Ron

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Le week-end finit par s'achever, quelque part entre la seconde et l'infini. Hermione et Drago auraient peut-être préféré rester dans cette cave pour toujours. Mais ils se sont promis d'apprendre à revivre ensemble, alors, le matin venu, ils se doivent d'essayer.

Hermione rentre chez elle après un dernier baiser. Elle transplane devant sa porte d'entrée, et passe plusieurs secondes à écouter, l'oreille tendue, guettant le moindre signe de la présence de Ron. Une boule palpite dans son ventre à la seule idée de devoir l'affronter si tôt. Mais au bout d'un moment, elle finit par se convaincre que personne ne l'attend, alors elle ouvre la porte et trouve simplement une feuille de papier pliée, glissée sous sa porte. Elle reconnaît immédiatement l'écriture un peu brouillonne de Ron. Il n'a écrit que quelques mots, mais cela suffit pour que son cœur se serre.

« Ecris-moi quand tu seras prête. »

Hermione froisse fort la lettre entre ses mains, les joues brûlantes de culpabilité, mais elle se force à penser à Drago, à ces instants si vrais et si forts qu'ils ont vécus ensemble à peine quelques minutes plus tôt, et elle admet finalement que oui, elle a fait le bon choix, aussi malheureux cela soit-il pour Ron.

Elle abandonne la feuille sur la table basse du salon et se dirige vers la salle de bain. L'eau de la douche lui paraît étonnamment chaude sur sa peau, après l'atmosphère humide de la cave de Drago. Pendant quelques minutes, Hermione s'abandonne totalement à cette sensation qui lui permet de se vider l'esprit, de ne plus penser à rien d'autre qu'à la quiétude qu'elle ressent. Elle se demande si un jour, Drago sera capable de retrouver de telles sensations, lui aussi. Avec elle...

Elle n'arrive décidément pas à le chasser de ses pensées. Chassant la buée qui obture son miroir, Hermione contemple un bref instant son reflet nu, à la lueur du petit jour. Son image la trouble. Peut-être est-ce simplement la chaleur qui a rendu des couleurs à ses lèvres et à ses joues, mais cela fait bien des années qu'elle ne s'est pas trouvée aussi vivante. Aussi jeune. Elle reconnaît enfin ses vingt-huit ans. Dire qu'en pensée, elle a l'impression d'avoir vécu beaucoup, beaucoup plus longtemps...

Cela se ressent un peu, dans les petites rides discrètes qui cherchent à se creuser un chemin au coin de ses yeux. Mais ce matin, ses prunelles brunes et lumineuses irradient de mille feux, éclipsant tout le reste. Il lui suffit de penser au corps de Drago enroulé au sien pour qu'une myriade de petits frissons hérissent sa peau, électrisent ses sens, et pour qu'un sang rouge et vivifiant ne vienne tonifier son visage une nouvelle fois. Ainsi, la légende disait-elle vrai ? Être éprise vous rend belle, plus belle que vous ne l'auriez jamais imaginé.

Secouant la tête, Hermione maudit sa distraction, sans toutefois avoir vraiment le courage de se la reprocher. Elle se sent d'humeur indulgente, ce matin. Elle se sent adolescente. Elle retrouve avec une sorte d'émerveillement stupéfait l'insouciance et la passion qu'elle pouvait ressentir à l'aube de ses seize ans, lorsque la guerre n'avait pas encore étendu son emprise sur le monde, et que ses parents étaient toujours eux-mêmes. Dire qu'à l'époque, elle ressentait tout cela pour Ron...

A nouveau, la culpabilité revient en flèche, et Hermione se prend la tête entre les mains. Une tempête se débat dans son cœur : un mélange de félicité absolue et de remords, qui ne se marie pas bien ensemble. Il faut qu'elle affronte Ron. C'est la bonne chose à faire, aussi bien pour lui que pour elle. Peut-être est-ce un acte égoïste de sa part, peut-être n'en ressent-elle le besoin que pour sa propre tranquillité d'esprit... Mais peu importe. Elle ne peut rester ainsi entre deux feux, entre deux hommes. Au nom de tout ce qu'ils ont traversé ensemble, elle lui doit bien une conclusion...

La jeune femme soupire. Du bout de sa baguette, elle sèche ses cheveux et les discipline en boucles bien nettes. Il y a bien longtemps que la petite fille aux cheveux hirsutes de Poudlard a disparu. Quelques fois, elle aimerait bien la retrouver... Sa vie était plus simple, à l'époque. Lorsque son principal problème était de maîtriser son indomptable crinière.

C'est sur ce petit trait d'esprit et un léger sourire qu'Hermione abandonne son reflet. Elle ouvre l'armoire de sa chambre et s'habille mécaniquement, sans réaliser qu'elle enfile une tenue très sage qui dissimulera tous les reliefs de son corps. Une seule seconde d'inattention, et ses pensées glissent à nouveau vers Drago, ses lèvres et ses mains sur sa peau, et elle se sent brûler de toutes parts. Bon sang, pire qu'une lycéenne...

Hermione prend à peine le temps d'emporter quelques affaires pour la journée : son sac, ses clés, puis elle transplane devant l'entrée des visiteurs du Ministère de la Magie. Avec un peu de chance, c'est là qu'elle trouvera Ron...

Peut-être devrait-elle s'annoncer, envoyer un hibou, mais quelque chose en elle la retient. La peur, sans doute. La peur de perdre un être qui compte énormément pour elle pour toujours. Ron et elle n'auront peut-être pas obtenu le destin qu'ils méritaient, le destin que la vie, de même que l'ensemble des tabloïds britanniques, auraient voulu pour eux, mais elle le chérira malgré tout toujours dans son cœur. Elle admire son courage et sa nature généreuse. Il fera toujours partie d'elle, car il a contribué à faire d'elle la femme qu'elle est aujourd'hui. Ce matin plus que jamais, elle lui en est infiniment reconnaissante.

– Je viens voir l'Auror Weasley, s'annonce-t-elle à l'accueil du Ministère.

Elle connaît le chemin du bureau de Ron, bien sûr, mais le temps où elle s'introduisait dans les locaux du Ministère par effraction est révolu. En la reconnaissant, l'hôtesse d'accueil écarquille les yeux, mais elle lui tend un badge visiteur sans poser aucune question. Être Hermione Granger a parfois quelques avantages, en fin de compte...

Le cœur battant, Hermione s'engouffre dans l'un des multiples ascenseurs infernaux du Ministère, et laisse la magie labyrinthique la diriger jusqu'à l'étage dévoué aux Aurors. Les lieux ont changé, depuis la fin de la guerre. Dix ans plus tôt, Hermione se souvient de couloirs lugubres, carrelés d'un immonde vert bouteille, avec des courants d'air froid évoquant sans cesse les hurlements de quelques esprits tourmentés. L'ombre de Lord Voldemort planait sur les lieux, à l'époque. Même lorsqu'il n'était pas encore revenu, sa menace se faisait sentir dans l'esprit de tous. Le département qu'Hermione découvre aujourd'hui est libéré de cette emprise. Disparu le carrelage sinistre des murs : désormais, des fenêtres percent et illuminent les coursives, jouant sur une succession de boiseries chaudes et délicatement sculptées. Les teintes enjouées du bois contrastent avec l'atmosphère qu'elle a connue autrefois. D'épais tapis d'un rouge et or accueillant guident le visiteur jusqu'aux différents bureaux des Aurors, rappelant discrètement dans le cœur d'Hermione les couleurs de la maison Gryffondor. Il règne dans l'atmosphère une légère odeur de sapin, comme si les lambris tout juste installés imprégnaient encore l'air. Au loin, pas d'agitation, pas de murmures inquiets ni d'Aurors évoluant en tous sens : rien que le murmure discret d'une plume sur le papier, de temps à autre, et le bruit des hiboux qui s'envolent aux quatre vents. Assurément, ils vivent des temps plus sûrs que dix ans auparavant. Des temps débarrassés des Mangemorts...

Hermione avale sa salive. Puisque ses pensées lui rappellent Gryffondor, il est temps qu'elle fasse appel à ce courage légendaire que le Choixpeau magique a cru voir en elle il y a des années. Elle en a besoin aujourd'hui, plus que jamais.

Avançant jusqu'au fond du couloir, Hermione frappe à la porte de Ron. Elle craint un instant qu'il ne soit pas là. Pire encore : qu'Harry passe par là, et que ce soit lui qui l'aperçoive. Hermione s'est décidée à affronter Ron aujourd'hui, mais pas Harry... Son esprit ne pourra supporter qu'un seul problème à la fois.

Sur cette pensée, la porte s'ouvre brusquement, la faisant sursauter. Elle reconnaît aussitôt le visage de Ron, même s'il paraît pâle et fatigué. Ses traits s'illuminent dès qu'il l'aperçoit :

– Je ne pensais pas que tu viendrais, dit-il, incapable de retenir ses pensées.

Hermione lui adresse un léger sourire :

– Tu m'as dit d'écrire, je sais, mais... J'ai pensé... qu'il valait mieux que nous parlions en personne.

– Non non, tu as bien fait de venir ! Oui, c'est très bien comme ça...

Ron se passe une main dans les cheveux, visiblement nerveux. Chaque seconde de sa détresse fait battre la culpabilité d'Hermione plus fort dans sa poitrine. Car Ron croit encore qu'elle est venue le voir pour qu'ils se réconcilient : elle le lit dans ses yeux... Elle doit faire appel à toute sa résolution pour enchaîner :

– Est-ce que je peux entrer un instant ?

Ron regarde autour de lui, comme rattrapé par la situation :

– Oui bien sûr, où avais-je la tête... Entre, je t'en prie.

Hermione pénètre dans son bureau. Ce n'est pas la première fois qu'elle s'y rend, bien sûr : du temps où Ron et elle étaient ensemble, encore trois ans auparavant, il lui arrivait parfois de passer voir Ron sur son lieu de travail. Pourtant, elle ne peut s'empêcher de constater à quel point les lieux ont changé. A l'image de leur propriétaire, sans doute...

Alors que dans son souvenir, Ron cultivait son image d'adolescent sur le tard, un peu crasseux et bordélique, le bureau qu'Hermione découvre aujourd'hui est lumineux, aéré et impeccablement rangé. Des rayonnages de dossiers s'alignent les uns au-dessus des autres dans une armoire pleine à craquer. Des cadres rutilants exposent les diverses distinctions dont Ron s'est vu gratifié après la guerre. Pour la première fois, Hermione découvre la belle couleur pourpre du tapis, libéré des tonnes de paperasse qui l'encombraient autrefois, ainsi que celle du bureau : un acajou très chaud, qui s'accorde étonnamment bien aux cheveux de Ron...

– Assieds-toi, fais comme chez toi, lui indique le jeune homme en désignant une chaise tendue de rouge, en face de son propre fauteuil de cuir clouté.

Hermione s'assoit. Il y a quelque chose d'étrangement formel dans cette disposition. Cela convient à ce qu'elle est venue lui dire. Loin des passions qui les ont agités, il leur faut un cadre calme, apaisé, pour mettre un terme à leur relation et en démarrer une autre, peut-être, une autre fondée sur de nouvelles bases...

– Comment est-ce que tu vas ? lui demande Ron sans préambule, en prenant place en face d'elle. Je me suis inquiété pour toi tout le week-end, mais je me suis dit que tu préférerais ne pas être dérangée...

– Je te remercie... Je vais très bien. Je suis désolée de t'avoir causé de l'inquiétude.

Ron ne dit rien, mais ses yeux s'attardent sur son teint, ses lèvres roses, ses couleurs retrouvées. Hermione sent l’œil exercé de l'Auror parcourir son visage et se demander quelle est la source de ce changement qui lui a paru à elle-même si visible, dans le miroir de sa salle de bain. Aujourd'hui c'est plutôt Ron qui semble avoir perdu ses couleurs. Hermione imagine sans peine les tourments qu'il a dû ressentir, après son petit discours d'adieu au Terrier, toutes ces questions qui ont dû le garder éveillé tout le week-end, pendant qu'elle-même s'abandonnait dans les bras de Drago... Seigneur, comment lui dire ? Elle ne veut pas lui faire de peine. Mais c'est impossible.

– J'ai plusieurs choses à te dire, commence-t-elle, car il faut bien commencer quelque part. Tout d'abord... Je voudrais m'excuser pour mon comportement de samedi. J'étais bouleversée, j'ai dit... un certain nombre de choses que je trouve très dures aujourd'hui, et qui n'auraient pas dû être dites dans un tel contexte, de toute façon... J'ai été terriblement impolie, envers toi, envers ta mère, et toute ta famille... S'il-te-plaît, excuse-moi auprès d'eux, d'accord ?

– Tu pourras le faire toi-même, répond Ron avec douceur. Maman sera toujours là pour t'écouter, tu le sais bien. C'était la première fois que tu revenais depuis tellement longtemps, et avec tout ce que tu as traversé... Tout le monde a compris à quel point tout cela était déstabilisant pour toi. Promis, la prochaine fois, on s'y prendra plus en douceur, d'accord ? Une réunion en petit comité. Rien que toi, moi, Papa et Maman, ça te dirait ?

– Je ne pense pas qu'il y aura de prochaine fois, Ron, répond Hermione, mortifiée par ses propres paroles. Du moins... pas avant un petit moment.

Ron se fige :

– Mais pourquoi ça ?

Hermione se mord les lèvres. Elle voudrait fuir, mais elle se force à croiser le regard de Ron, parce qu'elle le lui doit :

– Je regrette d'avoir été si dure avec vous tous, répète-t-elle. Mais je pense toujours ce que je t'ai dit sur cette colline. Toi et moi... ça ne peut plus marcher. Plus maintenant.

Les couleurs quittent définitivement le visage de Ron. Pendant de longues secondes, il ne dit rien, les yeux fixés dans les siens comme pour y chercher une réponse différente. Mais Hermione ne lui en apporte aucune. Pressentant la tempête qui approche, la jeune femme tend la main pour saisir celle de Ron, qui repose inerte sur le sous-main du bureau :

– Je tiens énormément à toi, Ron, déclare-t-elle avec toute la sincérité dont elle est capable. Ce sera toujours vrai. Tu auras toujours une place dans mon cœur, et dans ma vie, si tu désires toujours me revoir après tout ceci. Mais... pas comme cela. Je ne suis plus la jeune fille dont tu es tombé amoureux il y a des années. Et je n'ai pas envie de le redevenir. Je commence tout juste à être fière de la femme que je suis devenue aujourd'hui, et... cette femme-là en aime déjà un autre.

Ron reste tétanisé par le choc. L'espace d'un instant, Hermione redoute presque qu'il se mette à rire, tant la nouvelle doit lui paraître invraisemblable. Mais non, Ron ne rit pas. Il la dévisage avec un sérieux mortel tandis qu'elle retire lentement sa main de la sienne, et qu'il la regarde faire sans rien dire.

– Un autre ? répète-t-il enfin, comme si seuls ces deux mots s'étaient imprimés dans son esprit.

– Je suis désolée, se défend aussitôt Hermione, comme si une avalanche de reproches allait soudain lui tomber dessus. Je te jure que je ne voulais pas te blesser, que je n'ai jamais eu dans l'idée de te trahir, de te mentir, ou de faire quoi que ce soit qui puisse te faire du mal... Mais quand nous nous sommes remis ensemble, j'étais confuse... Notre relation m'est tombée dessus sans que je ne m'y attende, et pendant tellement longtemps, j'ai cru que c'était ce que je désirais le plus au monde, alors forcément, j'ai été incapable de réfléchir, de prendre du recul, de te dire non, mais... J'aurais dû.

– Tu es en train de me dire que pendant tout ce temps, tu en aimais un autre ?

– Je n'en avais pas encore conscience, bien sûr ! Mais mon cœur, lui, le pressentait... Je n'ai jamais pu vraiment me donner à toi, parce que... Parce que la place était déjà prise, et j'en suis plus que désolée, Ron. J'aurais aimé être plus honnête et plus clairvoyante avec moi-même. J'aurais voulu nous épargner cette peine à tous les deux. Je ne veux pas... Je ne veux pas détruire le lien qui nous unit toi et moi.

– Il me semble que c'est déjà fait.

Ron se recule contre le dos de son fauteuil, sèchement. La colère se dispute à l'incompréhension sur son visage. Il ne veut pas encore y croire, mais le regard rempli de larmes d'Hermione le pousse au pied du mur :

– Est-ce que c'est Malefoy ? demande-t-il, avec toute la perspicacité de l'Auror qu'il est devenu.

Hermione pourrait ne pas répondre. Elle pourrait se contenter de garder le silence, et le laisser déduire la vérité par lui-même. Mais elle veut se conduire mieux que cela. Pour elle, pour Drago, et aussi pour Ron. Elle veut agir avec une honnêteté totale :

– Oui, avoue-t-elle dans un souffle.

– J'aurais dû me douter qu'il y avait quelque chose... Lorsque je vous ai vus tous les deux, chez toi, enlacés... Toi en train de pleurer dans ses bras... C'est une scène que je n'aurais jamais cru possible. Et puis je me suis rappelé à quel point tu avais bon cœur, à quel point toutes les causes étaient toujours bonnes à prendre pour toi, même celles qui semblaient perdues d'avance, et je me suis dit que tu l'avais fait changer. Que vous étiez amis, lui et toi. Rien de plus. Je n'ai pas voulu voir... Je l'ai même trouvé mieux. Changé, en mieux.

– Il a changé en mieux, confie Hermione d'une petite voix. Comme toi. Comme moi.

– Et c'est assez pour que tu te croies amoureuse de lui ? Un ancien Mangemort, qui il y a dix ans à peine aurait été révulsé par la seule idée de respirer le même air que toi ?

– Crois-moi, il se repend pour ses erreurs, chaque jour. Il a droit à une seconde chance !

– Pas moi, visiblement.

Hermione a un instant d'hésitation. Elle se recule dans son siège elle aussi, le temps de trouver les mots justes :

– J'ai essayé, dit-elle au bout d'un moment. J'ai vraiment essayé. Et j'ai été heureuse avec toi pendant ces quelques semaines, je ne vais pas te mentir. Mais il y avait toujours quelque chose qui venait se mettre en nous, que je le veuille ou non. Notre passé. Nos différences. Les choses que nous attendions l'un de l'autre...

– Parce que le passé de Malefoy ne va pas se mettre entre vous, peut-être ?

– Non. Il aime celle que je suis devenue.

Elle marque une pause, de peur de blesser Ron. Mais la résolution se cristallise dans son esprit :

– Il ne me regarde pas comme si je devais être réparée.

Ron accuse le coup. La colère fait place à la douleur, pour la première fois depuis le début de cette horrible entrevue. Il commence à réaliser. Lentement, impitoyablement, cette vérité se creuse dans son esprit. Il va perdre Hermione.

– C'est comme ça que tu crois que je te vois ? murmure-t-il.

– C'est comme ça que tu me vois, répond la jeune femme. Tu le sais au fond de toi, même si tu refuses de l'admettre. Rester ensemble serait une erreur, car je ne cesserai de te décevoir dans ce domaine. Je ne redeviendrai jamais la jeune fille que tu aimais. Elle est morte. Pendant des années, tu m'as demandé de cesser de me raccrocher au passé, d'accepter le sort de mes parents, d'aller de l'avant... Aujourd'hui, c'est toi qui t'accroche à un fantôme. Laisse-le partir. Avance toi aussi, construis la vie superbe qui n'attend que toi, je n'en ai aucun doute.

– Je croyais qu'au final, c'était toi qui avais raison ? Tu vas bientôt sauver tes parents, pas vrai ? Pourquoi est-ce que ce ne serait pas aussi possible pour nous ?

– Parce que je l'aime.

Hermione fait tout pour empêcher sa voix de trembler en disant ces mots :

– Je l'aime, et je veux être avec lui. A partir de là... Que veux-tu qu'il se passe pour nous ? Tu voudrais vraiment encore de moi, tout en sachant que mon cœur et mes pensées iraient à un autre homme ?

Ron se prend la tête entre les mains. Lentement, il incline son regard, tandis que ces paroles terribles dévastent tout en lui. Hermione s'en veut, mais elle ne peut plus reculer à présent. Cacher la vérité ou la retarder ne ferait que provoquer davantage de dégâts.

– Je n'arrive pas à croire ce que tu me dis..., articule enfin le jeune homme sans se redresser, et Hermione comprend qu'il tente de lui cacher ses larmes. Tu ne m'aimes plus... Tu l'aimes lui...

– Je ne t'aime plus comme avant, c'est vrai, nuance-t-elle. Mais tu compteras toujours énormément pour moi.

– Ça n'a rien à voir !

– Je sais que c'est difficile maintenant. Mais, crois-le ou non, je ne veux pas que ce jour soit un adieu entre nous. J'espère que nous pourrons rester présents dans la vie l'un de l'autre, et être amis, comme nous l'avons toujours été... Je n'imagine pas ma vie sans toi, Ron.

– Alors pourquoi veux-tu me laisser... ?

Bouleversé, Ron braque son regard dans le sien en lui adressant ces mots. Il lui reprend la main, et Hermione n'a pas le cœur à la lui refuser.

– Je me suis enfin décidée à appliquer tes conseils, répond doucement la jeune femme. Je suis prête à aller de l'avant. Mais pas de la façon dont tu l'imaginais, c'est tout.

– Et tu crois qu'il peut te rendre heureuse ? Malefoy ? Tu crois pouvoir être heureuse avec lui comme nous l'avons été tous les deux ?

Hermione secoue la tête :

– Le bonheur n'aura plus jamais la même saveur pour moi, après tout ce qu'il s'est passé, murmure-t-elle. Mais oui, il peut me rendre heureuse. Je le suis déjà.

– Tu étais avec lui, ce week-end ?

– Oui.

– Vous avez...

Ron s'interrompt. Malgré son vœu d'honnêteté, Hermione sait bien que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. Elle n'ajoute rien. Peu à peu, la réponse s'exprime toute seule dans leur silence, et elle scelle la distance entre eux deux.

– Je ne sais pas ce que je vais faire sans toi, Hermione...

– La même chose que ces trois dernières années.

– Mais je me raccrochais à l'idée de te retrouver !

– Non. Pas uniquement. Sinon, tu n'aurais pas autant changé.

Hermione regarde autour d'elle : le bureau bien rangé, la pièce claire et lumineuse, et même quelques plantes vertes entretenues sur le rebord des fenêtres... Toutes ces distinctions, pour ce jeune homme remarquable qui se tient devant elle :

– Tu t'es épanoui, en mon absence. Tu t'es accompli. Peut-être était-ce motivé par l'envie de me plaire, de me reconquérir, au moins au début, mais... Ces résolutions, tu les a tenues, Ron. Pendant plus de trois ans maintenant. Elles font partie de toi ; tu as changé en profondeur. C'est le genre d'accomplissement que l'on ne peut obtenir que par et pour soi-même. Tu as changé pour toi, pour devenir meilleur. Et c'est très bien. Tu t'en sortiras sans moi. Tu as appris à le faire. Et je ne sortirai jamais totalement de ta vie, si tu veux toujours bien de moi. Nous serons amis. J'ose espérer que... nous le sommes toujours.

Ron se redresse, retire sa main, sans plus dissimuler les larmes qui coulent librement sur ses joues. Jamais Hermione ne l'a vu aussi vulnérable qu'en cet instant. Jamais l'ancien Ron n'aurait ainsi dévoilé sa faiblesse devant elle :

– Je sais que je devrais te haïr, déclare-t-il entre ses dents serrées. Mais je ne peux pas. Je ne pourrai jamais te haïr, Hermione.

– Moi non plus...

– Mais t'imaginer avec Malefoy... C'est surréaliste !

– Tu ne le connais pas. Pas assez bien. Tu n'as aucune idée de tout ce qu'il a fait pour moi.

– Si, je crois que j'en ai une petite idée...

– Si tu le connaissais mieux, je suis sûre que tu l'estimerais. Malgré sa relation avec moi.

Ron secoue la tête. Hermione se doute d'à quel point cette discussion doit être difficile pour lui, et du sang-froid dont il fait preuve :

– Je ne dis pas que je ne l'estime pas, finit par articuler le jeune homme sans la regarder. Je suis juste... Il m'a volé l'amour de ma vie, c'est tout.

Hermione se penche vers lui. Elle lui effleure à nouveau la main :

– On n'a pas qu'un seul amour, dans la vie, souffle-t-elle. Tu as été mon grand amour, Ron. Drago l'est aussi. Je ne doute pas que tu retrouves un grand amour un jour toi aussi. Tu le mérites. C'est tout ce que je te souhaite. Je veux que tu sois heureux. Je ne veux pas que tu souffres trop par ma faute, même si je sais bien que c'est impossible... Je veux que nous restions amis toi et moi, et que d'ici quelques années, nous puissions nous revoir en laissant toutes ces blessures derrière nous...

– Tu dis ça pour te donner bonne conscience...

– Crois-moi, j'ai tout sauf bonne conscience en cet instant.

Ron détache ses doigts des siens. Il les regarde, comme s'il prenait conscience de ce contact pour la toute dernière fois. Jamais plus ses mains ne s'uniront à celles d'Hermione comme celles d'un amant. Jamais plus il n'embrassera ses lèvres, ni ne la serrera nue dans ses bras. Tout cet univers qui fait d'elle la jeune femme qu'il aime, il doit y renoncer. Tout lui est retiré, du jour au lendemain. Au profit d'un autre homme...

– Je voudrais rester seul, déclare-t-il au bout d'un long, très long moment.

Hermione se tend, mais n'ose pas protester :

– Oui, bien sûr... Je comprends.

Elle fait mine de se lever, mais il la paralyse de son regard bleu, où ne brille plus aucune larme :

– Je veux dire que... Pour l'instant, je ne suis pas sûr de pouvoir rester ami avec toi. Tu comprends ? Si tu veux vraiment partir, si tu veux vraiment le choisir lui, et démarrer une nouvelle vie... Je ne pourrai pas endurer ça. Pas tout de suite. J'ai besoin de temps pour... Pour faire mon deuil.

Hermione avale sa salive. La dureté dans la voix de Ron lui fait mal, mais sans doute est-ce une souffrance qu'elle a mérité. Comment pourrait-elle le blâmer ? Cette réaction, même si elle la redoutait, elle l'attendait.

– Je comprends, répète-t-elle pour la deuxième fois. Si tu crois que nous avons besoin de distance pour... pour nous remettre, toi et moi, alors je l'accepte. Je ne te dérangerai pas, je te le promets.

Le souvenir du mot glissé sous sa porte lui revient soudain en mémoire, et son aspect prémonitoire la ferait presque sourire :

– Ecris-moi, quand tu seras prêt.

Ron semble saisir l'allusion lui aussi. Déjà, il croise ses mains sur son bureau et se perd dans la contemplation de ses doigts vides. La mort dans l'âme, Hermione se lève et lui lance un dernier adieu sur le pas de la porte :

– S'il-te-plaît, ne m'en veux pas trop...

Il reste immobile, sans la regarder. Pendant un instant, Hermione croit qu'il ne lui répondra jamais. Mais il finit par lever les yeux sur elle, une dernière fois :

– Moi aussi, je veux que tu sois heureuse, dit-il. Je te le souhaite. Tiens-moi au courant quand tes parents iront mieux.

Et alors, d'un coup de baguette, la porte se referme sur Ron et Hermione.



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