Partie 4.2
Je lâche ce tissu d’ânerie sur mes genoux. Mes mains sont moites. Des sueurs froides me remontent dans le dos. Je repose fébrilement le magazine sur la table basse et essuie mes mains sur mon pantalon en toile. Je ne peux pas croire ce que je viens de lire. Alors c’est de ça dont me parlait mon frère. Une nouvelle envie de vomir me saisit. Cette nausée n’a rien à voir avec celles dont je souffre en ce moment, mais bien avec cette propagande dont le gouvernement nous abreuve constamment.
Je regarde la pile de magazines comme si elle allait me sauter dessus. Je ne pensais pas que le gouvernement allait pouvoir faire pire. Une peur vive me saisit tout entière. Comment procèdent-ils pour forcer les femmes à se faire inséminer ? Est-ce qu’ils les convoquent sur leur lieu de travail ? On ne peut rien faire devant son patron, à moins de vouloir se faire renvoyer. Est-ce que mon tour va venir ? Après tout, je viens de recevoir une lettre de menace du Ministère des Naissances. Je comprends mieux leur « si vous ne prenez pas la décision vous-même, nous ferons le nécessaire à votre place ».
Un rire nerveux s’échappe de mes lèvres. La vieille femme me jette un regard noir. Nous sommes seules dans la salle d’attente. Je n’arrive plus à tenir en place. Je m’apprête à me lever et à sortir lorsque mon téléphone sonne. Je regarde le nom sur l’appareil. C’est mon vampire de grand-frère.
— Allo Hugo ?
— Solène ! Tu ne vas jamais me croire !
Mon cœur bat fort dans ma poitrine. Hugo dirige un hôpital. Est-ce qu’il fait partie de ces hôpitaux mandatés pour retrouver les fraudeurs ? Est-ce qu’il va devoir m’inséminer ?
— Cet enfoiré a recommencé !
— Cet enfoiré ?
La vieille femme claque sa langue contre son palet. Elle est clairement agacée. Je lui adresse un signe de la main en guise d’excuse avant de me diriger vers la sortie.
— Oui, l’enfoiré ! Tu sais ! L’autre directeur, celui qui gagne tous les appels d’offres !
A peine ai-je ouvert la porte, que je me retrouve face à mon médecin. Il m’adresse un sourire lumineux.
— C’est à votre tour, mademoiselle Veriet.
— J’arrive tout de suite, je lui réponds.
— A qui est-ce que tu parles ? s’étonne mon frère.
— Ecoute, j’ai un rendez-vous. Est-ce que je peux te rappeler ensuite ?
— Mais Paul Fink a remporté le droit d’inséminer les fraudeurs ! Tu ne trouves pas ça injuste que ce soit toujours lui qui…
Mon portable glisse de ma main. On entend mon frère qui continue à se plaindre à travers l’appareil. Je regarde mon médecin, les yeux écarquillés. Il me fait signe de le suivre. Tel un automate, je ramasse mon portable, raccroche au nez de mon frère, et suit le docteur dans son cabinet. J’entends distinctement la vieille femme pousser un soupir de soulagement lorsque je referme la porte derrière moi.
Nous longeons le couloir jusqu’à la salle d’examen. Je prends place là où on me demande de le faire.
— Mademoiselle Veriet, je viens de recevoir les résultats des examens que nous avons fait il y a un peu plus d’une semaine.
Son sourire est plus lumineux que jamais. Mes yeux s’humidifient lentement.
— Je m’en doutais lorsque vous m’avez donné vos symptômes, c’est une excellente nouvelle !
Une larme roule le long de ma joue. Je garde les yeux grands ouverts, obstinément fixés derrière mon interlocuteur.
— Votre émotion est bien naturelle.
Il tend quelques feuilles vers moi. Le résultat de mes examens.
— Toutes mes félicitations.
Je baisse les yeux vers l’objet de ma détresse. De nouvelles larmes roulent. Viennent s’écraser sur les feuilles blanches. Font baver l’encre des quelques mots qui scellent mon destin.
« Enceinte »
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