Chapitre 2
Ce soir-là, il se murmurait dans la région une bien étrange rumeur. Un messager, venant de la citée lointaine de Mongrève, racontait à qui voulait l’entendre qu’il avait aperçu sur la route une femme aux cheveux de jais, et parcourus de mèches rouges, sortir en courant d’une maisonnette enflammée.
« Et son visage était fait de feu, assura-t-il au tavernier qui l’écoutait avec un air sombre. Je l’ai entendu hurler, et je me serai approché pour mieux voir si mon étalon n’avait pas pris peur.
- Heureusement que tu t’en es gardé, lâcha un homme assis au comptoir. Ceux qui approche la Fantôme n’y survivent pas.
Devant l’air interrogateur du messager, il expliqua :
- Cette femme, que tu as vue. C’est la Fantôme. Il n’y en a pas deux avec une pareille chevelure. Personne ne sait ce qu’elle est réellement, mais partout où elle passe, la mort se répand, la famine s’abat, la maladie apparaît. On raconte sur elle des milliers d’histoire à faire frissonner le plus courageux d’entre nous.
- C’est un très mauvais présage, Lucius, marmonna le tavernier. La maison dont on parle n’est qu’à une quarantaine de lieue d’ici. Si ce monstre traîne près de notre village, il va arriver un malheur. Nous devrions être sur nos garde.
- Ce ne sont pas quelques fourches et un poignard caché sous ton oreiller qui vont te sauver, répliqua le dénommé Lucius. Si elle décide de te tuer, tu mourras. Personne ne peut lutter contre elle. »
Il clôtura la conversation en avalant une large gorgée de bière. Reposant brusquement sa chope, il se leva et quitta sans un mot la taverne animée. Il ne voulait pas l’admettre, mais Lucius avait peur. Il sentait que les esprits étaient agités, et percevait les ténèbres proches. Il n’était pas le seul à avoir cette impression : les autres membres de la Confrérie partageaient aussi ce sentiment. Les énergies étaient troublées, chacun le remarquait.
Malgré sept ans d’exercice dans la Confrérie, il n’avait encore jamais eu à utiliser ses capacités pour protéger le peuple. Ses journées se résumaient à de l’entrainement, et à la résolution de quelques différents mineurs. Pouvoir pénétrer l’esprit d’une personne se révélait utile pour départager deux versions d’un même évènement, c’est pourquoi l’Aéropage faisait régulièrement appel à ses services.
La nuit l’enveloppait lourdement, étouffait la clameur montant de la taverne, et faisait résonner comme un tambour son cœur battant. Puis, un sifflement aigu monta à ses oreilles. D’abord léger, il s’amplifiait régulièrement, jusqu’à emplir totalement sa tête et devenir douloureux. Les mains sur les oreilles, le visage crispé, Lucius tomba à genoux, et sentit un filet de sang couler entre ses doigts. Puis soudainement, la porte de la taverne s’ouvrit, et le bruit s’arrêta aussi étrangement qu’il était apparu.
« Lucius, s’écria le tavernier, tout va bien ? »
Il s’approcha du jeune homme, qui se remettait lourdement debout ;
« Par tous les cieux, souffla Lucius. Qu’est ce que c’était que ça ?
- De quoi est-ce que tu parles, pauvre fou ? s’étonna le tavernier.
- Le bruit, à l’instant, insista-t-il. Tu n’as rien entendu ?
- Tu as du trop abuser de ma p’tite Caroline, soupira l’homme. La rue est aussi silencieuse qu’un temple.
- Je ne suis pas saoul, rétorqua Lucius. Je t’assure qu’il y a eu un bruit atroce.
Il passa ses doigts sous son oreille, encore sensible, mais retint un hoquet de stupeur en les voyant immaculés. N’avait-il pas pourtant saigné, quelques minutes auparavant ?
- Il faut que je retourne à la Confrérie immédiatement, marmonna-t-il. Il se passe des choses bien trop étranges. Si tu veux un conseil, reprit-il plus haut, sois sur tes gardes. Je crains bien que des esprits en aient après notre village.
- S’il y a une chose que m’a bien appris mon métier, sourit le tavernier, c’est de ne jamais écouté un homme ivre, tant bien même qu’il puisse utiliser la magie. Rentre donc chez toi, d’accord ?
Sans daigner de répondre, Lucius s’engouffra à toute hâte dans la rue voisine et se mit en chemin vers la Confrérie. Peut-être que le bibliothécaire trouverait la cause de cet étrange évènement.
Après avoir traversé la moitié de la ville plongée dans le noir, il arriva devant une riche bâtisse ou perçait la lumière à travers les rideaux. Une immense porte en chêne en gardait l’entrée, mais il n’eut qu’à poser l’émeraude de sa bague contre la serrure pour qu’elle s’entrouvre avec un grincement accueillant. Il y avait cette odeur habituelle de poussière et de fumée, qui, aussi loin qu’il puisse s’en souvenir, avait toujours été là. L’entrée de la Confrérie était vide, seulement meublé d’un guichet sombre, mais chacun des trois murs en face accueillaient une quantité indénombrable de portes, cachant derrières elles milles et une merveilles. Lucius se racle la gorge, et soudain, une vieille femme rabougrie sortit de l’ombre. Bien que son chignon gris et sa canne brillante ne paraisse que peu menaçant, Lucius se retrouva immédiatement immobilisé par une force invisible. La puissance de la magie physique de cette femme était extraordinaire ; peu était ceux qui pouvait l’égaler. Et malgré son âge avancé, elle continuait à prouver sa loyauté à la Confrérie, non pas en réalisant des missions comme dans sa jeunesse, mais en gardant férocement l’entrée de leur quartier généraux.
- Lucius, ronchonna-t-elle, que viens-tu donc faire ici si tard ?
- Aarburg, j’ai besoin d’aller parler avec un érudit, explica-t-il. Il se passe des choses…
- Si tu viens te plaindre d’une manifestation anormale aux alentours de minuit, le coupa-t-elle, sache que trois mages sont déjà venus avant toi. Je les ai envoyés dans la salle capitulaire, vas donc les y rejoindre. Un Père va arriver d’une minute à l’autre pour écouter.
- Trois autre ? s’étonna Lucius.
- Mauvais signe, n’est-ce pas ? soupira la vieille Aarburg. D’ici quelques jours, la délégation annuelle du Royaume arrivera. Nous pourrons en discuter avec eux, nous verrons bien si nous sommes les seuls à percevoir ce climat de menace.
- Prions pour que ce ne soit rien de grave, souhaita-t-il.
- Ce sont les faibles qui prient, répliqua Aarburg avec une moue hautaine. Ceux qui ont la puissance entre leur main agisses et sauvent leur vie sans aides céleste. Maintenant, va, mon garçon, et laisse-moi me reposer.
Lucius obéit, et entra dans la salle capitulaire. D’ordinaire plein à craquer d’étudiants, elle était presque totalement vide. Il partit s’asseoir sur un banc sans un regard pour les autres mages déjà présent. Une porte, à l’autre extrémité de la salle, claqua, et un Père s’avança prestement jusqu’au pupitre, et y ouvrit avec force un énorme manuscrit.
Annotations