Croisée des chemins - Partie 2 « Gousset »
75 ans plus tard, dans une commune situé dans la Vallée de la Loire.
« Cocorico-cocorico-cocorico... »
Il est tout juste 6h30 du matin, que l'on perçoit déjà le retentissant chant du coq à travers les fines cloisons d'un trois pièces très simplement aménagé. L'appartement est sobre. Tout semblait à sa place. Le son se fait de plus en plus insistant.
Cela faisait bientôt plus d'une heure que Tarik était réveillé. Le son arrive enfin à ces oreilles et c'est calmement qu'il se rend, brosse à dent dans la bouche, pour y mettre fin. Son téléviseur, préréglé à 15 minutes d'intervalles de ce chant quotidien, prend le relais. L'écran s'allume sur une séquence publicitaire. « Nul doute il est fait pour vous... »
Il n'est pas si matinal habituellement, méthodique, réglé comme une parfaite horloge, il ne se lève ni avant le son du coq préenregistré sur son réveil, ni après le début des annonces télévisées. « Souvenez-vous de ces jours où vous faisiez sans... »
Il se lève tranquillement, se fait couler un café après avoir soigneusement moulu les grains avec un vieux moulin manuel et non électrique comme ce qu'on vend de nos jours. « Vous vous demandez encore comment... »
Le rustique rime avec authentique. Mais ce moulin la ne rimait pas qu'avec authentique, mais aussi unique. Il lui vient de son père. Chaque café corsé, lui rappelle la douceur de son père qui emplissait chaque matin l'appartement, de son enfance, du parfum du café dont les grains venait d'être fraichement moulu. « Oubliez le passé faites place à l'avenir avec... »
Ce levé si tôt traduisait le début des changements qui allait s'opérer dans sa vie. Ce matin du 7 décembre, il venait de prendre, un temps d'avance, non pas d'une heure mais d'une existence. La veille, c'est tendu et impatient qu'il venait de recevoir enfin le mail, puis un appel confirmant les résultats de ces examens. « Difficile de vous en défaire... »
Tout allait changer pour notre « Gousset » de chantier, c'est ainsi que le surnomma son contremaître bientôt à la retraite.
Qui était-il ? « Gougou » pour les moins cultivés, ou les petits nouveaux ouvriers qui n'ont jamais vraiment su, où chercher à savoir, son vrai prénom, donnant à leur collègue sans le vouloir un surnom à son surnom, ou bien encore « Gousscouss » pour les plus fins.
Si Arnaud l'avait surnommé ainsi c'est parce que cela lui allait comme un gant.
« Pile-poil, c'est tout toi ça, lui répétait-il à chaque nouvelle trouvaille sur un chantier. Ponctuel, précis dans ton travail et soigneux avec les vieilleries, reprenait Arnaud. Je me demande même si c'est pas pour ça que tu me supporte », concluait souvent notre future retraité de 75 ans en détournant son regard, de peur de trahir son affection pour son jeune Gousset.
Ils avaient construis et rénové tellement de souvenirs ensemble qu'ils prenaient souvent plaisir à dépoussiérer en se les remémorant comme un livre laissé en sommeil sur une étagère, on souffle dessus et on le feuillette. Toutes ces anecdotes passés, sur les chantiers de ces vieilles bâtisses, qui ont lié ces deux hommes avec le temps, ne s'inscrivait pas seulement sur les pages de la mémoire, mais ils étaient présents dans un placard de l'appartement de Tarik, aménagé par ses soins. Un musée de trouvailles. Les objets rapportées de leurs multiples déplacements à travers la France étaient souvent quelconques et surtout sans nulle autre valeur qu’affectif. D'une vieille bouteille de vin à Bordeaux, des bouts d'étoffe de soierie brodé à la main, ou encore à Marseille et en Bretagne, des bibelots, pièces de monnaie, plumeaux et vieux calepins manuscrits, dans le Nord, quand ce ne sont pas de simples articles encore en état, découpé dans de vieux journaux. Arnaud ne lui portait pas seulement de l'affection, il était admiratif de son Gousset.
Dans une vie réglé comme une horloge, il n'y avait pas de place au grain de poussière pouvant la faire dérailler, à l'image de ses outils laissés derrière lui comme neuf. Entre ces mains, les objets devenaient atemporels comme si la marque du temps ne faisait plus effet, balayant ainsi des frontières poussièreuses qui se sont battis, dans l'indifférence des uns et l'ignorance des autres, entre un ancien et un nouveau monde.
Dans l'atelier, il était le premier à remettre de l'ordre sans en créer un nouvel.
C'est pour toutes ces raisons que notre futur retraité l'avait ainsi surnommé. Gousset.
Subitement, un flash d'information vient interrompre les programmes habituels, dans la plus grande indifférence de notre jeune ouvrier en bâtiment fraichement promu. Quelle place aurait pu prendre cette interruption de réalisation audiovisuel devant la réalisation d'un rêve ? Aucune.
Il entre dans sa chambre pour finir de se préparer, au moment où il allait se saisir de sa montre bracelet sur le dessus de sa commode son portable vibre. Il le sort de la poche de sa veste et le consulte. On peut y lire : « M. MADI votre colis a bien été transmis à votre poste ou point relais de votre choix avec les références suivantes... »
7H53. Il ne reste plus que 37 minutes avant que la grille ne fasse raisonner son grincement dans la petite rue commerçante. Son appartement se situe juste au-dessus de la poste qui n'ouvre pas avant 9H00. Les jours où elle ouvre à l'heure.
Convaincu pour la toute première fois de sa carrière de son retard, il tente de prévenir Arnaud au bureau. Sans réponse, il tente de le joindre sur le portable du chantier. « Biiip, Biiip, Biiip... Ça marche là ? (On entend en fond) Oui, oui vas-y ça enregistre... Hum. Bonjour Gousset. A semaine spéciale, répondeur spécial. Félicitation mon jeune apprentie ! Sinon comme tu vois, je suis absent, donc pas joignable donc ne laissez pas de message, vu que je ne pourrais pas l'écouter de suite, rappelez plutôt plus tard... on coupe là ?
- Bip.
- Arnaud, c'est Gousset. Malin ton répondeur, mais tout le monde sait que ce n'est pas ton fort... Merci... (reprenant son souffle) ça me touche... Comme tu le sais, j'ai mon recommandé à récupérer, et c'est aujourd'hui, je te rejoins vers 9H30... ». Un bruit assourdissant interrompe la conversation. Masquant le son du téléviseur et faisant presque vibrer les cloisons de l'apparte.
- Je te laisse ! », conclut il précipitamment.
9H00 passé. Une fois dans le bureau de poste, il tente de recontacter l'homme au répondeur si spécial. « C'est encore moi, je sais que cela ne sert à rien. Disons que c'est pour éviter les reproches du patron. Finalement, je vais vous rejoindre directement sur le chantier vers 10H00, à toute. »
A peine a-t-il raccrocher les yeux encore rivé sur le portable, qu'un message s'affiche : « Nouveau message sur répondeur ». Après une manipulation rapide, on peut lire : « Appel entrant inconnu...
- Saluuuuu Tarik, s'exclame le postier d'un ton complice. En train de déposer derrière le comptoir un amat de lettre, plié en quatre, qu'il avait ramasser à l'ouverture de la grille.
- Ah, répond-il en relevant la tête précipitamment. Salut Fred, je viens pour mon recommandé.
- J'peux voir les notifs ou les reçus, s'te plait.
- Oui... en présentant son portable. Mais fait vite.
- Tic tac tic tac, fredonne le postier. Et l'reçu pour l'autre paquet ?
- Comment ça ?
- Ah ! T'inquiète parfois ça arrive. Tiens déjà celui-là. On l'a reçu à l'instant, possible que t'es pas encore eu l'reçu. Bouge pas, j'te l'ramène.
- Je suis vraiment en retard, je repasserai ce soir, après le chantier.
- Et tic tac, tic Tarik, on est jeudi, j'te l'...
Sur seulement quelques pas, en direction de la sortie, la voix du postier s'amenuise, n'ont pas que Tarik s'éloigne, mais parce que c'est pensée se font plus insistante. Un appel inconnu, un colis inattendu, un vieil ami prévenu d'un retard convenu. Tout s’accumule, puis soudain une virgule dans le temps, tout bascule au moment où lui bouscule sur son chemin, une femme. D'elle, il ne distingue que sa longue chevelure auburn, ces longues jambes et ces bras blancs sans défaut apparent. Une peau si blanche et parfaite qu'il ne pouvait passé à coté de cette marque sur son bras. Seul ces yeux étaient inaccessible à son regard gêné, confus, se reflétant sur les verres teintées des lunettes de cette femme qu'il venait de croiser. Une ellipse d'un battement d'yeux comme face à la brillance d'une éclipse.
Ces yeux ne s'ouvriront, de nouveau sur le monde, que 20 minutes plus tard, le temps du trajet pour se rendre au chantier, sur un bâtiment en feu.
« Arnaud... »
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