Paris-Manhattan

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Paris, le 18 novembre 2015


Une carte postale de New-York, un cliché en noir & blanc, une vue de Manhattan version Woody Allen…

Je te reconnais bien là, ma Jodie, dans tes taquineries d’américaine à l’encontre du petit frenchy que je suis. Comme un clin d’œil à l’image stéréotypée que vous vous faites de nous dans vos séries télévisées ou longs métrages hollywoodiens. Parce qu’à l’heure d’internet et des SMS quasi instantanés, une carte postale, ça fait quand même un peu old school entre deux jeunes gens ultra-connectés.

Mais ça me fait sourire aussi, ça me renvoie à tellement de choses. A nos chamailleries d’antan, aussi existentielles que politiques, à nos discussions sans fin sur la littérature, le cinéma ou encore la musique. A nos découvertes respectives, à l’amour que nous faisions dans tes draps, dans ta minuscule piaule, à deux pas du campus de Columbia. Pour un peu, j’entendrais presque le Rhapsody in blue de Gershwin me bercer, comme lorsqu’on s’enlaçait sur ton plum’…

Et tu vois, en ce moment même, j’ai besoin de me souvenir de ça, de la douceur et de la joie de nos années universitaires. Tes mots traduisent une insouciance feinte, trahissant malgré tout, en substance, une inquiétude réelle. On s’est brièvement parlés via Facebook, mais tu as quand même peur pour moi, à chaque instant. Les attentats parisiens du 13 novembre ont réveillé en toi ce vieux traumatisme qui ne t’a jamais vraiment quittée : perdre quelqu’un à cause de la folie fanatique d’une poignée d’hommes.

Tu disais toujours qu’un non-américain ne pouvait pas comprendre l’impact psychologique du 11 septembre sur votre nation, quand c’est le cœur même de cette nation qui est attaqué en son sein. Quand on lui déclare la guerre en s’en prenant à des civils, de simples quidams, des types ou des nanas comme toi et moi.

Aujourd’hui, cet impact, ce choc, je le comprends, c’est ce que ma nation est en train de ressentir, de subir. Parce qu’elle aussi pleure ses enfants. Parce que la défiance et la peur sont à chaque coin de rue.

J’étais au Stade de France, ce soir-là. Trois minutes avant l’explosion, j’étais là-bas, au stand kebab à m’acheter un encas. J’aurais pu y passer, j’aurais pu y rester moi aussi. Comme ton père il y a quatorze ans. Et j’ai flippé. Pas sur le moment bien sûr, mais après, quand j’ai su. Quand les flashs spéciaux ont crépité de partout, dans nos foyers comme à l’autre bout du monde.

Oui, nos tendres années, ton espièglerie et ta malice me manquent, Jodie. J’aimerais pouvoir fermer les yeux sur toute cette violence, toute cette haine, et me réfugier dans tes bras pour enfin respirer et vivre. Pour t’aimer. Parce que les images dans les journaux, tout le temps, tous les jours, ça m’asphyxie, ça me bouffe.

J’ai besoin de toi, Jodie, besoin de toi pour oublier. On passe à côté de tellement de choses, tu sais, on se prend la tête pour tellement de futilités si dérisoires que je n’ai plus qu’une seule envie : vivre pour l’essentiel. Et tu es mon essentiel, my pretty Jodie. Mon essentiel…

Alors, sans me poser de questions, sans savoir si tu me feras une petite place dans ton lit pour reprendre là où on n’aurait jamais dû s’arrêter, tous les deux, j’ai déjà pris mon billet low cost pour JFK. Et je décolle de Roissy lundi prochain, le 23 à 11 heures 10. Oh, ta chambre est sans doute aujourd’hui plus grande qu’elle ne l’était à l’époque, mais ce sera notre refuge quand même ! Parce que j’ai renoncé à étudier et à comprendre comment s’inocule la haine, comment fonctionnent ceux qui la répandent comme une traînée de poudre. Parce qu’il y a tant d’amour à faire, ma Jodie, tant d’amour à faire ensemble.


Your french lover and guy, Sean

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