Partie 1.1

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Je regarde le fond de mon verre sans le voir. Il y a longtemps que je l’ai terminé, mais je ne me suis pas encore décidée à en commander un autre. Je pousse un profond soupir.

— Solène, il va falloir que tu te ressaisisses, je murmure.

Je secoue la tête pour me reprendre.

— Un autre mojito s’il-vous-plaît.

J’attends patiemment que le barman me serve. A peine a-t-il posé le verre devant moi que je le porte à ma bouche. La nouvelle gorgée que je prends me laisse une douce traînée dans la gorge qui me réchauffe de l’intérieur.

— Vous parlez souvent toute seule ?

Je repose lentement mon verre et me tourne vers l’homme à l’origine de cette voix. Il se tient debout, non loin de moi. Du regard, je parcours son corps. Il est grand, la trentaine, avec de courts cheveux noirs. Dans la pénombre du bar, je n’arrive pas à apercevoir ses yeux, mais son sourire laisse entrevoir des dents blanches.

Je plisse les yeux et ramène mes cheveux blonds en arrière avant de répondre.

— Oui, ça m’arrive, en effet.

Je regarde droit devant moi, détaillant les différents alcools proposés par l’établissement. L’inconnu en profite pour s’assoir sur le tabouret à côté de moi. D’habitude, j’apprécie ce bar parce que la musique n’y est pas trop forte. Cette fois, je regrette qu’elle ne puisse pas couvrir la voix de l’importun.

— Solène, c’est bien ça ?

Je fais mine d’ignorer sa question, le regard obstinément fixé devant moi.

— Vous n’avez pas l’air dans votre assiette. Je peux vous tenir compagnie ?

Je hausse les épaules.

— Si ça peut vous faire plaisir.

Je reprends une gorgée d’alcool.

— Dites-moi, qu’est-ce qui vous mine le moral à ce point ?

Je tourne la tête vers lui, haussant un sourcil.

— Qu’est-ce qui vous dit qu’un évènement en particulier me mine le moral, comme vous dites ? Pourquoi ce ne serait pas simplement ma condition d’Ouvrière qui me démoralise ?

Il hausse les épaules à son tour, pas affecté pour deux sous.

—  Je comprends qu’une vie d’Ouvrière ne vous paraisse pas très rose.

Je porte mon verre à mes lèvres. Il poursuit.

— Mais je suis persuadé que ce n’est pas la seule raison qui vous pousse à ne pas sourire. J’ai tort ?

Je repose le verre en poussant un profond soupir.

— Non, vous avez raison.

Je plonge mon regard dans le liquide rendu vert par la menthe qui se noie dedans, perdue dans mes pensées. Je laisse le silence s’installer quelques instants avant de reprendre.

— J’ai reçu une lettre du Ministère des Naissances. J’ai presque atteint mes trente ans, mais je refuse d’avoir des enfants. Ils me menacent.

Je bois le reste de mon verre d’une seule traite.

— Cette stupide loi…, j’ajoute dans un murmure.

— Pourquoi refusez-vous d’avoir des enfants ?

Je fronce les sourcils.

— Vous trouvez ça juste, vous, d’imposer aux femmes d’avoir trois enfants ? D’imposer à ces mêmes enfants d’exercer une catégorie de métier spécifique ? Encore pire, d’imposer à l’un d’entre eux de devenir un vampire ?

Il m’adresse à nouveau un grand sourire.

— Je n’ai pas à m’en plaindre personnellement.

Je recule vivement et m’accroche au bar en voyant ses crocs apparaître.

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