Distance
– Jonathan ? Comment vous sentez-vous aujourd'hui ?
Derrière la vitre teintée, Hermione contemple l'infirmier qui apporte sa nouvelle dose de souvenirs à son père. Ce dernier, assis à la petite table de la chambre personnelle qu'on lui a allouée, sourit poliment en échangeant des blagues avec le jeune homme en uniforme. Pour un peu, la scène paraîtrait presque normale, voire même banale.
Cela fait bientôt deux mois maintenant que Jonathan et Edith Granger ont reçu leurs premières injections de souvenirs. Hermione et Drago ont laissé passer quatre semaines avant de procéder à la suivante, qui les a ramenés à un âge proche de leurs onze ans. Puis deux semaines, enfin, pour les transporter dans l'adolescence.
A l'heure qu'il est, Jonathan Granger a le mental d'un garçon de seize ans. Les appartements qu'il occupe ont été soigneusement aménagés pour éliminer toute trace suspecte de magie, et lui faire croire qu'il réside dans un hôpital Moldu. Les Médicomages lui ont raconté qu'il avait subi un grave choc à la tête, responsable d'une perte massive de souvenirs, et que son âge réel était de cinquante-trois ans. Il l'a raisonnablement bien pris. En réalité, la situation semble davantage l'amuser qu'autre chose, et Hermione doit bien s'avouer qu'elle est déroutée. Ce comportement jovial et décontracté, ce n'est pas celui de son père. Elle a toujours connu Jonathan Granger comme un homme calme et posé, assez réservé dans ses relations avec les autres, plus familier des livres que des contacts humains. Son amour de la lecture et de la connaissance, elle les tenait avant tout de lui. Mais l'adolescent qu'elle a sous les yeux aujourd'hui diffère grandement de l'image qu'elle se faisait de son père à cet âge.
Jonathan est un « adolescent » malicieux, toujours enclin à échanger quelques plaisanteries journalières sur le menu du midi ou l'amnésie dont il souffre. Il porte sur les choses un regard pétillant, sans s'inquiéter outre mesure du monde extérieur, ou de ce qui l'attendra à sa sortie. Les Médicomages lui ont dit que tout contact avec sa famille était prohibé tant que sa mémoire n'était pas revenue, et il n'a pas posé de questions particulières à ce sujet.
Hermione se force à détourner son regard de la vitre. Aujourd'hui, c'est le grand jour. Après cette quatrième injection de souvenir, ses parents atteindront le temps de leurs études à l'école de médecine, l'époque à laquelle ils se sont rencontrés. Après cette injection, il sera de nouveau possible de les mettre en contact l'un avec l'autre, et alors seulement, tous pourront constater si la magie opère ou non...
– Vous vous rappelez de comment nous avons procédé la dernière fois, Jonathan ? reprend l'infirmier.
Jonathan acquiesce :
– Je ferme les yeux, et je reste tranquille.
– C'est ça.
– Je me sens toujours un peu bizarre après votre traitement.
– C'est normal. Nous vous inoculons une substance qui stimule les zones de votre cerveau responsables de la mémoire. Vous allez vous sentir encore un peu confus pendant quelques jours, mais si tout fonctionne comme les autres fois, vous devriez retrouver davantage de souvenirs.
– Adieu, jeunesse adolescente...
L'infirmier rit :
– Vous avez déjà eu droit à un deuxième tour, n'en demandez pas trop.
Sur ce, il dépose sur la petite table un plateau contenant des fioles opaques, dans lesquelles sont contenus les souvenirs. Docile, Jonathan ferme les yeux, inspire à fond, et incline la tête sur le côté. Alors, l'infirmier exhume sa baguette dissimulée dans la poche arrière de son uniforme, et il extrait un à un les souvenirs des fioles, pour les glisser dans l'oreille tendue de Jonathan. D'après ce que Drago a dit à Hermione, la sensation est comparable à l'injection de gouttes pour l'otite.
Jonathan frémit, son corps d'adulte agité d'un immense frisson, puis il se redresse sur sa chaise, tendu au maximum, et rouvre les yeux pour regarder autour de lui.
Après avoir rangé sa baguette, l'infirmier lui tapote l'épaule :
– Tout va bien, Jonathan, lui dit-il d'une voix rassurante. Vous êtes toujours à l'hôpital, vous vous souvenez ? Nous venons de faire votre traitement. Vous devez vous reposer, à présent.
Jonathan ne réagit pas. Ses grands yeux noisette, si semblables à ceux d'Hermione, papillonnent dans le vide sans se raccrocher à rien. Cela aussi, c'est une facette que la jeune femme n'est pas habituée à voir chez son père. Même une fois la majorité des souvenirs assimilée, le traitement semble avoir pour effet secondaire d'ajouter une tendance rêveuse à la personnalité de ses parents. Il leur arrive parfois de se perdre dans leurs pensées pendant des heures, incapables de fixer leur concentration sur rien, et dans ces moments-là, Hermione redoute terriblement que leur maladie ne refasse surface pour grignoter tous ses douloureux efforts en une poignée de secondes. Mais il n'en est rien. Leur cerveau fonctionne simplement au ralenti de temps à autre, comme un ordinateur grippé par une trop grande quantité de données. Il leur faut un petit moment pour les traiter, et alors, soudain, les infirmiers surprennent Jonathan ou Edith à sourire sur leurs chaises, tout heureux de leur raconter une nouvelle pépite de souvenirs qu'ils viennent de retrouver.
L'infirmier aide Jonathan à se relever et le conduit jusqu'à son lit. Juste avant de procéder à l'injection de souvenirs, on a glissé dans sa tisane de l'après-midi un léger somnifère qui l'aidera à s'endormir. Le sommeil semble être le meilleur des remèdes à l'afflux de souvenirs.
A peine quelques secondes après que sa tête ait touchée l'oreiller, Jonathan Granger s'endort, et Hermione peut enfin pousser un soupir de soulagement :
– Nous sommes sur la bonne voie, sourit-elle.
A ses côtés, Drago Malefoy, qui a assisté à toute la scène sans rien dire, acquiesce posément. Hermione ne sait pas trop quoi penser de lui ces derniers temps. Une sorte de distance s'est instaurée entre eux, depuis leur malheureux baiser échangé dans l'appartement de la jeune femme deux mois plus tôt.
Hermione essaye de chasser l'événement de ses pensées chaque fois qu'il y surgit, mais cela semble plus difficile qu'il n'y paraît. Quelle ironie. Elle qui se bat depuis toutes ces années pour redonner à ses parents leurs souvenirs, elle donnerait n'importe quoi à cet instant pour effacer les siens. Supprimer cette confusion, ce malaise, la culpabilité chaude qui lui est associée...
L'attitude même de Drago est étrange depuis cet incident. Oh, extérieurement, il fait tout pour ne pas le montrer, et évidemment, il y parvient avec l'aisance naturelle des Serpentards, et plus encore celle des Malefoy. Mais l'instinct d'Hermione la met en garde. Jamais auparavant dans leurs échanges, Drago ne s'était montré aussi formel avec elle : attentif et attentionné bien sûr, comme toujours, surtout lorsqu'il s'agit de ses parents, mais également... poli. Une sorte de réserve courtoise, à laquelle Hermione n'est pas du tout habituée de sa part. Il ne l'interpelle plus avec des « Granger » teintés de son inimitable ironie corrosive. Il ne cherche plus à provoquer le débat avec elle, à discuter de sa maladie, de leurs vies à tous les deux, du passé, de toutes ces choses qui les ont rapprochés sans qu'ils ne s'en rendent compte, mine de rien, depuis ces dernières semaines, jusqu'à faire d'eux des amis...
Hermione ne retrouve plus tout cela en lui. Drago se comporte avec elle comme avec une porcelaine rare que l'on aurait peur de casser. On ne la touche pas, si ce n'est du regard. On s'en tient éloigné. Jamais encore elle n'avait perçu la politesse comme une façon de tenir quelqu'un d'autre à l'écart, mais c'est pourtant bien ainsi qu'elle le ressent aujourd'hui : un vernis lisse et impénétrable, une froideur qui ne dit pas son nom, et qui lui murmure avec le timbre de Drago : « Non. Reste à l'écart. Ne me fais pas de mal ».
Quel mal a-t-elle fait à Drago ? Cette question, elle se la pose nuit après nuit, et cela la maintient éveillée parfois jusqu'à l'aube. Elle s'en veut de ne pas avoir interrompu leur étreinte plus tôt ce jour-là, de lui avoir donné de faux espoirs, et pourtant, une petite voix en elle n'ose pas s'interroger sur les raisons qui l'ont maintenue dans une telle inaction...
Drago lui a affirmé que ce n'était pas grave. Qu'elle avait eu raison de le repousser, qu'il avait agi sous le coup de l'émotion et de l'alcool, qu'il était déterminé à aller bien. Et c'est vrai, extérieurement, il a l'air d'aller bien. Et pourtant...
Et pourtant, il ne se rebelle plus lorsqu'elle lui propose de nouveaux examens, de nouvelles idées pour surveiller l'évolution de sa pathologie et y remédier. C'est sans doute cela, plus que n'importe quoi d'autre, qui angoisse Hermione. Cela ne ressemble pas à Drago de se comporter comme un patient bien docile. Un cobaye passif. Auparavant, lorsqu'elle abordait la question de sa maladie, le jeune homme se tendait, angoissait, rechignait à se soumettre à de nouveaux tests par crainte de leurs résultats, ou au contraire, se précipitait sur elle pour en savoir davantage. Désormais, plus rien de tout cela. Lorsqu'Hermione évoque le sujet, Drago l'écoute patiemment, sans argumenter, se contentant de hocher la tête aux moments appropriés avec son insupportable sourire poli plaqué sur le visage. Par moments, elle aurait presque envie de le gifler... Il semble indifférent à ce qu'elle lui raconte, comme si sa maladie, son traitement, et le sort qui l'attendait lui étaient devenus étrangers. Il ne s'en préoccupe plus. Nombre de fois, lorsqu'il ne fait pas attention à elle, Hermione le surprend à observer le ciel à travers une fenêtre, à déambuler dans les couloirs une tasse de thé à la main, goûtant le va-et-vient des soignants comme un spectateur de passage dans un pays inconnu. Il ne s'attarde pas, ne pose son empreinte sur rien, car il n'a pas l'intention de rester. La réalité n'a pas de prise sur lui. Et dans le cœur d'Hermione, cela la terrifie. Elle a l'impression que, d'une façon ou d'une autre, Drago a renoncé. Qu'il a embrassé une forme d'acceptation dont elle n'ose pas deviner les raisons. Ni leurs conséquences.
– Tu es allé voir Edgecomb aujourd'hui ? lui demande-t-elle sans parvenir à se retenir.
Paul Edgecomb est le directeur de la section de Psychomagie de l'hôpital Sainte-Mangouste. L'un des rares sorciers à s'être jamais penché sur ces afflictions très Moldues : les troubles psychologiques et psychiatriques, la dépression, la folie... Autant de maux presque tabous dans la société sorcière, car jugés sans importance, sans danger par rapport aux dégâts que peut entraîner la magie. Et pourtant, aucun sorcier n'y est immunisé. Souffrir de dépression n'a rien à voir avec le statut de sorcier ou de Moldu d'une personne. La seule différence survient dans les effets : là où les Moldus perdent le goût à la vie, Drago, lui, perd littéralement ses sens les uns après les autres...
– J'ai rendez-vous avec lui dans une demi-heure, lui répond le jeune homme, toujours avec cet air paisible qui cherche à la rassurer, mais qui lui donnerait presque des envies de meurtre.
– Tu as l'impression qu'il t'aide ? insiste Hermione.
Drago hausse les épaules :
– Nous discutons. Je suppose que c'est un début.
– Ta guérison ne se fera pas en un jour, tu sais ce que je t'ai...
– Oui, je sais, je sais.
Drago se mure dans le silence. Hermione déteste le sentir comme cela. Impénétrable. Elle a conscience que cette situation est de sa faute, et elle se sent coupable. Auparavant, ils arrivaient à se parler, Drago et elle. Elle éprouvait auprès de lui une confiance et une intimité qu'elle n'avait pas connue depuis... Depuis l'année de ses dix-sept ans, passée à traquer les Horcruxes de Voldemort avec Harry et Ron, dans la peur et l'incertitude. Cette année de sa vie lui avait paru tellement difficile à cette époque... Si elle avait su que le pire restait à venir. Non pas le danger imminent de mourir à chaque instant. Mais l'érosion lente, très lente, inéluctable, des êtres qui comptaient le plus à ses yeux. De sa vie, de sa relation avec ses amis... Tout ce pour quoi elle s'était battue cette année-là, Hermione l'avait perdu par la suite, petit à petit : ses parents, son avenir, Ron. Elle commençait seulement à retrouver l'espoir de les récupérer un jour. Mais elle n'était plus la même. Elle avait changé. Ce sentiment de complicité chaude qui s'était créé entre Harry, Ron et elle durant cette année-là, ce ciment d'amitié et d'amour indéfectible, solidifié par l'épreuve, avait cédé face à la maladie de ses parents. Il s'était reformé autour de Drago et elle, pendant quelques temps, mais il restait encore tellement fragile... Et elle venait de le faire voler en éclats. Comme la dernière des idiotes.
– Tu sais, si tu préfères encore que ce soit moi qui assure ta thérapie..., propose-t-elle, hésitante.
Mais il la coupe aussitôt :
– Non. Nous en avons déjà discuté, tu sais que c'est mieux ainsi. Nous devons garder une distance toi et moi. Tu es très loin d'être la mieux indiquée pour m'aider à aller mieux. Je risquerais de me reposer sur toi.
Hermione avale sa salive, sans rien dire. Entendre ses propres arguments retournés contre elle a quelque chose d'aussi brûlant qu'une gifle. Elle se maudirait presque d'avoir prononcé un jour ces paroles. En adressant Drago au psychomage Paul Edgecomb pour gérer sa dépression, elle l'a perdu à tout jamais. Mais Paul est plus que compétent dans son domaine... Hermione n'a plus qu'à espérer qu'il saura aider Drago comme lui-même l'a aidée à guérir ses parents. C'est le moins qu'elle puisse faire pour lui. Elle lutte néanmoins constamment contre une farouche envie d'aller secouer Paul pour lui arracher ce que Drago lui confie...
Soudain, le jeune homme à côté d'elle lui sourit et lui presse l'épaule :
– Arrête de t'inquiéter pour moi, tu veux bien ? lui enjoint-il. C'est un grand jour. Bientôt, nous allons pouvoir présenter tes parents l'un à l'autre, et nous verrons s'ils ont toujours envie de faire une petite Hermione ensemble.
Il ponctue sa remarque d'un clin d’œil qui la fait rougir. Hermione peste intérieurement. Pire qu'une adolescente. Mais depuis son baiser avec Drago, ce genre de petits détails devient de plus en plus difficile à ignorer...
Elle se souvient bien de la sensation des lèvres de Drago sur les siennes. Trop bien. Son odeur, son corps chaud contre le sien, ses bras dans son dos et ses mains sur sa peau. Il lui suffit de fermer les yeux pour revivre la scène, encore et encore. Elle n'arrive pas à s'en débarrasser. C'est comme essayer de s'empêcher de penser à un éléphant : forcément, l'image surgit dans l'esprit et s'imprime. Voir Drago se tenir auprès d'elle n'arrange rien. Quelques fois, au détour d'un couloir, il lui arrive encore de sentir son parfum : pas une fragrance artificielle, mais son parfum naturel, un mélange de sel, de propreté et de fraîcheur. Il lui arrive de le sentir n'importe où. Ses sens la trahissent alors tout à coup, et elle se retrouve à rougir sans raison, mortifiée de honte, ou à chercher du travail supplémentaire pour s'occuper l'esprit.
Hermione n'a jamais vu Drago Malefoy de cette façon auparavant. Du temps de leur adolescence, lorsqu'ils se détestaient cordialement, il n'incarnait pour elle qu'une nuisance teintée de mépris et de bêtise. Elle avait eu pitié de lui devant les souffrances réelles qu'il semblait endurer en sixième année, et, lorsque des Rafleurs les avaient capturés Harry, Ron et elle pour les conduire au Manoir Malefoy l'année suivante, parmi la terreur et les tortures infligées par Bellatrix Lestrange, elle avait éprouvé de la reconnaissance pour celui qui avait refusé de les dénoncer. Mais c'était tout. Rien qui ne soit jamais suffisant pour lui inspirée de la sympathie à l'égard du Serpentard.
Quant à son physique, elle n'y avait jamais prêté attention. Elle savait que Malefoy avait une certaine popularité auprès des filles de sa maison, et c'était tout.
Qu'était devenue sa popularité après qu'il soit devenu un Mangemort ? Pour la première fois de sa vie, ces questions surgissent dans l'esprit d'Hermione, et elle n'arrive pas non plus à s'en débarrasser. Drago a-t-il eu des liaisons du temps de leurs études à Poudlard ? Tous paraissaient trop jeunes et trop préoccupés à l'époque pour penser à cela... Et après Poudlard, alors ? Drago a-t-il déjà eu quelqu'un dans sa vie ? Hermione a du mal à croire qu'il puisse être totalement novice en la matière, et cependant, tout dans les moindres traits du visage du jeune homme trahit une profonde solitude, une solitude qui s'est enracinée avec les années jusqu'à faire partie de lui, indissociable.
« Que t'importe de savoir qui il a aimé avant toi ? », murmure à nouveau la petite voix de sa conscience, impitoyable. « L'important, c'est qu'il t'aime toi, maintenant. Il te l'a dit. Il ne serait jamais revenu sur ses paroles si tu ne l'avais pas rejeté aussi violemment l'autre jour, et tu le sais très bien. Au fond de lui, il le pense encore. »
Le pense-t-il encore ? Pas sûr. Dans cette froideur que le jeune homme a creusé entre elle et lui, Hermione craint de distinguer également de la rancœur. Et si Drago lui en voulait de l'avoir rejeté ? Et si, à cause de sa bêtise, il ne lui accordait plus jamais sa confiance ?
C'est bien cela qu'Hermione a perdu, véritablement. La confiance de Drago. Pour perdre la confiance de quelqu'un, il faut nécessairement l'avoir blessé, ou déçu...
Hermione cherche des réponses sur le visage du jeune homme. Il ne lui oppose que son calme de façade, un sourire doux aux lèvres, des yeux d'un gris translucide. Elle ne voit pas de méchanceté en lui. A vrai dire, elle ne l'en croit plus capable... Elle a sous les yeux l'homme qui a presque tout sacrifié pour l'aider à retrouver ses parents. L'homme qui depuis des mois travaille nuit et jour à ce seul et unique objectif, sans se préoccuper une seule seconde de sa santé ni de ce qu'il pourrait obtenir en retour... Un homme comme cela ne lui en voudrait pas pour quelque chose d'aussi futile. A l'heure qu'il est, la seule personne qui se comporte comme une enfant, c'est elle...
Drago semble finir par s'inquiéter de son mutisme :
– Et toi, tu es sûre que ça va ? lui demande-t-il dans une absurde inversion de leurs rôles. Tu sembles préoccupée.
Hermione secoue la tête :
– J'ai encore du mal à réaliser, c'est tout. A chaque fois que je ferme les yeux, j'ai peur de les perdre à nouveau.
« Et à chaque fois que je ferme les yeux, je revois notre baiser... », rajoute sa conscience.
Elle se détourne avant que ses traits n'en disent trop :
– Il faut que je rentre, prétexte-t-elle. Ron doit déjà m'attendre.
Et c'est vrai, dans son petit appartement du centre-ville de Londres, Ron doit déjà être rentré de son travail au Ministère à l'heure qu'il est, occupé à lui concocter l'un de ses délicieux plats en sauce dont elle ignorait qu'il avait le secret. Drago a refusé de ré-emménager chez Hermione depuis leur « incident ». A l'inverse, c'est Ron qui a pris sa place. Hermione et lui vivent de nouveau pratiquement ensemble depuis presque deux mois. Tôt ou tard, Hermione le sait, le jeune homme lui demandera de s'installer définitivement avec elle. Et elle est incapable de définir ce que cela lui inspire.
D'un geste de la main, elle salue Drago sans oser croiser son regard :
– On se voit demain, du coup, abrège-t-elle. Bonne chance avec Edgecombe.
Elle se glisse alors hors de l'hôpital pour transplaner, submergée de confusion, d'espoir pour ses parents, de culpabilité et de doute.
Elle n'est plus une adolescente de seize ans, désormais. Le baiser échangé dans son salon lui a ouvert les yeux ; il a creusé dans sa poitrine une vérité béante dont elle ne peut plus se détourner. Malgré le malheur, la maladie et les années, Drago Malefoy porte sur elle un regard d'acier qui la transperce, comme un papillon au bout d'une pique. Elle est capable de voir la finesse qui se cache dans ses traits aigus et sa beauté triste. Elle est capable de voir l'homme sous le Serpentard, le patient, l'ami, l'ancien ennemi. Elle le voit, et il est magnifique.
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