Manou
Manou,
Savais-tu que je voue une grande passion aux arbres ?
Leur couleur, pour commencer. Le vert a toujours été ma couleur préférée. Peut-être parce que c'est celle de mes yeux, peut-être parce que mon père m'appelait "le chinois vert", ou parce que le vert est la couleur des paysages de nature, parsemés de forêts, ceux devant lesquels je peux me perdre en contemplation pendant des heures. Et quand vient l'automne, à cette infinité de teintes de vert s'ajoute une magnifique palette allant du rouge au jaune, enflammant les feuillages de ces couleurs flamboyantes.
Leur forme ensuite, toujours aérienne, oscillant au gré du vent entre perfection mathématique et chaos poétique : la majesté du chêne, la pureté des lignes d'un cyprès, la mélancolie romantique du saule pleureur, le joyeuse nonchalance du cocotier, le foisonnement végétal sublimé par l'alignement parfait de l'allée des tilleuls dans le parc du chateau de Bussières.
Nul ne saurait dessiner un arbre à la perfection avec sa multitude de branches et ses indénombrables feuilles ou aiguilles. Pourtant, nos premiers dessins d'enfant représentent souvent une simple tache verte avec un vague rectangle marron : un arbre, du premier coup d'oeil, sans aucun doute. Peut-être une réminiscence de cette époque très lointaine où ils étaient notre habitat, un souvenir enfoui qui aurait survécu à nos sociétés modernes, dans nos cubes de béton, dans lesquels les seuls arbres sont ceux du beau paysage de notre fond d'écran d'ordinateur.
Quand je visitais le Louvre, au milieu de tant de toiles de maître et d'oeuvres mondialement connues, je ne regardais qu'une seule chose : comment le peintre avait réussi à capter la magnificence des arbres. Les impressionistes du Musée d'Orsay, à deux pas de ton appartement des Invalides, l'emportaient généralement haut la main.
Si un arbre est une merveille pour les yeux, il ne manque pas d'intérêt pour tous les autres sens. Son tronc peut être aussi rugueux que ses feuilles sont douces. La coque de ses fruits peut être aussi piquante que leur chair succulente. Je me souviens, je n'avais pas encore cinq ans, que les pommes de pin exerçaient sur moi une fascination que je ne m'explique toujours pas. Je parcourais toute la journée le parc du chateau, avec ma brouette et la canne de l'arrière grand-père, à la recherche de ce fruit étrange, tantôt vert et lisse comme une peau de serpent, tantôt marron et éclaté comme un oursin.
Mais ce que je préfère par dessus tout, c'est le bruit du vent dans les arbres. N'y-a-t-il pas plus paisible et plus reposant moment dans une vie que s'asseoir au pied d'un arbre et écouter les branches bruisser doucement ?
L'arbre, parmi tant d'autres symboles, représente aussi la famille, lorsqu'il se fait généalogique. Nous au centre, au niveau du tronc, nos aïeuls dans les branches et les feuilles, et parfois nos enfants en dessous, là où se trouvent les racines. Je n'ai jamais compris cette représentation. Ne dit-on pas que nos ancêtres sont nos racines. Et nos enfants ne sont-ils pas les forces vives de la famille, notre futur, les feuilles et les fruits de l'amour qui a uni tant de couples à travers les générations ?
Aujourd'hui, je comprends mieux. Car les feuilles finissent par tomber alors que les racines permettent à l'arbre de ne pas s'écrouler.
Lorsque nous avons célébré un dernier adieu dans cette église, j'ai pleuré. Comme je pleure rarement, comme je n'avais jamais pleuré, inconsolable dans les bras de mon épouse. Et des larmes se pressent encore alors que j'écris ces lignes. L'image de mon père, un grand-père digne allumant la bougie du cercueil de sa mère, me hantera encore longtemps. Pendant une seconde, à travers mes yeux embués, c'est le petit garçon que j'ai vu, l'aîné de la fratrie, formulant un adieu muet à sa maman. Et la seconde d'après, j'étais ce petit garçon, et je ne suis pas prêt.
Tu étais la dernière feuille si haut dans cet arbre que je chéris tant. Tu as fini par t'envoler dans la brise légère, autour du grand chêne de la Grange du Bois. Et désormais, je ne vois plus que des feuilles autour de moi.
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