Passé, Présent, Avenir

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La scène a quelque chose d'étonnamment banal. Le hall des départs d'un aéroport, avec son va-et-viens de voyageurs sans nom et sans but, ce chassé-croisé d'inconnus qui ne font que transiter sur cette gigantesque plaque-tournante, qui les catapultera à l'autre bout du globe tel une comète prodigieuse...

Pour Hermione, cette atmosphère incroyablement Moldue lui rappelle plus que jamais sa petite enfance. Quand elle prenait l'avion avec ses parents pour leurs vacances d'été en famille, vers les rivages ensoleillées de la Grèce, de l'Egypte ou de l'Espagne... Ses parents étaient férus d'Antiquité, à cette époque. Son père, surtout. Hermione s'était découvert une passion pour l'histoire avec lui, une passion qu'elle avait étendue par la suite à l'Histoire de la Magie, malgré tout ce qu'on pouvait raconter sur l'ennui du professeur Binns... Que reste-t-il de cette passion aujourd'hui ?

En consultant le tableau des départs, points de ruines antiques au programme ce jour-là. Jonathan et Edith Granger embarquent dans le prochain vol pour l'Australie. Le pays où, précisément, Hermione avait décidé de les envoyer, lorsqu'elle leur avait retiré leurs souvenirs d'elle, dix ans plus tôt... Quelle ironie. Quelque part au fond d'elle, la jeune femme ne peut s'empêcher de se demander s'il s'agit là d'un ultime vestige de son sortilège, une tumeur larvée qui n'attend que son absence pour se réveiller, et cela la remplit d'angoisse... Mais elle a promis de les laisser partir. Alors elle le fera.

- Vous êtes sûrs que vous avez tout ce qu'il vous faut ? demande-t-elle à sa mère tandis qu'Edith rajuste son foulard d'aventurière autour de son cou.

- Je crois bien, répond cette dernière. Dans le pire des cas, nous achèterons ce qu'il nous manque là-bas.

- Faites attention aux serpents, hein. Et aux kangourous : ils sont plus dangereux qu'on ne le croie !

- Je le sais ma chérie, tu me l'as déjà dit. Je n'ai pas l'intention de m'approcher à moins d'un kilomètre d'un kangourou, je te le promets.

Edith se fend d'un sourire indulgent, et Hermione se sent rougir. Elle se revoie dix-sept ans plus tôt, sur le quai du Poudlard Express. Petite fille surexcitée attendant de s'embarquer pour le plus grand périple de sa jeune existence. Ce jour-là, c'étaient ses parents qui s'étaient montrés anxieux... Mais aujourd'hui, elle se fait l'effet d'une mère rabat-joie surprotégeant ses ados :

- Vous m'écrirez, n'est-ce pas ? s'enquiert-elle sans pouvoir s'en empêcher.

- Bien sûr. Chaque semaine. Et nous remplirons nos évaluations personnelles pour ton collègue aussi régulièrement que possible.

Hermione acquiesce. Elle a beau s'être faite à l'idée, la pilule a toujours du mal à passer en son âme et conscience. Pour respecter la décision de ses parents, elle s'est définitivement déchargée de leur dossier médical... Elle n'est désormais plus leur Médicomage attitrée. Elle a passé la main à l'un de ses confrères, certes très qualifié, mais qui a d'ores et déjà promis de ne rien lui laisser filtrer des informations qu'il traiterait... Une manière encore plus radicale, si c'était encore possible, de la tenir à l'écart de leur vie.

- Toi aussi, tu m'écriras ? demande alors Hermione à Jonathan Granger.

Il se retourne vers elle. Il a déjà beaucoup changé depuis sa dernière injection de souvenirs. Il semble avoir démesurément rejeté le style vestimentaire de ses souvenirs pour s'en choisir un nouveau, peu importe lequel du moment qu'il ait été décidé par lui. A l'heure actuelle, il ressemble donc à un étonnant sosie d'Indiana Jones, avec sa chemise de toile beige, son Traveller en feutre posé de travers sur ses cheveux grisonnants, et la légère barbe de trois jours qui lui mange les joues.

A sa manière discrète, Edith a visiblement choisi de l'accompagner dans cette voie, puisqu'elle arbore elle aussi l'allure d'une exploratrice de l'époque coloniale.

- J'ai promis que je le ferai, répond sobrement Jonathan. Prends soin de toi, de ton côté.

Ses yeux se posent sur elle, sans jamais s'attarder, avec cette dureté mêlée d'hésitation et de froideur qui caractérise leurs rapports depuis leur première entrevue. Hermione a appris à ne plus s'en formaliser. Du moins essaye-t-elle de s'en convaincre... Avec le temps, cela lui sera peut-être moins douloureux.

A ses côtés, heureusement, Drago est bien présent, détonnant au milieu de ce temple de la civilisation Moldue, avec sa beauté surnaturelle et sa haute silhouette emmitouflée de noir. Aucun doute, il attire tous les regards, admiratifs, curieux ou méfiants, mais il ne semble pas s'en rendre compte. A moins qu'il ne s'en préoccupe pas, tout simplement. Son attention est entièrement tournée vers elle à cet instant, et Hermione parvient presque à percevoir physiquement son soutien, telle une vague chaude et apaisante qui se déposerait sur son coeur pour y polir toutes ses souffrances.

- Ne perdez pas ça, dit le jeune homme en tendant à Jonathan l'étiquette de sa valise. Ecrivez-nous quand vous serez arrivés, et faites bon voyage.

Lui aussi porte dans sa voix une raideur qu'il ne cherche pas à dissimuler. Jonathan le sent bien. Un long moment, les deux hommes échangent un regard qui se passe de parole, un regard qui ancre un peu plus Jonathan dans la réalité de sa situation :

- N'oubliez pas ceux qui vous aiment, et qui feraient n'importe quoi pour vous, conclut Drago sans le délivrer de ses iris intenses.

Jonathan acquiesce. Pour la première fois depuis leur arrivée à l'aéroport, il perd un peu de sa superbe, et tandis qu'Edith se jette chaleureusement dans les bras de sa fille pour l'embrasser, il les regarde faire, vaguement déboussolé, avant d'oser les rejoindre dans une étreinte timide :

- Merci, ma fille, murmure-t-il, si bas qu'Hermione n'est même pas sûre de l'avoir entendu.

Elle se recule pour le dévisager, mais déjà il se retourne, empoigne son sac à dos et s'en va sans espoir de retour. Edith hésite quelques instants avant de le suivre, puis les quitte sur un dernier salut. Hermione reste suspendue à ce spectacle : ses deux parents s'en allant loin d'elle, vivre un horizon dont elle ne fera plus partie, mais de nouveau heureux et libres...

Drago lui presse l'épaule :

- Est-ce que ça va ? lui demande-t-il avec toute la douceur possible.

Elle frémit, mais se force à répondre :

- Je savais que ce serait difficile, avoue-t-elle, contenant avec peine les sanglots dans sa voix. Mais c'était la bonne chose à faire, et je l'ai faite.

- Oui, tu l'as faite. Je suis fier de toi, mon amour. Tellement fier, si tu savais.

Hermione fond en larmes. Elle ne résiste plus : elle enfouit sa tête contre le torse de Drago et pleure toutes les larmes de son corps. Il ne cherche pas à l'en empêcher. Il caresse ses cheveux tout doucement, comme si elle était un très jeune enfant, et Hermione trouve soudain du réconfort à l'idée que ces adieux déchirants ne soient pas pour eux. Quoi qu'il arrive dans les jours à venir, Drago restera avec elle. Ils font partie l'un de l'autre désormais, un alliage aussi indissociable que l'électrum, lorsque or et argent se mélangent...

- Est-ce que tu crois que les choses pourront redevenir un jour comme avant, avec eux ? lui demande-t-elle après avoir calmé un peu ses émotions.

- Comme avant, je ne sais pas..., répond-il avec l'honnêteté qui lui est propre. Mais je suis sûr qu'ils reviendront vers toi, oui. Pour l'instant, ils ont juste besoin d'un peu de temps, c'est tout. Pour réapprendre qui ils sont. Et réapprendre à vivre, tout simplement.

- Tu le penses vraiment ? Tu ne dis pas ça juste pour me rassurer ?

- Je le pense vraiment.

Il lui caresse la joue, écrasant une larme avant qu'elle ne s'écoule :

- Jonathan avait les larmes aux yeux au moment de se retourner. Je l'ai vu. Ce genre de sentiment, ça ne se fabrique pas. Il t'aime toujours, ça lui fait juste peur. Comme moi ça me faisait peur.

Hermione acquiesce. Lentement, elle laisse Drago lui prendre la main et la conduire en dehors de l'aéroport, loin de ces avions qui décollent, et loin de tout ce qu'elle a reconstruit, et perdu.

Les jours suivants s'écoulent dans une sorte de vide indéfini. Hermione a pris quelques jours de congés, en prévision de ce changement brutal qui marquera sans aucun doute un tournant dans sa vie. Pour la première fois depuis plus de dix ans, elle n'ira pas rendre visite à ses parents cette semaine. Elle ne travaillera plus sur leur cas, ne passera plus des heures à s'interroger sur ce qu'elle aurait dû faire, ce qu'elle pourrait faire, et de quoi leur lendemain serait fait.

Elle peut rester étendue des heures sur son lit, seule, sans perspective, et déjà cette terrible question résonne dans son esprit, lancinante :

"Et maintenant ?"

Malgré elle, Hermione ne peut repousser ce sentiment d'irréalité qui l'envahit. Ça y est, elle l'a fait. Ses parents, sont guéris, du moins autant qu'ils peuvent l'être. Et elle les a perdus...

Elle éprouve une impression d'absurde, comme si sa vie n'était qu'une farce la conduisant à tourner en rond depuis toutes ces années, comme si tous les efforts qu'elle avait entrepris depuis tout ce temps n'avaient servi à rien, et qu'elle restait là, telle Sisyphe poussant encore et encore son rocher en haut de sa colline avant de le voir retomber, condamnée à poursuivre éternellement un même but impossible, à refermer ses mains sur la lumière juste au moment où celle-ci s'éteint...

Elle se rend compte avec une sorte d'horreur amère qu'elle n'a plus l'habitude de penser à l'avenir. Pas un instant depuis le travail qu'elle a engagé avec Drago, elle n'a imaginé ce que sa vie pourrait être une fois que leur tâche serait "terminée". Elle se voyait avec ses parents, c'est tout. Ce qui en soit était déjà absurde. Combien de fois n'a-t-elle pas répété à qui voulait l'entendre qu'elle n'était plus cette adolescente de dix-sept ans partie combattre Voldemort ? Il faut croire qu'elle a réussi à en convaincre tout le monde, sauf elle-même... Une petite part d'elle, la part qui a couru après tous ces souvenirs de ses parents depuis des mois, vivait encore dans le passé, se raccrochait à lui, à l'adolescence heureuse qu'elle avait connue, et à la sensation que cela faisait d'avoir une famille...

Hermione a été seule pendant trop longtemps. André Maurois a écrit : "Sans famille, l'Homme, seul au monde, tremble dans le froid". Hermione a tremblé si longtemps qu'elle n'est même plus sûre de se rappeler de ce qu'est la chaleur aujourd'hui...

Même après le commencement de sa relation avec Drago, même après toutes les belles paroles qu'elle lui a adressées sur leur avenir et sur sa volonté de lui venir en aide, la vérité éclate aujourd'hui sous ses yeux : elle parlait de son avenir à lui. Pas une seconde elle ne s'est projetée, vraiment projetée, avec lui à ses côtés, sans ce devoir envers ses parents qui les a réunis... Quelque part, cette victoire en demi-teinte, la guérison de ses parents sans les retrouver vraiment, cela jette également un voile sur ce que Drago et elle ont vécu. Ils se sont nourris d'espoir et d'idéalisme pendant des mois, mais comme toujours, la vie ne s'est pas montrée à la hauteur. Leur gigantesque travail est arrivé à sa fin, et tout cela pour quoi ? Que vont-ils faire maintenant ? Ce qu'ils ont élaboré, traversé et vécu durant tout ce temps, cela a-t-il vraiment eu un sens ?

Les premiers jours, Drago respecte le silence de la jeune femme. Il la laisse seule lorsqu'elle désire l'être, méditant sur le sens de son existence, sur ce que ses parents doivent être en train de faire à cet instant. Mais au bout d'une semaine, il se décide enfin à interrompre l'une de ses rêveries quotidiennes, en s'allongeant auprès d'elle sur leur lit désormais commun :

- Ce que tu ressens est normal, lui dit-il de sa voix très douce. Pendant des années, tu n'as vécu que pour cet instant. C'est le lot de tous les rêves que de nous laisser un vide après leur accomplissement.

- Sauf que j'éprouve toujours une sensation d'inachevé...

- Ils vont revenir. Laisse leur du temps.

- Je le sais. C'est juste que... Je ne sais pas ce que je suis censée faire, entre temps. Rien n'a changé : je suis toujours bloquée sur pause. Suspendue à ce qu'ils deviennent. Sauf que cette fois, ils m'infligent cette douleur volontairement...

- Je suis sûr qu'ils ne veulent pas que tu souffres, Hermione. Et ils ne voudraient pas non plus que tu laisses ta vie entre parenthèses à cause d'eux.

- Toute ma vie a été conditionnée par cet objectif. J'ai choisi mes études et mon métier en fonction d'eux, je suis devenue la femme que je suis uniquement à cause de ce que je leur ai infligé... Je ne sais rien faire d'autre. Je ne suis rien d'autre !

- Comment est-ce que tu peux dire ça ?

Se redressant sur un coude, Drago caresse ses boucles brunes du bout des doigts et la dévisage longuement, comme lui seul sait le faire, comme si elle était la pièce maîtresse de la plus merveilleuse exposition de tous les temps :

- Tu es tellement plus que cela. Tu n'arrives pas à t'en souvenir là tout de suite, c'est tout. Tu es la jeune femme qui m'a ramené à la vie. Qui m'a rappelé le goût des framboises, et l'odeur des feuilles d'automne sous la pluie, le son d'un piano, la lumière du soleil au crépuscule, la douceur d'une étreinte... Tu m'as rappelé que la vie est précieuse. Chaque aspect de la vie. Que nous devons la chérir et la vivre avant qu'il ne soit trop tard. Que nous méritons tous une seconde chance.

Deux larmes symétriques s'écoulent des yeux d'Hermione. Elle ne cherche pas à les retenir. Déjà, les souvenirs brouillent son esprit :

- Drago, je n'arrive même pas à envisager notre avenir à tous les deux ! s'exclame-t-elle, morte de honte.

- Il n'y a rien à envisager du tout, la console-t-il en la serrant dans ses bras. Nous allons le vivre, c'est tout. Un instant après l'autre. Et un jour, tu verras, ce sera facile. Un jour, nous pourrons rêver à nouveau. Ensemble.

Il ajoute en déposant un baiser sur son front :

- Ce n'est pas toi qui me répète sans arrêt de voir à quel point je suis merveilleux ? Pourquoi n'arrives-tu pas à appliquer tes propres conseils à toi-même ? Pourquoi n'arrives-tu pas à te voir à travers mes yeux ? Comme la personne incroyablement belle et merveilleuse dont je suis tombé amoureux ?

Enfin, un sourire timide éclaire le visage d'Hermione, lorsqu'elle se rend compte que Drago lui renvoie ses propres paroles :

- J'ai de la chance de t'avoir, dit-elle en se lovant contre lui.

- Nous sommes tous les deux chanceux. Nous allons réapprendre à vivre et à espérer, ensemble. Mais tu ne dois pas te montrer trop dure avec toi-même. Tu dois te montrer patiente, indulgente. Comme tu l'as été avec tes parents. Comme tu l'as été avec moi.

Hermione acquiesce. Elle ferme les yeux et s'endort, au beau milieu de l'après-midi, abandonnant enfin la tension et l'épuisement des derniers jours, le stress de milliers de tourments accumulés, s'abandonnant totalement à la plénitude et à la confiance que lui inspirent les bras de Drago serrés autour d'elle. Ce jour-là, dans la tranquillité de leur petite chambre, dix années de souffrance, de solitude et d'inertie commencent enfin à disparaître, à cicatriser et à guérir, dans le coeur, le corps et l'esprit d'Hermione.

Mais ce n'est pas le cas pour Drago.

Il est dix heures ce samedi matin, lorsque Harry Potter frappe à l'appartement d'Hermione Granger et Drago Malefoy. Cela fait un mois maintenant que Jonathan et Edith sont partis pour leur périple à l'autre bout du monde, et jusqu'à présent, ils ont tenu leurs promesses : Hermione a reçu leurs premières lettres, qui lui ont permis, peu à peu, de se tranquilliser et de se familiariser avec ce nouveau quotidien épistolaire qu'elle partage avec ses parents. Les souvenirs semblent avoir pris dans leur mémoire, définitivement. La malédiction qui frappait les époux Granger semble bel et bien appartenir au passé elle aussi, enfin. La vie reprend son cours, aussi timidement que possible. Jusqu'à ce que le destin décide de rejeter brusquement les dés.

- Salut, s'exclame Drago un peu bêtement lorsqu'il reconnaît l'Elu du monde sorcier sur le pas de sa porte.

Depuis leur dernière rencontre, ses échanges avec Potter se sont limités à quelques missives décrivant les démêlés de Potter avec sa juridiction, et son projet de rencontrer Lucius Malefoy très bientôt. Mû par un mélange d'anxiété et de déni, Drago s'est jusqu'à présent bien gardé de le presser, surtout maintenant qu'Hermione compte tellement sur lui pour se remettre... Mais il semble bien que la rencontre fatidique ait finalement eut lieu.

- Tu as du nouveau ? enchaîne Drago sans préambule, instantanément rattrapé par des semaines de stress refoulé.

- Est-ce que je peux entrer ?

Potter se tord les mains, visiblement nerveux lui aussi. Drago réalise soudain que c'est la première fois que le Gryffondor s'apprête à revoir Hermione depuis leur dernière rencontre désastreuse au Terrier, aussi consent-il à prendre sur lui pour se montrer conciliant :

- Je t'en prie, entre. Hermione est à la douche.

Comme si elle avait pu les entendre, la jeune femme sort soudain de la salle de bain, emmitouflée d'un peignoir blanc, et elle se fige dès qu'elle les aperçoit :

- Harry ! s'exclame-t-elle, aussi surprise que Drago.

Malgré un brin d'inquiétude, c'est avant tout de la joie qui transparaît sur son visage. Potter doit le ressentir, car il s'approche d'elle sans hésiter et la serre dans ses bras :

- Je suis content de te revoir, dit-il avec une sincérité non feinte. Tu as l'air en forme. Mieux que la dernière fois.

Hermione rosit légèrement, mais se garde bien d'aborder le sujet :

- Tu as l'air d'aller bien toi aussi. Qu'est-ce qui t'amène ? Tu as des nouvelles au sujet de la mère de Drago ?

Potter jette un regard en arrière, vers Drago resté debout devant la porte entrouverte, et tous vont s'asseoir dans les fauteuils du salon sans avoir besoin de se consulter :

- Je suis passé voir ton père il y a deux jours, commence aussitôt Potter, avec ce franc-parlé qui lui a toujours attiré tant d'ennuis du temps de son adolescence.

- Et alors ? se crispe aussitôt Drago.

Hermione pose une main apaisante sur son épaule, mais il la sent à peine.

- Il n'a pas été très ravi de me voir, tu dois t'en douter..., répond l'Elu avec une grimace. S'il avait encore été en état de me jeter un sort, je crois qu'il ne se serait pas fait prier... Mais je lui ai expliqué qu'il s'agissait d'une démarche officielle du Ministère, et il n'a pas cherché à faire d'histoires.

- Tu lui as dit que c'était mon initiative ?

- Non. J'ai pensé qu'il coopérerait plus facilement si je ne te mêlais pas à tout ça, étant donné vos rapports...

- Tu as eu raison.

Potter acquiesce :

- Il m'a donné le souvenir.

Drago reste suspendu à ses lèvres. Mais de longues secondes s'écoulent, et Potter ne se décide pas à lâcher le morceau :

- Et alors quoi ? insiste Drago, sur le point de voir ses nerfs craquer.

Potter soupire. Il échange quelques regards avec Hermione, comme s'il tentait de puiser dans leur vieille amitié pour se donner le courage de continuer :

- Lucius ne t'a pas menti sur le déroulement des faits, se lance-t-il finalement d'une voix aussi ferme et professionnelle que possible. Trois individus s'en sont pris à tes parents au beau milieu de la nuit, le sortilège Doloris a été lancée, et Narcissa est morte quelques minutes après leur départ... J'ai montré le souvenir à ma hiérarchie. La preuve a été enregistrée, ajoutée au dossier, cataloguée. Mais on me demande de lâcher l'affaire...

- Quoi ?!

Drago n'a pu se retenir. Sous le choc, il s'est relevé d'un coup, envoyant valser la tasse de thé qu'Hermione leur a timidement servie.

- Comment ça ils veulent que tu lâches l'affaire ? Mais c'est une preuve ! Ils ont le déroulé d'un meurtre sous leurs yeux, bordel de merde ! Qu'est-ce qu'ils veulent de plus ?

- Les visages sur le souvenir sont à peine discernables, se justifie Potter avec un regard d'excuse. L'esprit de ton père n'est plus ce qu'il était, et à l'époque, sur le moment, avec la panique et la peur... Le souvenir est trouble, presque inexploitable. Si nous avions des suspects, nous pourrions les comparer avec les individus que l'on voit dans le souvenir, mais ce n'est pas le cas... Pour l'instant, nous ne pouvons rien en tirer de plus. Ils ne sont pas connus de nos services. Si jamais ils sont arrêtés pour un autre crime, cela fera peut-être tilt dans nos archives... Mais en l'état actuel des choses, nous n'avons aucun moyen de découvrir qui ils sont.

- Donne-moi le souvenir.

- Je te demande pardon ?

- Donne-moi le souvenir. Je suis artisan mémoriel, je te rappelle. Je suis l'homme le plus qualifié du pays pour travailler sur ce souvenir et en exploiter le moindre détail. Je vaux dix fois plus que tous les hommes que vous avez mis sur le coup jusqu'à présent !

Potter se passe nerveusement une main sur le front. Il transpire. Malgré sa surprise, il semblait s'attendre à ce dénouement :

- Je ne peux pas te le donner, dit-il.

- Pourquoi ?

- Parce que tu ne devrais jamais avoir à endurer ça, déjà. Avoir perdu ta mère dans ces circonstances est déjà suffisamment affreux : inutile d'assister à la scène. Et ensuite, parce que c'est une preuve dans une enquête pour meurtre, à présent. Je ne peux pas la sortir du Ministère, ni la montrer à qui bon me semble.

- Tu as conscience que je pourrais te l'extirper de la tête, là, tout de suite ?

- Malefoy...

Potter se lève lui aussi, et malgré sa petite carrure, sa voix calme et posée inspire instantanément le respect :

- Tu n'as pas envie de voir ça. Fais-moi confiance. J'ai visionné le souvenir moi-même : ce sont des ombres, des ombres qui commettent un crime horrible, et c'est tout ce qu'il y a à y voir. Même toi, tu ne pourras pas ressusciter ce que ton père s'est employé à refouler depuis six ans. Plus que quiconque, tu dois savoir à quel point nos propres souvenirs sont subjectifs et changeants.

Drago soupire. Parce qu'il est le plus grand expert en souvenirs du pays, justement, il sait à quel point les paroles de Potter font sens. Mais ça ne les rend pas plus faciles à accepter pour autant.

Hésitant, Potter s'approche de lui, puis finit par lui agripper l'épaule, comme Hermione l'a fait avant lui :

- Je ne lâche pas l'affaire, promet-il. Je n'ai peut-être pas le droit de mener une enquête officielle, mais rien ne m'empêche de passer quelques heures supp' à éplucher les fichiers de criminels condamnés, pas vrai ? Une affaire de ce genre, ça ne devait pas être leur première fois. Ils auront sûrement laissé d'autres traces.

Drago acquiesce vaguement. Il se sent partir, partir au fond de lui-même, comme lorsque les cris de sa mère le réveillent en pleine nuit et l'attirent dans un puits sans fin :

- Il faudrait penser à faire surveiller le cimetière, suggère-t-il en regardant dans le vide. J'ai vu que la tombe de ma mère avait été profanée. C'était peut-être eux. Peut-être qu'ils reviennent, de temps en temps, pour se rappeler leur crime...

- Peut-être. C'est une bonne idée. Je ferai installer une caméra Moldue dès demain : ça, a priori, ils ne penseront pas à la dénicher...

Une nouvelle fois, Drago hoche la tête. Potter échange encore quelques mots avec Hermione, mais il ne les entend plus. Il reste là, incapable de bouger, les yeux grands ouverts sur les milliards de scénarios ignobles que son imagination lui projette en boucle, et il se demande ce qu'il y aurait de pire : savoir, ou ne pas savoir ? Voir, ou ne pas voir ? Potter a-t-il raison ? Vaut-il mieux pour lui qu'il ne voie jamais ce qui est arrivé à sa mère cette nuit-là, même si cela pourrait l'aider à arrêter les coupables ?

La porte d'entrée claque soudain tandis que Potter s'en va, et Drago revient à la réalité uniquement lorsqu'Hermione le force à la regarder :

- Drago, murmure-t-elle, inquiète et très douce. Il ne va pas laisser tomber. Il te l'a dit. Tu dois lui faire confiance, d'accord ?

- Le souvenir existe, lui répond-il simplement. Il existe, et il est dans sa tête. S'il acceptait de me le montrer, j'arriverais peut-être à résoudre ce meurtre dès ce soir...

Hermione secoue la tête :

- Les souvenirs que tu vois entrent en toi pour toujours. Crois-moi, tu ne veux pas vivre avec ça.

- Peu importe ce que je veux ou non. Je le lui dois. Je le dois à ma mère.

- Tu crois vraiment que ta mère voudrait que tu assistes à cela ?

- Je ne saurai jamais ce qu'elle aurait voulu ou non. Parce qu'on me l'a prise.

Drago serre les poings en disant cela, mais il se force à les relâcher. Ce n'est pas la faute d'Hermione si toutes les couleurs de son monde virent soudain au noir et blanc, et si son sang se met à bourdonner contre ses tempes.

- Tu dois donner plus de temps à Harry, insiste la jeune femme.

Drago hausse les épaules :

- Pour l'instant, de toute façon, ce n'est pas comme si j'avais le choix.

Et, incapable d'articuler un mot de plus, il lève sa baguette pour nettoyer les restes de la tasse et du thé renversé, mettant du même coup un terme à la discussion. Hermione le contemple, sans savoir quoi lui dire. Tous deux savent déjà, sans avoir besoin d'en parler, que les hurlements de Narcissa reviendront les hanter cette nuit.





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