Narcissa
Il fait noir. L'air n'a aucune odeur, aucune chaleur, aucun son. Rien pour se repérer, pas même le bruit de sa respiration. Au milieu de ces ténèbres, Drago erre sans fin, incapable de crier, de courir ou de se protéger. Il n'a plus de corps. Plus de mains pour toucher, plus de peau pour sentir. Il n'est qu'une conscience jetée là dans un puits sans fond, cherchant désespérément la lueur de la surface, mais sans jamais la retrouver. Il n'existe que parce qu'il a conscience d'exister : tout le reste n'est plus que poussière. Le vide ondule autour de lui tel un océan monstrueux, des abysses d'où sortent de temps à autre les fantômes qui hantent sa conscience.
Cette nuit, c'est le fantôme de sa mère qui émerge des limbes. Narcissa tend vers lui ses doigts réduits à l'état de squelette, et comme à chaque fois, ses paroles accusatrices brisent le silence intérieur de Drago :
– Pourquoi m'as-tu abandonnée, Drago ? Tu étais mon fils. Je t'aimais. Tu m'as brisé le cœur, et tu m'as laissée mourir seule, torturée par des inconnus... Pourquoi est-ce que tu m'as laissée, Drago ? Pourquoi est-ce que je suis morte, et pas toi ?
Drago ouvre les yeux en sursaut. L'air pénètre ses poumons comme s'il revenait de loin, de très loin dans l'abîme de sa conscience. L'espace d'un instant, il ne sait plus où il est, qui il est, d'où il vient. Il fait noir dans la pièce où il se trouve, mais pas aussi noir que dans son esprit. La lumière du soleil perce péniblement à travers les persiennes. C'est une chambre. La chambre d'Hermione.
Déchiré entre soulagement et panique intense, Drago se laisse lourdement retomber sur son oreiller et expire un grand coup. Ce n'est pas le premier rêve de ce genre qu'il fait, mais ce serait mentir que d'affirmer qu'il s'y habitue. Cela fait presque deux mois à présent qu'il s'est réinstallé dans l'appartement d'Hermione. Deux mois qu'il n'occupe plus sa chambre d'amis, mais bien son lit à elle, dans sa jolie petite chambre douillette aux tons vert pastel. Deux mois qu'il a quitté sa cave sordide près de l'Allée des Embrumes, après la nuit intime qui les a réunis, Hermione et lui, tressant leurs deux vies ensemble jusqu'à les rendre indissociables...
Drago soupire. Cela fait deux mois qu'ils sont ensemble, et qu'il réapprend peu à peu à laisser le bonheur entrer dans sa vie. Mais le bonheur n'est pas le seul à y entrer.
Les premiers jours, Drago évoluait dans une bulle d'harmonie si parfaite qu'elle tenait les rêves à l'écart. Mais cela ne pouvait pas durer, bien sûr. Rien ne dure jamais, surtout avec le pessimisme naturel qui s'est glissé dans son cœur au fil des années. Plus que n'importe qui d'autre, Drago a entraîné son esprit à fuir l'espoir et les fantasmes depuis la mort de Voldemort. Il l'a fait pour assurer sa survie, se faire oublier, et pour se punir un peu peut-être, aussi... Quoi qu'il en soit, ce caractère terre-à-terre qu'il s'est forgé durant tout ce temps s'est aujourd'hui retourné contre lui : même amoureux fou d'Hermione et partageant sa vie avec elle, il n'a pu tenir ses idées noires à l'écart plus de quelques jours... Et sa maladie avec elles.
Inspirant et expirant profondément, Drago se force à réguler sa respiration et se concentre sur le rythme de son cœur. Les yeux grands ouverts pour dissiper l'obscurité, il laisse venir à lui chaque petit détail de l'existence ; il les appelle de ses vœux. La texture satinée des draps sous ses doigts. La fermeté du matelas. Les bruits de la rue qui lui parviennent à travers le simple vitrage de la fenêtre. L'odeur d'Hermione encore endormie à côté de lui... Autant de petites preuves que Drago est ici, en vie aujourd'hui, étendu dans cette chambre, et qu'il s'est bel et bien réveillé. Que ce qu'il vit est réel, et qu'il a laissé le cauchemar derrière lui, du moins pour un temps. Chaque matin, il lui devient de plus en plus difficile de se réveiller...
Il est difficile de se raccrocher à la réalité, lorsque celle-ci vous échappe. Lorsque vous devez la retenir par toutes les cellules de votre corps. Quelques fois, Drago a l'impression d'être devenu poreux, comme un tissu mouillé : la réalité le traverse sans qu'il ne parvienne à la retenir, grappillant quelques gouttes à peine pour se rappeler, peut-être, du monde qui vient de le quitter...
A ses côtés, Hermione remue soudain, ouvrant les yeux pour le trouver déjà éveillé, comme chaque matin :
– Toujours le même rêve ? demande-t-elle, ses sourcils se fronçant aussitôt d'inquiétude.
Drago acquiesce sans rien dire. Ses rêves ont le don de lui couper le souffle, et les mots avec lui. Il lui faut toujours de longues minutes pour se réaccoutumer au son de sa voix et poser des phrases sur ce qu'il a vécu.
Pleine de compassion, Hermione se rapproche pour se lover contre lui et pose sa tête sur sa poitrine. Ils restent ainsi un long moment sans parler, laissant leurs deux respirations s'harmoniser dans la quiétude du petit matin. Seule la présence de la jeune femme permet à Drago de se calmer et de retourner véritablement au réel :
– Je n'arrête pas de voir ma mère, confie-t-il alors. Je fais le même rêve, encore et encore... Mais je ne suis même pas sûr que ce soit un rêve.
Ces paroles résonnent comme une sentence. Tous deux n'osent le dire, mais ils savent très bien comment a évolué la situation de Drago au cours des deux derniers mois. Après quelques jours d'un mieux indéniable, sans rêve et avec des sensations quasi retrouvées, les visions sont revenues, toutes plus terribles les unes que les autres, et ses sens ont de nouveau décliné... Inéluctablement.
Oh, certes, Drago va mieux que lorsqu'Hermione l'a découvert inanimé dans sa cave, pratiquement perdu en lui-même. Ses perceptions restent meilleures que celles qu'il avait au moment où il songeait à renoncer, et une étreinte avec Hermione suffit souvent à l'enivrer de sensations l'espace de quelques minutes. Mais il n'est pas guéri malgré tout. La maladie reste attachée à lui comme une gangrène, ralentie peut-être, mais attendant toujours son heure pour proliférer. Tôt ou tard, elle finira par gagner... Et chaque jour, elle grignote un peu plus de terrain sur sa volonté.
– Peut-être que tu n'arrêtes pas de rêver d'elle parce qu'au fond de toi, tu sais que cette histoire n'est pas résolue, murmure alors Hermione en se redressant pour le regarder.
– Qu'est-ce que tu veux dire ?
– Ta mère est morte à cause de ce que ces gens lui ont infligé.
– Mon père a dit qu'elle était déjà faible. Ce qu'ils lui ont fait lui a été fatal, mais sa santé se dégradait déjà avant cette attaque, et c'était entièrement à cause de moi...
– Tu crois vraiment à ce que ton père t'a raconté ?
Drago se redresse à son tour en position assise et secoue la tête :
– Il ne mentait pas. Je sais que ma mère souffrait, et elle souffrait à cause de moi.
– De là à en mourir ? Je suis désolée de briser tes idées romanesques, Drago, mais les gens ne meurent pas de chagrin. Le moral peut avoir une influence sur ta santé, bien sûr. Mais en l'occurrence, c'est un sortilège qui a été fatal à ta mère. C'était un meurtre. Et au fond de toi, l'idée qu'on ait pu la torturer à mort t'obsède...
– Evidemment ! Ça ne t'obséderait pas, toi ?
– Bien sûr que si. C'est pour cela que je pense que ta mère t'apparaîtra en rêve, tant que tu n'auras pas fait la paix avec toi-même au sujet de sa mort.
– Faire la paix avec moi-même...
Drago réprime son rictus, car il sait qu'Hermione n'aime pas lorsqu'il se comporte ainsi. Il n'en pense pas moins, pourtant...
Doucement, la jeune femme caresse la peau nue de son dos, faisant naître en lui une tornade de frissons :
– Je t'aime, dit-elle avec toute la ferveur dont elle est capable. Pourquoi n'es-tu pas capable de t'aimer, toi aussi ?
D'une pression du doigt sur son menton, elle le force à la regarder :
– Pourquoi n'es-tu pas capable de voir le jeune homme extraordinaire dont je suis tombée amoureuse, et qui m'a ramenée à l'existence ?
Drago sourit. Ils ont déjà eu cette discussion, et il n'est pas prêt à reprendre ce débat de si bon matin. Il lui abandonne volontiers la victoire d'un baiser puis se lève pour aller se doucher. Narcissa restera repoussée dans un coin de son esprit, du moins pour un temps.
℘
Drago et Hermione se séparent sur le seuil de leur appartement. A présent que le processus de réintégration des souvenirs de Jonathan et Edith est presque achevé, le jeune homme n'a en effet plus la nécessité de se rendre à l'hôpital tous les jours. C'est pourquoi depuis plusieurs semaines maintenant, il a entrepris de réaccueillir de nouveaux clients. Une idée qui a encore du mal à faire son chemin dans l'esprit d'Hermione :
– Tu es sûr que tu veux vraiment faire ça encore longtemps ? lui demande-t-elle une nouvelle fois ce matin juste avant qu'il ne lui dise au revoir. Effacer les souvenirs de personnes qui ne supportent pas leurs propres erreurs ? Redonner bonne conscience à des maris adultères et à des femmes volages, cacher tous les petits vices des uns et des autres, juste parce que c'est plus facile que de vivre avec, de se faire pardonner et de progresser ?
– J'entends à peine la morale dans ta voix, sourit Drago en lui ébouriffant les cheveux.
Puis il reprend, plus sérieusement :
– Je n'efface pas les souvenirs, je les modifie. Et je ne fais pas que cacher de petits vices : je viens vraiment en aide à certaines personnes, parfois. J'efface des traumatismes qu'ils n'ont pas choisis. Des blessures de guerre, des maltraitances d'enfance, du harcèlement, des humiliations...
Hermione secoue la tête :
– Je ne suis pas sûre que ce soit la bonne méthode pour guérir de ce genre de maux.
– Que recommanderait le grand Mage Granger, alors ?
Hermione sent le brin de moquerie derrière sa remarque, mais il n'y a pas de méchanceté en Drago, aussi ne relève-t-elle pas :
– La guérison provient aussi bien de l'extérieur que de l'intérieur, répond-elle alors. Pour moi, ce dont ces gens ont besoin, c'est d'une prise de conscience. La révélation qu'ils valent mieux que tout le mal qu'on leur a infligé. Que ce n'est pas leur faute, et qu'ils ont survécu malgré toutes les fois où la vie a tenté de les salir...
– C'est très beau, ce que tu dis.
Elle lui donne un coup de coude :
– Tu te moques encore de moi !
– Moi ? Je n'oserais jamais.
Même s'il tente de le cacher, Drago se sent néanmoins troublé par les mots d'Hermione, aussi se dépêche-t-il d'expédier le sujet :
– Quoi qu'il en soit, jusqu'à ce que tu trouves un moyen de révolutionner la terre entière, cette boutique, c'est toujours mon métier, conclut-il. C'est ce que je fais pour gagner ma vie, et ça me plaît.
– Vraiment ?
Hermione hausse un sourcil :
– C'est drôle, tu sais. Je suis venue te voir parce que je voulais reconstruire les souvenirs de mes parents. Je courais après le passé, tandis que toi, tu cherchais à l'effacer... C'est une chance qu'on se soit retrouvés à mi-chemin.
Elle dépose un baiser sur sa joue ; sa manière à elle d'avoir le dernier mot :
– Je reste persuadée que tu faisais plus de bien en rendant leurs souvenirs à mes parents qu'en modifiant ceux des autres.
Drago acquiesce en souriant et la laisse transplaner. Ses paroles restent néanmoins avec lui lorsqu'il rejoint sa boutique, où son premier client du matin l'attend déjà : un autre mari adultère, comme Hermione l'avait prédit.
La journée s'écoule sans que Drago ne parvienne à extirper ce débat stupide de sa tête, avec en fond sonore les supplications de sa mère en décomposition... A mesure que le soleil décline, Drago redoute l'heure de partir, car il sait qu'alors, ses rêves le rattraperont. Il a peut-être bien menti lorsqu'il a affirmé à Hermione que ce métier lui plaisait. Après avoir passé des mois à voir défiler et reconstituer la vie lumineuse de Jonathan et Edith Granger, se plonger dans les vices cachés du sorcier moyen lui semble bien terne et, en fin de compte, futile. C'est une tâche mortifère qui le pousse à s'absorber dans les souvenirs noirs des autres jusqu'à s'y perdre totalement. Si l'on venait à fouiller un jour dans ses propres souvenirs, on y déterrerait forcément tous ces dossiers sur lesquels il a travaillés, toutes ces vies qu'il a vues défiler par fragments, un amoncellement de péchés et de traumatismes éclipsant son propre quotidien... Depuis quand sa vie s'exerce-t-elle exclusivement à travers celle des autres ? Depuis quand n'a-t-il plus osé se faire ses propres souvenirs à lui ?
Drago soupire. Même lorsqu'il s'efforce de se concentrer sur son travail, ses mauvaises pensées le rattrapent. A croire que les vieilles habitudes ont la vie dure. D'un air distrait, Drago jette un coup d’œil aux dernières fioles de souvenirs étiquetées « Jonathan et Edith Granger », et qui patientent sagement avant de rejoindre leurs destinataires. Eux aussi, bientôt, pourront se recréer de nouveaux souvenirs bien à eux... Ils seront libres de quitter l'hôpital, et de reprendre leur vie là où elle s'était arrêtée dix ans plus tôt. Pourquoi Drago a-t-il si peur de faire de même ? Pourquoi la seule pensée de se créer un avenir avec Hermione lui évoque-t-elle toujours les doigts glacés de sa mère autour de son cou, qui tentent de le retenir ?
Drago secoue la tête. L'implantation des derniers souvenirs est pour dans une semaine. Il sait qu'Hermione redoute ce moment, car au cours des deux derniers mois, ses parents se sont vus remplir la tête des souvenirs de son enfance à elle. Sa naissance, du premier souffle jusqu'à ses onze ans. Mais dans une semaine, ses parents recevront le souvenir de sa première lettre de Poudlard. Ils apprendront que leur fille, qu'ils réclament à cor et à cri depuis qu'ils en ont retrouvé des souvenirs, est en réalité une sorcière. Une sorcière qui leur a effacé la mémoire, qui a plongé dix ans de leur vie dans un néant absolu, et qui a recréé leurs souvenirs de toutes pièces pour les en sortir...
Oui, Hermione redoute la réaction de ses parents, et Drago ne la comprend que trop bien. C'est cette quête qui les a réunis il y a plusieurs mois maintenant. Au fond de lui, il a cette impression étrange que de l'issue de cette quête dépendra leur bonheur à eux aussi...
« Pourquoi est-ce que tu m'as laissée, Drago ? »
N'y tenant plus, Drago se lève d'un bond de son fauteuil rembourré, abandonnant le souvenir sur lequel il s'acharne depuis deux heures. De toute façon, il est visiblement trop perturbé aujourd'hui pour arriver à quoi que ce soit. Dehors, un rayon de soleil l'informe que la bruine qui s'abattait sur Londres depuis ce midi s'est enfin arrêtée. Le monde ruisselle de gouttelettes dorées, apportant par la fenêtre entrouverte un souffle d'air frais. Cédant à ses impulsions, Drago attrape son manteau et décide d'aller faire un tour dans le Londres Moldu.
Il lui est toujours difficile de s'aventurer en quartier sorcier : peur qu'on le reconnaisse et qu'on l'interpelle en pleine rue, d'autant plus si Hermione se balade à ses côtés... Non, Drago préfère le côté rassurant des rues Moldues de Londres, et il se laisse ainsi dériver sans but, au rythme de ses pensées.
Celles-ci le ramènent encore et toujours vers sa mère. Le visage, l'odeur, la voix de Narcissa : Drago a la sensation de l'apercevoir à chaque coin de rue, presque comme si elle était plus réelle que le monde autour de lui. Il connaît bien ce sentiment. La culpabilité a le don de s'insinuer partout dans nos vies, elle écrase le monde, remplit l'air, les saveurs et les sons, jusqu'à ce qu'on étouffe. Drago suffoque à cet instant, et c'est en cédant à ce sentiment obsédant qu'il transplane soudain vers le lieu que lui dicte sa conscience.
℘
Il a plu aussi dans le Wiltshire, cet après-midi. L'air exhale cette odeur particulière d'humus et de pierre mouillée qui sied si bien aux petits villages d'Angleterre. Mû d'une soudaine inspiration, Drago rabat la capuche de son manteau de sorcier sur ses cheveux de peur d'être trop reconnaissable. Au loin, la silhouette décharnée du manoir Malefoy se dresse, aussi délabrée que la dernière fois qu'il s'y est rendu pour rendre visite à son père.
Ce seul souvenir fait naître des frissons au bas de sa colonne vertébrale. Lucius est-il toujours là, enveloppé dans sa robe de chambre trouée aux mites, écartant un lambeau de rideau poussiéreux pour apercevoir la silhouette de son fils ? Drago espère de tout coeur qu'il ne s'apercevra pas de sa visite. Remontant rapidement la rue principale du village, il s'éloigne du manoir pour s'enfoncer plus profondément dans la campagne anglaise. C'est un petit chemin de terre bordé de coquelicots qui le conduit finalement jusqu'à l'entrée du cimetière.
Les habitants du village l'ont organisé simplement : un petit muret de pierres sèches, quelques haies de buis par-ci par-là, et surtout, l'ombre d'un grand if qui protège les sépultures de la pluie.
Drago écarte les grilles, aussi discrètement que possible, et se glisse dans cette atmosphère silencieuse.
De longues minutes, il déambule entre les pierres tombales, honteux d'ignorer jusqu'à l'emplacement même de la tombe de sa mère. Quand soudain, enfin, il l'aperçoit. "Narcissa Malefoy", gravé dans la pierre froide du marbre blanc que sa mère affectionnait temps.
L'espace d'un instant, Drago reste paralysé par cette vision. Comme si la réalité de la mort de sa mère ne le frappait que maintenant, avec la violence d'un pare-choc de voiture. Il y a quelque chose de terrible dans la vision d'un nom gravé sur une tombe. Comme une sentence irrévocable, une ligne qu'il nous est impossible de franchir. Drago et sa mère sont séparés par bien plus qu'une tombe à cet instant, mais par cette frontière indéfinissable entre la vie et la mort, ce qui fut, et ce qui bat encore.
Lentement, Drago s'agenouille. Il n'a pas besoin d'une inspection pour se rendre compte que la tombe n'est pas entretenue. De la terre, des feuilles et de la boue maculent la surface autrefois immaculée de la pierre. Plus personne n'a déposé de fleurs depuis longtemps, s'il y en a jamais eu un jour. Pire que cela même : si Narcissa Malefoy a un jour reçu des visiteurs, ceux-ci n'étaient pas bienveillants. Ils ont laissé des traces de leur passage sur la sépulture : en lettres écarlates, taguées à même la pierre, quelqu'un a écrit à plusieurs reprises "MANGEMORT", et même un "MangeBITE" énorme, juste à côté du nom de Narcissa. Et personne n'a pris la peine de l'effacer.
Trop choqué pour réagir, Drago reste immobile quelques instants, frappé par la violence de l'insulte. Puis, lentement, il sort sa baguette de sa poche et efface l'inscription d'un seul geste. Dans la foulée, mû par un sentiment indéfinissable, il nettoie la tombe, déploie une couronne de narcisses blanches sur le marbre, et dresse autour de la pierre tombale une série de sortilèges protecteurs qui feront regretter chèrement leur passage aux prochains profanateurs...
Alors, seulement, il se rend compte qu'il a serré les poings jusqu'à s'enfoncer les ongles dans la chair de ses paumes. Drago inspire à fond. Il se force à se détendre et, aussi douloureux cela soit-il, à ressentir l'instant. L'odeur de pluie tout autour de lui. Le calme et la beauté paisible du cimetière. Le chant des oiseaux au loin. La douleur dans ses mains. Il convoque le souvenir de son étreinte avec Hermione dans un autre cimetière, le cimetière de Highgate, il y a lui semble-t-il une éternité, et il arrive à se sentir un peu mieux...
Il sait pourquoi il s'est rendu ici. Il sait ce qu'il doit faire. Hermione le lui répète depuis toujours, mais c'est comme s'il comprenait enfin le sens de ses paroles. Affronter ses démons. Guérir en soi-même :
- Je suis désolé de ne pas être venu plus tôt, Maman..., murmure Drago, et des larmes coulent sur ses joues. Je suis désolé d'être parti comme ça sans dire un mot, et de ne t'avoir jamais donné de nouvelles. Je suis désolé de ne pas avoir été là quand...
Sa voix se brise :
- Quant tu avais besoin de moi. Et surtout, je suis désolé que tu te sois crue abandonnée... Je t'aimais, je te l'assure. Je t'aimais infiniment. Et je t'aime toujours.
Baissant les yeux, Drago ramasse compulsivement quelques graviers du cimetière et les fait tourner entre ses doigts :
- Père avait raison au moins sur une chose, articule-t-il comme si ces paroles le blessaient physiquement. Il n'y a pas eu de justice pour toi, Maman. Les hommes qui t'ont fait ça, qui ont brisé ton corps, ton esprit, et même ta tombe... Ils sont toujours là, quelque part. Et personne n'en a rien à foutre. Personne n'en a rien à foutre.
D'un geste sec, Drago jette les caillous loin de lui, aussi fort qu'il le peut. Il voudrait hurler, mais il n'y arrive pas. La colère arrive, par vagues, ce sentiment étouffé qu'il ne parvenait pas à identifier et qui hantait ses rêves toutes les nuits. Il sait désormais quel dilemme irrésolu sommeillait encore tout au fond de lui. De quel fantôme il se cachait, une fois de plus. A la mort de sa mère s'ajoute en plus la culpabilité de ne pas avoir réclamé justice pour elle... Qui voudrait ouvrir une enquête sur la mort de Narcissa Malefoy, pas vrai ?
Rassemblant tous ses efforts pour contenir ses tremblements, Drago trouve la force de se remettre debout :
- Tu ne méritais pas d'être humiliée comme ça..., murmure-t-il à sa mère en songeant à cette terrible inscription. Tu ne méritais pas de mourir ainsi... Tu méritais tellement mieux. Tu méritais un meilleur fils.
Drago essuie ses larmes, sa résolution se cristallisant en même temps que ses remords :
- Je te le promets, je vais faire mieux, Maman. Je vais me battre pour toi comme j'aurais dû le faire six ans plus tôt. Je vais faire mieux.
Et il transplane, le coeur rempli de cette promesse.
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