa substance avec eux, sa force vitale, pour la transmettre à Edith Granger.
Cette pensée lui fait peur, mais rien qu'un instant. Après tout, cela ne vaudrait-il pas mieux ? Rendre sa mère à Granger, au prix de sa propre existence, voilà bien le seul genre de sacrifice susceptible de racheter ses crimes à ses yeux.
Soudain, Edith Granger se redresse en sursaut. Les derniers souvenirs ondulent autour de ses bras et de ses jambes avant de plonger tout droit vers son cœur. Elle ouvre la bouche sur un cri silencieux. Sa respiration s'accélère, haletante. Hermione se penche sur elle, le teint livide, ses grands iris noisette écarquillés de peur et d'espoir :
– Edith ? tente-t-elle du bout des lèvres.
Sa mère tourne lentement la tête vers elle. Elle bat des cils, comme si elle essayait de se rappeler une idée particulièrement nébuleuse.
– Edith ?
La mère d'Hermione ne réagit pas. De longues secondes passent, terriblement silencieuses. Devant l'anxiété grandissante sur le visage de la jeune femme, Drago lui presse l'épaule, l'empêchant de parler :
– Patience, Hermione, l'enjoint-il. J'ai vu des clients à qui je n'avais remplacé qu'un seul souvenir rester confus pendant des heures. Nous venons de lui en implanter des centaines. C'est la première fois que qui que ce soit tente une chose pareille, nous ignorons totalement combien de temps cela prendra avant de voir des résultats.
Hermione expire un grand coup :
– Tu as raison, décrète-t-elle. Que peut-on faire en attendant ? Est-ce qu'on peut l'aider ?
Drago secoue la tête, tout à son expertise professionnelle :
– Il faut qu'elle fasse le tri toute seule, déclare-t-il. Il n'y a rien d'autre à faire.
– D'accord. Je vais rester avec elle en attendant.
– Oui. Reste avec elle, tiens-lui la main. Elle risque d'être un peu confuse par moment, d'avoir peur, de se montrer incohérente... Nous avons fait de notre mieux, mais ça reste une énorme quantité d'informations à intégrer très rapidement. Sois indulgente avec elle, et ne t'inquiète pas trop vite.
– Très bien.
– Tu as mangé ?
– J'ai l'estomac beaucoup trop serré pour manger...
– Je vais te chercher de la soupe. Reste ici.
Les heures qui suivent, Drago déambule dans l'hôpital tel un fantôme. De temps à autre, il va vérifier qu'Hermione et sa mère vont bien, mais il préfère laisser la jeune femme seule à son attente. Il n'ose imaginer ce qui se déroule dans son esprit à cet instant. Depuis toutes ces années, il a appris à se méfier de l'espoir, à le rejeter de toutes ses forces, même. Il sait à quel point l'espoir peut briser les hommes. Pourtant aujourd'hui, il serait prêt à renier dix années de cynisme, pour rendre à Hermione les parents qu'elle a perdus. Il serait prêt à espérer à nouveau, pour elle, si cela pouvait changer quelque chose au sort d'Edith Granger.
Malheureusement, les espoirs des uns et des autres ne pèsent souvent pas grand chose face au hasard implacable de l'univers.
Drago tente de se raisonner. Avec tout le temps et le travail qu'ils ont investis dans ces souvenirs, il estime que le résultat ne sera pas entièrement le fruit du hasard. Mais Granger et lui évoluent en territoire totalement inconnu ici. Et c'est le propre de l'inconnu de n'en faire qu'à sa tête, de les surprendre. Espérons qu'aujourd'hui, il les surprendra en bien.
A la nuit tombée, Drago découvre Granger endormie au chevet d'Edith, sur sa petite chaise pliable. Elle lui tient toujours la main, comme il le lui a indiqué. Sa mère s'est rallongée, mais elle ne dort pas, les yeux grands ouverts sur une succession d'images que personne ne peut voir. Drago n'ose pas non plus imaginer ce qui se déroule dans son esprit à elle. Après des années de vide, la voilà submergée de souvenirs d'enfant, des souvenirs qui la ramènent au tout début de son existence. Elle semble perdue, et qui pourrait bien l'en blâmer ?
Silencieux, Drago contemple la scène un instant, la mère et la fille peut-être sur le point d'être réunies, et il décide de rester. Il n'a pas le cœur à laisser Granger seule face à une telle épreuve. Qui sait ce qu'il pourrait arriver pendant la nuit ?
Tirant une deuxième chaise à lui, Drago étend sa veste sur les épaules d'Hermione, puis prend place en face d'elle, prêt à veiller jusqu'au lever du jour.
℘
- Drago ! Drago, réveille-toi !
Drago revient à lui en sursaut. Face à lui, Hermione lui sourit, presque frénétique :
- Elle a parlé ! Regarde !
Drago se tourne vers Edith Granger. Ils doivent être au beau milieu de la nuit. La fenêtre de la petite chambre n'affiche encore que du noir, et la lumière tamisée de la lampe de chevet souligne leur silhouette d'ombres moelleuses. On pourrait se croire dans un tableau du Caravage. Au seuil d'un moment sacré, exceptionnel, dans l'intérieur ordinaire d'une petite chambre d'hôpital.
Edith Granger s'est assise sur son lit. La main serrée dans celle de sa fille, elle dévisage Hermione, une expression de joie béate sur ses traits ridés. Malgré l'âge et la perdition qu'elle a connue depuis des années, Drago devine encore en elle la jeune femme qu'elle a été, et la forme très particulière de beauté qu'elle a léguée à Granger. Une beauté douce, discrète. Authentique. Ses longs cheveux bruns sont traversés de gris à présent, mais cela ne la dessert pas. Au contraire : cela lui donne un air sage et solennel, qui sera sans doute celui qu'aura sa fille au même âge. Ses yeux bruns luisent d'un éclat identique à ceux de Granger, et expriment, pour la première fois depuis très, très longtemps, un semblant de reconnaissance :
- Maman ? dit Edith Granger en contemplant Hermione.
Cette dernière manque de fondre en larmes :
- Bonjour, Edith, murmure-t-elle. Tout va bien. Je m'appelle Hermione.
– Maman ? C'est toi, Maman ?
Drago ne sait pas si la scène est plutôt terrible ou bouleversante. Sans doute un peu des deux. Regarder cette femme de soixante ans s'exprimer avec les mots d'une enfant, confondre sa propre fille avec sa mère, mais prononcer ses premiers mots depuis des années... Drago ne sait plus quoi penser. Rien dans sa vie ne l'avait préparé à une telle situation.
– Tout va bien, Edith, répète Hermione inlassablement.
– On est où, Maman ?
– Nous sommes à l'hôpital.
– Qu'est-ce qui se passe ? Où est Papa ? On a eu un accident ?
– Oui, tu as eu un petit accident, ma chérie. Mais tout ira bien désormais. Tu vas bientôt guérir.
– J'ai mal à la tête...
– C'est normal. Tu risques d'être un peu perdue pendant quelques temps. N'aies pas peur. Je vais rester avec toi.
Alors qu'il les écoute parler, Drago devine l'émotion que cela procure à Granger de dialoguer enfin avec sa mère. D'avoir en face d'elle une réaction, aussi infime soit-elle, enfin. Ses larmes ne cessent de couler :
– Pourquoi est-ce que tu pleures, Maman ? demande Edith avec son âme d'enfant. Tu es triste ?
– Oh non, je ne suis pas triste, répond la jeune femme, riant et sanglotant à la fois. Je suis juste heureuse de te retrouver. Tellement heureuse de te retrouver...
– J'étais partie ?
– Oui. Tu étais partie.
– Partie où ?
– Très loin d'ici. Là où je ne pouvais plus t'atteindre.
– Je n'arrive pas à m'en souvenir...
– C'est normal, ma chérie. N'essaie pas. Les choses vont rentrer dans l'ordre en temps utile.
– Tout se mélange dans ma tête...
Un éclair d'angoisse, fugace, passe sur les traits d'Edith Granger :
– Maman, j'ai peur ! crie-t-elle en se recroquevillant soudain sur elle-même.
– N'aie pas peur, ma chérie, tente de l'apaiser Hermione en serrant plus fort ses mains dans les siennes.
– Tu es qui, toi ? Tu n'es pas ma mère ! Tu lui ressembles, mais tu n'es pas ma mère !
– Je suis Hermione. Je suis là pour veiller sur toi.
– Tu mens ! Qu'est-ce que tu as fait de ma maman ?
Drago commence à éprouver un irrépressible malaise. La voix d'Edith Granger ne cesse de monter dans les aigus, rejoignant des tonalités enfantines qui lui percent les tympans, et qui contrastent plus que jamais avec son apparence adulte. Son visage se décompose, ses traits fondent sur ses os comme de la cire, libérant un masque de terreur incontrôlable :
– Où est ma maman ?! gémit Edith Granger de toute la force de ses poumons.
Hermione se lève aussitôt, tentant désespérément de la rassurer :
– Edith, calme-toi, je t'en prie...
– Qui est Edith ? Je ne suis pas Edith ! Où je suis ?
– Bien sûr que tu es Edith. Tu es à l'hôpital Sainte-Mangouste, à Londres...
– Je veux sortir ! Je veux rentrer chez moi ! Je veux... Je veux retrouver ma maman !
– Tu vas la retrouver, je te le promets. Il te faut juste un petit peu de patience !
– Où je suis ? Où je suis, où je suis, où je suis ?
Edith se lève. D'une poussée, elle rejette violemment Hermione contre le mur et court vers la porte, mais Drago parvient à la retenir. La vieille femme se débat comme une enfant, en griffant et en mordant. Elle ne semble pas consciente de sa force.
– Hermione, il faut appeler du renfort, souffle Drago entre ses dents.
La jeune femme le regarde faire, épouvantée, les deux mains plaquées sur son visage. Elle est incapable de prononcer un seul mot.
– Infirmière ! crie Drago.
– Qui tu es, toi ? proteste Edith de son insupportable voix de petite fille. Tu es méchant ! Lâche-moi !
– Je suis vraiment désolé Edith, mais c'est pour ton bien...
– Je veux aller à l'école ! Je veux manger de la craie ! Je veux...
S'ensuit une litanie de paroles ininterrompues, une logorrhée verbale qui perd de son sens à mesure qu'elle s'échappe des lèvres desséchées d'Edith Granger. Les mots se succèdent, désordonnés, sans le moindre sens, jusqu'à se réduire à de simples syllabes :
– Méchant... Pamplemousse... Chien, carton, sac-à-dos !
Hermione est en larmes. Edith continue de se débattre dans l'étreinte de Drago tel un pantin désarticulé. Soudain, à la lumière de la lampe, elle aperçoit ses mains, vieilles et fripées, et elle pousse un hurlement déchirant.
Le personnel de l'hôpital intervient enfin. Avant d'avoir le temps de poser la moindre question, ils avisent la situation et aident Drago à maîtriser leur patiente. Il faut jeter un Stupefix à Edith Granger avant de l'étendre sur son lit, le regard toujours halluciné, ses globes oculaires roulant dans leurs orbites tels ceux d'une démente.
– Viens, Hermione, ordonne Drago en saisissant la jeune femme par le bras. Viens, laissons-les faire leur travail.
Il tire la jeune femme en larmes loin de l'agitation ambiante et la ramène au calme dans son bureau, dont il verrouille la porte.
– Là, calme-toi, dit-il aussitôt en la prenant dans ses bras.
– Mon Dieu, Drago, que lui a-t-on fait ? s'exclame Hermione, le visage enfoui dans le creux de ses épaules.
Ses deux poings sont serrés à lui en faire mal, crispés autour de sa chemise. Elle est incapable d'affronter le jeune homme dans les yeux. Incapable de renoncer à ses pleurs :
– Est-ce que tu as vu son visage ? A quel point elle avait peur, Drago ?
– Oui, je l'ai vu, répond le jeune homme doucement.
D'une main, il lui caresse les cheveux, l'autre main passée fermement autour de ses épaules. Hermione tremble de tout son corps entre ses bras. Elle paraît sur le point de s'effondrer. Comme si tous les os de ses membres allaient se détacher pour tomber en poussière, et lui échapper à jamais. Sa douleur fend le cœur de Drago, d'autant plus qu'il n'y peut absolument rien. Il en est presque responsable. Lui qui quelques heures plus tôt se prêtait à rêver d'espoir... Il ne s'est jamais senti aussi impuissant.
Plus que le jour où il a perdu la vue, ou l'ouïe, plus que le jour où il a compris quel mal terrible le frappait, l'impuissance le dévaste, le hérisse de rage, car c'est la femme qu'il aime qui se détruit aujourd'hui sous ses yeux. Hermione souffre, elle souffre plus qu'il n'a jamais vu qui que ce soit souffrir sur cette Terre, elle souffre comme Narcissa Malefoy a souffert. Et cela lui est intolérable.
Drago la serre contre lui, de plus en plus fort, lui répétant à quel point il est désolé, à quel point il aurait voulu que leur remède réussisse, à quel point il donnerait tout pour que tout s'arrange, pour qu'elle soit heureuse, absolument tout...
Hermione est sourde à ses paroles, mais ce n'est pas grave. Il est là pour elle, c'est tout ce qui compte. Il ne la lâchera pas. Plus jamais.
Il la fait transplaner jusque chez elle, et découvre avec stupeur que le petit salon de l'appartement est déjà occupé. Assis sur le canapé, Ron Weasley en personne se lève d'un bond dès qu'il les aperçoit :
– Hermione ! s'exclame-t-il, constatant aussitôt les larmes de la jeune femme.
Puis son regard bute sur Drago. Ce dernier se prépare : sa main, instinctivement, part vers la poche de son jean où se trouve sa baguette. Weasley a du mal à le reconnaître, il s'en rend tout de suite compte, mais chaque seconde le rapproche de la vérité :
– Malefoy ? finit-il par articuler, totalement incrédule. Mais qu'est-ce que... ?
Il se tourne vers Hermione, désemparé :
– Qu'est-ce qui se passe ici ? Nous avions rendez-vous ce soir, tu as oublié ? Pourquoi est-ce que tu es dans un état pareil, et qu'est-ce que ce type fait chez toi ?
Chancelante, toujours à demi appuyée contre le torse de Drago, Hermione trouve à peine la force de se redresser. Son visage baigné de larmes exprime l'épuisement le plus total :
– Voilà, tu sais la vérité, dit-elle d'une voix morte. Tu aurais bien fini par l'apprendre un jour ou l'autre, de toute façon. Drago est mon patient. Il loge ici le temps que je parvienne à lui trouver un remède. Il essaye de m'aider à guérir mes parents, mais on ne peut pas dire que ce soit un franc succès...
Elle est saisie d'un petit rire nerveux :
– Nous avons essayé notre traitement aujourd'hui, et il a été désastreux... Voilà, tu sais tout. Je n'ai pas changé, je t'ai menti. J'ai toujours les mêmes obsessions. Maintenant quitte-moi comme tu l'as fait il y a trois ans, et ne fais pas trop d'histoires.
Hermione se détache de Drago et traverse le salon en titubant. Sans ajouter un mot, elle claque la porte de sa chambre, la verrouille derrière elle, et abandonne Ron dans un silence stupéfait, face à face avec Drago Malefoy.
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