Une nuit de Samhain
Brise fraîche d’octobre, feuilles virevoltantes colorées de brun. L’automne était bel et bien là.
Dans la plaine au loin, isolée de toute vie, de toute espoir, se dressait cette immense bâtisse qui en terrorisait plus d’un. Composée de pierres défraîchies par les décennies, elle était entourée de grands espaces. Les plaines d’Irlande, autrefois verdoyantes, grisonnaient prêtes à accueillir l’hiver. Les anciens champs de blé ne se résumaient plus qu’à de vastes étendues d’or fané, décorés de-ci de-là par quelques épouvantails à l’allure épouvantable.
Les chants lugubres de son occupant s’échappaient des vitraux brisés et s’envolaient portés par le vent. Complaintes ou avertissements, ils complétaient un tableau effrayant qui convaincrait même les plus téméraires de garder leur distance. Seul, abandonné, le châtelain semblait se complaire de cette vie paisible et solitaire.
De la vie, le château en était dépourvu. Ni bruissement d’ailes, ni pas de loup. Même les animaux désertaient les environs. Les légendes allaient donc bon train, d’autant plus nourries par l’apparence immuable et immortelle du Maître des lieux. On le disait tantôt vampire, tantôt goule. On n’en retenait que ses brèves apparitions, une fois l’an, la veille de Samain.
S’il se montrait toujours discret, il n’en allait pas de même à cette date anniversaire. Sa charrette chargée d’un capharnaüm innommable, il s’en allait à travers champs, ne daignant s’arrêter qu’à hauteur de ce vieil épouvantail. Les bras de bois toujours ornés de corbeaux, il les chassait à grands coups de griffes, pour faire place nette. Là, il sortait précautionneusement chaque élément. Une citrouille fraîche qu’il plantait sur le pic en guise de tête. Des vêtements propres et neufs, dont il habillait le pantin. Et ce linceul immaculé, toujours le même, suaire qu’il déposait avec délicatesse sur les épaules de son seul et unique compagnon d’infortune.
Son rituel accompli, il s’en retournait, à l’abri des murs ancestraux dans lesquels il avait trouvé refuge. Là, on racontait qu’il allumait un grand feu dans la vieille cheminée sous exploitée. D’ordinaire, aucune fumée ne s’échappait du conduit, comme si ce mort en sursis préférait le froid mordant à la chaleur douce et enveloppante. La veille de Samain, pourtant, le ciel se teintait de noir, à peine illuminé par des nuages de cendres, brillants sous les rayons de lune comme milles paillettes d’argent.
Assis dans un grand fauteuil de velours, il l’attendait.
Lorsque minuit sonnait, le miracle se produisait. Au milieu des champs, un être de bois et de chair orange s’animait. Serrant le lin blanc l’entourant comme pour se préserver du monde, il se traînait péniblement. Et gare à qui croisait son chemin ! Capturés par une créature monstrueuse pour être livrés en pâture à une seconde, bien plus cruelle, les importuns tombaient de charybde en scylla. Sans doute, raison pour laquelle plus personne n’osait s’aventurer dans la région en cette période, pas même pour percer le mystère de ce couple peu ordinaire.
Le vampire attendait l’âme de son amour, prêt à la cajoler. Dans cette enveloppe éphémère, ils n’avaient qu’une nuit hors du temps pour se soustraire à la malédiction. Elle les contraignait à vivre séparer pour l’éternité. D’années en années, de décennie en décennie, ils ne manquaient aucun rendez-vous. À chaque anniversaire, le vampire habillait sa promise de ses plus beaux atours. Il la couvrait du suaire magique qui accomplissait bien des prouesses. Puis, il courait allumer un grand feu qui la réchaufferait lorsqu’enfin, elle traverserait le pont-levis pour le retrouver dans la grande salle du trône. Son corps glacé e non-vivant en était incapable ! Même si sa passion infinie n’aspirait qu’à cela. Et lorsque l’aube pointerait son nez crochu à travers la lucarne, il serait temps. De jeter les restes de son aimée inanimée dans les flammes qui la consumerait.
Une seule nuit pour se retrouver, une seule nuit, disait-on, pour s’aimer.
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