SABLES

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L’étendue herbeuse que je parcoure depuis la forêt l’est de moins en moins, herbeuse, et de plus en plus de sable est visible entre les longs brins élancés. Je me dirige vers un des pilliers les plus proches pour étudier de plus près ces structures qui m’étonnent. Les parois ont l’air assez bosselées, j’espère également pouvoir l’escalader assez haut pour avoir une vue d’ensemble.

Les plantes se font de plus en plus rares, le sable froid s’infiltre dans mes souliers, c’est très désagréable. Alors que le ciel commence à s’éclaircir – il me reste quelques heures avant que la chaleur ne devienne insoutenable – je remarque que le pilier sur lequel j’ai fixé mon cap ne semble pas avoir changé depuis que je me suis mis en route. Serait-il plus loin que je ne le pensais ? Je devrais déjà être à un tiers du chemin… Mais hors de question de faire demi-tour, j’en ai vraiment assez de Miloomba. Je poursuis donc mon chemin sous les étoiles qui s’effacent doucement.

Le soleil s’est levé avec ses rayons ardents et je n’ai toujours pas atteint mon pillier. Des mirages se forment au loin, là où l’air froid s’enfuit vers le ciel, des lacs d’huile et d’éphémères colonnes tremblotantes parasitent mon champs de vision. Sous mes pas, le sable s’écoule en chuchotant et forme de petits cônes en relief inversé. Je m’arrête une première fois pour isoler ma flûte dans ma cape au cas où le vent décidait de se lever, puis une deuxième, cinq cent mètres plus loin, pour boire une gorgée de ma gourde. La température commence à s’affoler, mes pieds me brûlent, je dois m’interrompre une troisième fois pour les emmailloter dans une couche de tissu afin de les isoler du sable.

Le pilier est beaucoup plus éloigné que je ne l’avais imaginé, je ne l’atteindrais pas à temps pour échapper au supplice de la mi-journée, mais je ne m’en fais pas trop. En effet, depuis déjà une demi-heure, je guette son ombre qui tourne avec le soleil et s’approche de moi telle l’aiguille d’une immense horloge. Malgré les apparences, nous ne sommes pas en région équatoriale ni même tropicale, et notre étoile ne s’élèvera pas à plus de 40° au dessus du sol, ce qui me laisse, au vu de la taille de ce pilier, plus de trois kilomètres d’avance sur le soleil.

Au bout d’une heure de pur calvaire, je rejoins enfin l’ombre salutaire de la colonne rocheuse. La chaleur ne change presque pas, mais je suis au moins libéré des rayons assourdissants contre mon chapeau. Je me repose quelques minutes et laisse mes yeux s’habituer, mais je ne peux pas rester, le jour continue de tourner, aussi je me relève péniblement et me remet en marche en modifiant légèrement ma trajectoire afin de ne pas me retrouver à nouveau sous l’enfer. J’avale lentement les derniers kilomètres qui me séparent du pilier qui remplit à présent presque la totalité de mon champs de vision, trop lentement presque, j’ai l’impression que le sable me ramène en arrière au fur et à mesure que j’avance, il me faut quatre pas pour parcourir la distance d’un…

De la roche, enfin ! cela fait quelques minutes que j’ai quitté le sable pour un sol plus rocailleux et me voici au niveau du rocher monstrueux. Je ne suis pas seul, une dizaine de petits animaux se réfugient dans les crevasses à mon approche, trop rapides pour que je puisse les identifier. Je suis fourbu, mais les longues fissures bordées de larges saillies offrent de trop belles prises pour que je refuse de les escalader. Je m’élève d’une petite dizaine de mètres et m’installe dans un creux à peine plus large que moi, tournant pour la première fois de la journée mon regard vers Miloomba.

L’ombre bleutée de la forêt se distingue à peine du ciel qui la surplombe. A son bord, une silhouette noire tarabiscotée se détache contre le fond verdâtre ; j’avais planté la pousse de carnitorus qui commençais à gigoter dans ma poche à l’orée de la forêt, telle une gardienne, et la réalisation de la taille immense que finira par prendre cette plante par rapport aux arbres d’un mètre vingt me conforte dans mes certitudes sur l’état chaotique du temps en ces lieux. Pour la taille des arbres, le mystère était simple, Miloomba n’est qu’ un immense bassin dans lequel les arbres ont, pour ne sais-je quelles raisons, décidé d’élever leurs cîmes à la même altitude. Mais comment expliquer que j’avais pu observer avant d’entrer dans la forêt le carnitalus que j’y ai planté ce matin ? Le temps peut-il se torsionner autant ?

Si Miloomba se jouait des lois de la succession temporelle pour jongler alègrement entre les causes, les effets et le présent, le désert d’Huyro, lui, semble prendre un immense plaisir à déformer l’espace et les distances. En grimpant encore un peu plus haut, je remarque que l’ombre de l’immense pilier s’élèvant dans mon dos s’étend maintenant jusqu’à la plaine herbeuse qui sépare les arbres du sable brûlant. J’estime huit kilomètres en comptant la prairie, dix grand maximum, le soleil est encore haut dans le ciel. Il est impossible de n’avoir parcouru qu’une distance aussi courte en presque neuf heures de marche ininterrompue... Où sont donc passés ces hectares de sable inondés de soleil entre l’herbe et l’ombre du pilier ? La brise légère qui souffle en continu au ras du sol a effacé mes traces depuis longtemps, mais je n’ai pas halluciné cette longue marche ardente, mon corps parle pour moi… Exténué, je me replie dans une petite alcôve bordée de feuilles rêches et m’endort doucement.

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