Devant l'école
Je regarde ma montre, il n’est que 16h20, mais il y a déjà beaucoup de monde devant le portail de la maternelle. Des femmes pour la grande majorité, des mères. J’ai entendu à la radio ce matin que si les hommes trompaient leurs femmes ils rencontraient leurs maitresses à 80% du temps sur leur lieu de travail. Les femmes quant à elles rencontrent leurs amants dans la plupart du temps à l’école de leurs enfants. Je scanne la foule d’un œil nouveau. Laquelle seraient prête pour ce genre de rencontre. La brune à droite ? Le groupe des commères ? Celle qui enguirlande son fils parce qu’il veut grimper au grillage ?
Ou celle là, dans le coin. Depuis quand est elle là ? Je ne l’avais pas vu, discrète , effacée, assise sur son muret, plongée dans sa lecture, comme si le monde n’existait plus. Elle tient le livre de poche de la main gauche, un policier, de sa main droite elle joue avec ses cheveux. Elle entortille une mèche châtain ombré blond autour de son index. Ses ongles sont courts et propres, sans artifices. Elle porte un jean, un petit haut noir, des Converse. Rien de bien original, à la mode, et pourtant passe partout. Sa seule fantaisie, son rouge à lèvre peut-être : rouge passion.
16h30, les enfants s’apprêtent à sortir. Elle se lève, range son livre dans son sac à main. Sac à main que dis-je, c’est un sac de voyage, il doit bien peser dix kilos. Que cache-t-elle dedans ? Une bibliothèque ? Un kit de survie ?
Ah, je n’avais pas vu, elle porte un sautoir. Maintenant qu’elle a les mains libres, elle ne sait quoi en faire, alors elle fait coulisser son médaillon sur sa chaine. Elle est grande, élancée, plutôt bien faite quand on prend le temps de la regarder. Ses lunettes lui vont bien, même si elles cachent ses yeux bleus. Elle a l’air fatigué, elle réprime un bâillement, et se frotte la nuque comme pour en chasser une douleur.
Le portail s’ouvre, les mères et grands-mères se pressent devant l’entrée. Elles lui passent devant comme si elle était invisible. Elle les laisse faire et recule pour ne pas se faire marcher sur les pieds. Quand vient son tour, elle avance, un petit blond se précipite vers elle. Elle s’accroupit et ouvre ses bras. Ses yeux brillent, elle sourit, une ride encore peu profonde se dessine sur sa joue gauche, pas sur la droite. Elle doit avoir tendance à faire la grimace ou une moue spéciale quand les choses ne lui conviennent pas. Ou alors elle a un côté moqueur ? Elle doit avoir de l’humour, avec son rire en coin…
Les gens quittent l’école, le portail se referme, ma fille me donne la main. Je me dirige vers ma voiture. Mais elle, elle reste là, elle écoute son fils qui lui raconte le menu du jour, toujours accroupie. Elle pose son sac au sol, fouille dedans. Je m’arrête, je veux savoir ce qu’il contient. Elle ne trouve pas ce qu’elle cherche alors elle en vide une partie de son contenu. Un livre, un deuxième livre, des mouchoirs, des petites voitures, un doudou, une tétine, un agenda, un rouge à lèvre, son téléphone, et enfin ses clés. Quel bazar… Elle récupère le tout et le fourre dans son sac sans ménagement. Hop rangé ! Ou perdu dans les méandres du sac sans fond de Mme Poppins ?
Elle glisse les clés dans la poche arrière de son jean, et tend la main à son fils. Sa démarche est souple, au passage piéton elle commence à compter et main dans la main, mère et fils sautent sur les bandes blanches.
Comment peut-elle être si effacée, si invisible et mal à l’aise avec les gens et le monde qui l’entoure, quand elle est capable de se foutre du regard extérieur pour rire et jouer… Ce regard, mon regard, elle l’évite, elle s’en fout, et pourtant son rouge à lèvres m’indique qu’elle aimerait bien, un jour peut-être, que quelqu’un la voit et la trouve belle. Ou juste que quelqu’un la voit telle qu’elle est.
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