Ce soir, c’est le petit Nouvel An. Chaque premier samedi de janvier, nous célébrons ce moment avec une bande de copains. Cette année, c’est au tour de Nadège et Hippolyte de nous inviter chez eux, dans la fameuse ferme qu’ils ont entièrement rénovée. Je me réjouis de découvrir l’immense salon dont ils nous ont tant parlé et de passer la nuit à danser.
Je me suis pomponnée comme une reine. J’ai sorti ma mini-jupe préférée, mes bas résille les plus sexy et ma magnifique paire de bottes cavalières noires. Ce soir, je ne lésine sur rien : rouge à lèvres carmin, regard de velours et cheveux passés au fer à lisser. Pour une unique soirée, je me berce de l’illusion d’avoir encore en moi l’allure que j’avais à vingt-cinq ans.
Nous arrivons sur les coups de 19h, armés de deux bouteilles de champagne et d’un tiramisu fait maison. Hippolyte nous débarrasse de nos victuailles, tandis que Nadège nous enjoint à nous déchausser. Elle ajoute :
- Vous pouvez garder vos manteaux si vous avez froid. Les maisons surchauffées, c’est très mauvais pour la planète.
Elle est elle-même vêtue comme si elle avait fait escale dans un chalet du club alpin : odlo, laine polaire, collants techniques, chaussettes en alpaga et croqs fluo. Il ne lui manque que le bonnet. Un thermomètre sur le mur indique seize degrés. Qu’à cela ne tienne, on se réchauffera en dansant et en buvant du champagne.
Arrivés au salon, nous constatons qu’il y a eu deux camps : ceux qui savaient et qui sont équipés pour faire de la peau de phoque avec des charentaises aux pieds, et ceux qui pensaient venir à une fête et qui grelottent en tenue de réveillon et socquettes. Certains ont déjà remis leurs manteaux. Le carrelage gelé éveille en moi le souvenir de ma grand-mère maternelle qui aurait crié : « Ne marchez pas pieds nus sur les malons ! Vous allez attraper la mort !»
C’est en pensant à elle que je me retrouve à convoiter les canapés, des Togo Ligne Roset. Si je m’y affalais, je pourrais poser mes petons sur le tapis. Je me ravise néanmoins en voyant comment les autres invités y semblent engloutis de telle manière à ce qu’ils ne ressemblent plus qu’à des piles de bourrelets et de doubles mentons ; comme des chiens tout plissés (les Shar-peis), mais en moins mignon. Ma vue plongeante dans la mini-jupe de Jess comme dans une fente de boîte aux lettres finit de me dissuader de faire subir le même sort à mon image. Je décide donc de rester digne et de miser sur un chauffage au champagne.
Nous trinquons. Au moment où le breuvage touche mon palais, mes yeux s’écarquillent en direction de Georges, mon conjoint. Il semble aussi estomaqué que moi et articule un délicat :
- Hmmm ! Surprenant ce champagne, Hippolyte ! D’où vient-il ?
- Ahahah… c’est un secret jalousement gardé, mon cher Georges !
Son secret (plus chimique que le sprite et plus doux que la clairette de Die), on n’avait aucune intention de le lui voler. On avait seulement envie de savoir avec quoi on se faisait empoisonner.
Le verdict finit par tomber : entre le Dry January et le Veganuary, nous avions été invités à manger une potée de lentilles et de patates douces tout en sirotant du Champomy en chaussettes sur du carrelage d’Italie payé un rein le mètre carré. Le tiramisu fut boudé sur l’autel du véganisme et mes bas résille forcés à enfiler des tongs, transformant ainsi mes pieds de Barbie en rôtis de porc dûment ficelés. Ce sacrifice ne permit toutefois pas à mes jambes de se réchauffer.
À minuit pile, on criait « bonne année !», tandis qu’à minuit cinq, on était « déjà » tous repartis. Quant à moi, en rendant ses tongs à Nadège, je pris une seule et unique résolution pour 2024 : mieux sélectionner mes amis.