10) Frayeur
La station Némésis, à la fois le nouveau foyer et le véhicule de l'Humanité, était défaillante. La rumeur commençait à circuler dans les laboratoires scientifiques. Un rapport retentissant et dénonciateur fournissait toutes les données, preuves confidentielles et comptes-rendus de terrain à l'appui. Son auteur inconnu, probablement affublé d'un nom d'emprunt par mesure de précaution, dénonçait les raccourcis empruntés lors de la construction et voulait attirer l'attention de la communauté scientifique. Le seul autre travail de référence de ce lanceur d'alerte consistait en un recueil d'observations géologiques et environnementales de la Terre, après l'émigration des millions d'humains sur Némésis. Bien construit mais emprunt d'amateurisme, le travail de Laurent Banty semblait toutefois sérieux. Sa seconde analyse sur Némésis circula alors rapidement. Surtout avec un sujet d'étude aussi brûlant.
Des ingénieurs indépendants de Branston Construction furent missionnés pour aller effectuer leurs propres relevés discrètement. Les données confirmaient celles du Rapport Banty, comme fut surnommé le papier. Les batailles juridiques entre Ingénieurs et Constructeurs furent sorties des ombres. Une seule issue possible, l'attribution de la responsabilité aux directeurs de chantiers et plus largement aux filiales de Branston Construction. Si le PDG de la firme nia toute implication dans l'affaire, beaucoup le pointèrent tout de même du doigt. Les responsables de chantier furent virés. Leurs remplaçants se firent accompagner — ou surveiller selon les points de vues — par un consensus de scientifiques et des toutes les professions nécessaires pour essayer de réparer les dégâts. Mais tout ne pouvait pas être rectifié. Certains commencèrent à se demander si la station demeurait une option viable pour l'Humanité.
Dans le salon de son appartement penthouse, au sommet des tours de Némésis, le père Branston fulminait.
— Tout le monde me tient pour responsable !
— Chéri, ce n'est...
— Les actions de toutes mes sociétés sont en chute libre ! A ce rythme, on sera ruinés ! Si la populace ne me lapide pas avant.
— Ruinés ? Tu exagères...
— Ce n'est même pas moi qui m'en suis mis plein les poches et on me fait porter le chapeau ! Ah ce Laurent Banty, si jamais je lui mettais la main dessus !
— Ruinés ? répéta Mme Branston, hébétée.
Les cris traversaient tout l'étage. Les employés de maison rasaient les murs depuis des jours, certains se trouvant au mauvais endroit au mauvais moment en avaient fait les frais. La mère et la sœur de Logan, jusqu'alors très populaires, étaient devenues persona non gratta. Aucune festivité mondaine ne voulait avoir affaire aux Branston. Inconsolable, les crises de nerfs de la jeune femme faisaient trembler le personnel. Personne n'avait fait le lien entre Laurent Banty et le jeune Logan. Cela ne changeait pas d'ordinaire, le jeune homme était toujours la tête dans les nuages, reclus dans ses livres ou ses recherches. Qui aurait pu croire qu'il était à l'origine de tout ce remue ménage ?
Il ferma doucement la porte qui séparait l'entrée de ses quartiers du reste du penthouse Branston. Il rejoignit Zia dans son propre petit salon.
— Mon père est furax ! S'il découvre que nous sommes Banty, je ne sais pas ce qu'il va faire !
— Monsieur ?
Le majordome, Jensen, émergea à ce moment du passage menant vers les cuisines avec un plateau dans les mains.
— Merde ! glapit Logan.
Titubant, le vieil homme faillit laisser échapper le plateau de ses mains. Rapide, Zia s'en empara, le posa prestement sur la table avant d'attraper le bras de Jensen pour le guider vers un fauteuil. D'ordinaire, il se serait formalisé de s'asseoir en service et en présence de son employeur mais en cet instant, il resta sans voix. Jetant des regards paniqués partout, Logan se dépêcha de verrouiller les portes pour éviter une nouvelle interruption.
— Alors...euh... ce n'était sans doute pas la meilleure façon de l'appendre, je le conçois... commença le jeune homme.
Le majordome les regardait tour à tour, choqué, la respiration sifflante.
— En fait, on voulait juste publier nos recherches sur la Terre, histoire d'en conserver une trace pour la postérité, et puis, on s'est dit que personne ne donnerait vraiment son avis dessus à cause de mon nom alors on en a créé un d'emprunt, débita Logan. Et puis, bizarrement, les gens étaient intéressés, on était ravis. Et peu après, on a eu une info sur la station alors on a enquêté là-dessus...— Logan...
— Et puis, on a fait que découvrir magouille sur magouille alors on ne pouvait pas taire ce qu'on avait trouvé. Et là, que ce bordel a commencé, les gens ont commencé à accuser mon père de fraude mais ce n'était pas le but, et depuis la situation n'a fait que dégénérer ! Je ne sais pas ce qu'il s'est passé mais Laurent Banty est soudain devenu un putain de lanceur d'alerte ! Il faut nous croire Jensen !
— Logan ! s'écria Zia.
— Quoi ? paniqua le jeune homme.
— Tais-toi donc ! Tu vois pas qu'il est au bord de la syncope ?!
Logan se tut enfin, rouge de confusion et s'approcha enfin du majordome. Il lui pressa l'épaule doucement.
— Pardon, Jensen, restez tranquille, respirez lentement. Ca va aller...
Zia s'accroupit devant lui pour lui prendre la main. Elle fit alors une succession de respirations exagérées afin d'inciter Jensen à l'imiter. Grâce à elle, il put reprendre son souffle.
— Je...je, commença le majordome, je me sens mieux. Merci mademoiselle.
Il resta assis mais personne ne s'en formalisa. Les deux jeunes gens se rongeaient les sangs, Jensen connaissait à présent leur secret et travaillait pour la famille Branston depuis des décennies, rien ne garantissait son silence à leur profit.
— Je me doutais bien qu'il se passait quelque chose de gros, depuis votre dispute de la dernière fois, commença Jensen. Mais jamais je ne me serais douté que vous étiez à l'origine de cette analyse de Laurent Banty.
Il jeta un coup d'œil vers les portes menant au reste du penthouse.
— Votre père est sur la sellette, je l'ai entendu dire que ses propres conseils d'administration envisageaient de l'écarter de la gestion de ses entreprises. Il ne doit pas apprendre que son propre fils est à la racine de tout ça. Ni votre mère ou sœur d'ailleurs. Ils sont tous perturbés par la situation, bien que pour des raisons sensiblement différentes...
— Attendez un peu, ça veut dire que vous leur ne direz rien ? s'étonna Zia.
— J'ai beau n'être qu'un simple majordome, je suis d'accord ; il faut que les gens sachent si ce vaisseau a un problème. Mais vous avez un plan pour la suite, n'est-ce pas ?
— Eh bien, on allait en parler, vous êtes... arrivé à ce moment-là, dirons-nous.
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