Présomption d'innocence
Lundi 16 février 2004,
Madame T,
J'ai bien compris quel plaisir vous retiriez de vos activités. Mes camarades m'ont détaillé les soirées auxquelles ils ont participé avec force détails. Je ne doute pas de vos aptitudes, bien qu'indécelables à mon sens, quand je vois les accoutrements disparates dont vous vous parez. Les préliminaires qui sont votre spécialité ont reçu un certain succès. J'ai visionné quelques vidéos de vos exploits, je comprends qu'on puisse apprécier de telles séances. L'initiation que vous proposez est assez complète, mais pour ma part je ne suis pas féru d'accessoires.
Ce qui pour vous est un amusement est pour moi un problème. Étant donné que j'ai un QI de 142 (mes parents ont de suite pensé qu'un enfant de huit ans ne pouvait pas lire Socrate ou résoudre des équations sans que cela dénote des capacités hors norme), j'ai un discernement différent de la plupart des élèves de mon âge. J'ai une fâcheuse tendance à l'isolement, je ne ris pas aux mêmes blagues que les autres, je m'ennuie un peu à leur contact à vrai dire.
Margaux l'a bien compris, elle, puisqu'ensemble nous discutons pendant des heures, de philosophie et de physique quantique. À son contact je m'épanouis. J'ai trouvé mon double, ma muse. Je lui écris des poèmes. Pour un garçon de mon âge, ce n'est pas très choquant vous en conviendrez. Venons-en à nos préoccupations. Vous ne savez donc pas que j'ai sauté deux classes et que je n'ai que 14 ans et demi. J'imagine votre surprise. Je sais, je ne les fais pas. Et heureusement, sinon j'aurais eu droit à ce harcèlement anti jeune surdoué que je déteste tant. Voyez-vous, cela pose le problème de la majorité sexuelle, et en tant que professeur détenant une autorité sur autrui, conformément à l'article 227-25 du Code pénal, vous êtes passible de poursuites pénales en cas de relations intimes avec moi.
Je ne vous le fais pas dire , "ça craint". "On est mal !"
Je tenais aussi à vous rassurer : j'ai un profond respect pour les enseignants. Même si je suis surdoué, j'écoute toujours attentivement vos cours, car c'est dans mon éducation de bien me comporter (merci papa et maman). J'ai remarqué que depuis la rentrée, vos cours ont moins de saveur, présentent des similitudes avec ceux de l'année dernière. Par ailleurs, vous distribuez davantage de photocopies plus ou moins intéressantes. Je vous sens ailleurs. Votre vie privée très riche y est sans doute pour quelque chose. Mon père est commissaire, comme vous le savez peut-être. Il n'est pas encore au courant de tout ce qui se trame au lycée. Mes camarades m'en voudraient si je leur ôtais ces moments inter-cours devenus ô combien indispensables. C'est pourquoi j'ai décidé, après mûre réflexion, de me taire. En échange de mon silence, vous me couvrirez lors de mes trafics d'objets d'arts interceptés à la douane et qui m'assureront une belle rente plus tard. Vous ne manquerez pas de louer mes qualités et mes mérites à chaque conseil de classe, m'appuierez lors des épreuves du bac français et m'obtiendrez une mention l'année prochaine. Même moi j'ai besoin d'une alliée sûre pour réussir car certains profs m'ont pris en grippe et appréhendent à chaque cours mes interventions plus ou moins fondées.
Je compte donc sur votre discrétion tout comme vous pouvez compter sur la mienne. Je vous souhaite beaucoup de plaisir dans vos activités.
P.S. Ne m'en veuillez pas si j'ai appliqué le vieux proverbe " Tel est pris qui croyait prendre."
PS. 2 Je penserai à vous le jour de mes seize ans, il n'est pas exclu que je veuille à mon tour une petite gâterie à ce moment-là... Bien à vous,
Manu
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