Claude
Le 6 juin 2023, Paris,
Claude,
Il y a tant de mots que je ne peux pas prononcer face à toi et , pourtant, j'aimerais me défaire de ces maux. Tu es le fantôme qui me hante, me harcelant jour et nuit. Chaque seconde résonnent tes propos. Ils sont ancrés au fond de moi, et il me faut admettre que rien ne les fera jamais disparaître.
Même sans toi, mon enfance aurait été chaotique, mais tu l'as rendue infernale. Tu ne m'as jamais dit que j’étais jolie ou intelligente, ni même que tu m’avais aimée. Jamais vraiment. À défaut, tu m’as fait me sentir comme la source même de tout ce qui est mauvais. Je suis la raison de tes malheurs, tout aurait été mieux si je n'avais jamais existé.
Intellectuellement, j'ai conscience de l'absurdité de ce que je dis. Que tu es simplement incapable d'être père ou conjoint, que tu détruis malgré toi. Mais cela ne m'empêche pas de souffrir. Je me dois de n'exister que pour rendre heureux autrui, mon existence n'a sinon aucune raison d'être. Voilà ce que tu as créé : une femme qui ne comprend pas que faire le bonheur des autres ne sert à rien si cela ne conduit pas à son épanouissement.
J'ai désespérément cherché à attirer ton attention et chaque fois tu m'as repoussée, tu m'as regardée des années durant prendre tous les risques pour avoir ton approbation, ou ne serait-ce qu'un vague intérêt, en vain. Tu devais être mon protecteur, mon héros, mon père adoré, tu as été mon persécuteur. Tu devais être mon modèle masculin, mais tu m'as abandonnée. Non, tu ne m'as jamais laissé aucune chance. Je me suis raconté comme je pouvais, avec des morceaux volés ici et là, une enfance où tu aurais été là, pas parfait, pas toujours gentil, pas toujours habile mais aimant.
Aujourd'hui, les deux seules figures paternelles que j'ai eu sont parties. Qui sera là maintenant ? Qui pour me dire que je suis belle à Noël dans cette tenue que j'ai choisi avec soin ? Qui encore pour me trouver parfaite malgré mes silences ? Qui pour s'assoir dans les escaliers et m'écouter raconter mes histoires ? Qui enfin pour me protéger de tout, des autres et surtout de moi ?
Tu as teinté chaque instant de ma vie de tristesse et de peur. Cela ne disparaîtra jamais, tu le sais. Consciement ou non, tu as brisé mon innoncence et tu m'as privée de ma famille. Ils vivent la même ville que toi, et je ne peux plus les voir parce que la simple idée d'être à proximité de toi, de revenir dans cet endroit où j'ai grandi me paralyse.
Dis-moi maintenant comment vais-je vivre avec ce coeur d'enfant meurtri qui pense ne pas être légitime à vivre et cette carapace d'adulte qui ne sait plus avoir confiance en personne ?
Cette enfant que tu n'as jamais su voir.
P.S. : Je t'ai aimé longtemps, peut-être trop, mais ce n'est pas pour autant que je te déteste. Je sais qu'il me faut laisser partir mes rêves et te laisser à ta vie pour enfin commencer la mienne.
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