Note de l'auteur
Je me souviens qu’en annonçant l’existence de Reset à mon entourage, l’effet de surprise, marqué par des œillades tantôt admiratives, tantôt incrédules mais globalement correctes, fût de loin la réaction la plus triomphante, car peu se doutaient que j’écrivais des histoires. Je ne me leurre pas pour autant, nos proches ont un œil critique adouci sur nos œuvres, à nous, autoédités, je ne m’attendais pas à être descendu en flammes de ce côté-là. Les lecteurs, ceux qui allaient dépenser un petit pécule de leur poche pour découvrir ma mouture, s’en chargeraient allègrement ; une nécessité quant à la remise en question.
Mais ce jour-là, hormis la découverte de mon intérêt pour la littérature, mes lecteurs étaient surtout étonnés de l’épaisseur de mon pavé. Où as-tu trouvé toute ton inspiration ? était une question qui revenait en boucle.
J’étais pris de court. D’autant que Reset avait eu une genèse compliquée. J’ai une réponse toute faite aujourd’hui, et je dévoilerai ses fondements en temps voulu. Mais pour l’œuvre qui va suivre, j’ai décidé d’expliquer mon projet dans ce petit avant-propos.
Il faut remonter à un matin de novembre 2009. Matin où je me suis réveillé l’esprit si confus que j’ai bien dû mettre une heure à quitter mon lit. On fait tous des cauchemars qui nous bouleversent au point d’en avoir une larme au coin de l’œil. J’ai souvenir d’un terrible monstre aux pattes velues me dévorant les phalanges des pieds alors que j’avais tout juste cinq ans. En 2009, j’étais marié et ma femme attendait notre premier enfant. Ma vie était on ne peut plus équilibrée et, à même pas trente ans, j’avais le sentiment que rien ne pouvait m’atteindre. En apparence, pas de quoi se tourmenter pour un rêve qui sonnait un peu trop vrai au réveil. Et pourtant… J’ai passé une bonne partie de ma journée à me le rejouer. Une bonne partie de ma soirée à me documenter sur internet aussi. Ça a duré comme ça quelques jours avant de se ranger quelque part dans une case de mon esprit. Je dis bien ranger. Pas effacer.
Je parcours près de 60 000 kilomètres par an pour mes besoins professionnels. Des étendues agricoles de la Marne aux gratte-ciels de la Défense, je vois défiler un tas de paysages aussi plats qu’escarpés. Je les traverse comme une vague va et vient sur une plage ; comme une pluie d’astéroïdes balaye l’univers. Certains m’inspirent, produisent une émulation de mots et de scénarios que je m’empresse de taper à l’ordinateur dès que je le peux. D’autres me laissent complètement indifférent. Tout ceci pour dire que c’est depuis une voiture arpentant nos autoroutes que mon vieux rêve est réapparu pour murir dans mon esprit.
Et ce fameux rêve, le voici tel qu’il s’est produit.
Je suis à Montigny-Lès-Metz, dans l’immeuble de ma grand-mère à y faire je ne sais quoi. Enfin, si. Je sais ce que j’y fais. J’attends le café. L’ancienne a encore une cafetière à filtre numéro 5 dont on peut abuser de la substance (les machines automatiques d’aujourd’hui utilisent des capsules au dosage si musclé que je vous mets au défi de boire trois expressos de suite sans une impression de bras qui se lèvent tout seuls. Dans les mazagrans de mémé, aucune hausse de tension à prévoir, et on peut en boire des litres sans rien risquer de pire qu’une terrible envie d’uriner).
Je me tiens au milieu du salon, qui ne compte plus qu’un téléviseur Grundig de 1994 à tube cathodique posé sur une table basse. Il y a aussi un tableau ; un paysage forestier qui m’a toujours intrigué car on confondait les personnages avec les branchages et les fougères. Ce décor tronqué est celui de mon enfance. Il ne ressemble pas vraiment à l’appartement tel qu’il est aujourd’hui, et c’est pour ça que je sais que je suis en train de rêver.
La porte fenêtre est ouverte et j’entends les jeunes de l’AS Montigny s’entraîner de l’autre côté de la route, sur le terrain municipal de football. Je n’ai aucune vue sur le ciel mais je sais qu’il fait beau. Un temps de mai. Ou de juin plutôt. Il y a ce petit parfum dans l’air qui sonne le glas de la fin de l’année – scolaire. Les rêves ne sont jamais trop précis concernant l’époque où ils se déroulent. Ils sont beaucoup plus précis pour développer des scénarios invraisemblables dont on peine à se souvenir vingt minutes après le réveil. Celui-ci n’en fera pas partie.
Donc j’attends. J’attends mais ma grand-mère ne vient toujours pas avec le café – d’ailleurs, ça ne sent même pas le café. À la place, je sens une drôle d’odeur. Quelque chose que je n’arrive pas tout de suite à déterminer et qui se fiche quelque part dans mon ventre. Mais ce n’est pas tant ça qui me préoccupe. Je sens qu’il va – doit – se produire quelque chose. Que je le sais et que nous sommes arrivés à échéance. Je ne sais pas de quoi il s’agit mais j’ai si peur que je sens mon cœur battre dans toutes mes extrémités.
Puis ce décor est remplacé par un autre en une seconde. Je suis toujours seul, mais en bas de l’immeuble cette fois-ci. Il y a un formidable avion en bois que des enfants s’amusent à piloter « pour de faux ». Un bac à sable aussi ; mais personne n’a le droit d’y aller, parce que les chiens et les chats du quartier prennent un malin plaisir à s’y soulager et qu’aucun parent digne de ce nom ne laisserait sa progéniture ramener des grains de sables pisseux sous ses chaussures.
Le quartier est composé d’une série de 6 blocs parfaitement identiques alignés le long de la route. De l’autre côté de celle-ci se situe le terrain de l’AS Montigny, grillagé sur toute la longueur. De la verdure englobe les bâtiments. On y retrouve une aire de jeux similaire à mon avion de bois entre chacun. Au bout de la rue, qui est une impasse, trône un lycée technique au sommet d’un talus. Et c’est de là que je la vois arriver pour la première fois. Immense. Irrégulière. Masse glacée détruisant tout sur son passage : la vague.
Le ciel a viré au noir et crache une pluie salée. Je reste là, pétrifié parmi les pleurs d’enfants et les cris de leurs parents. Je n’ai aucune échappatoire. L’odeur que j’avais sentie dans l’appartement me remonte de l’estomac : l’écume. Celle de l’océan qui va s’abattre sur moi. Mais je n’ai pas le temps de sentir son rude contact. Je me réveille juste avant.
Je suis un froussard compulsif. Derrière mon apparence calme et placide sommeille une véritable peur de la séparation et de la mort. La fiction est fantastique pour cet aspect. Elle permet de gommer la réalité et d’en créer une autre. Une où mes proches et moi-même n’existons pas – vous non plus d’ailleurs, chers lecteurs. Voilà pourquoi j’ai voulu donner vie à mon horrible rêve. Comment j’ai inventé des personnages traversant cette épreuve avec tout le passif de leur vie et de leur conscience.
Je ne sais pas comment je réagirais si une vague gigantesque s’apprêtait à engloutir la Défense et les champs de l’est, mais ce qui est certain, c’est que la littérature est un bien meilleur terrain de jeu pour l’imaginer.
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