La petite boutique de cendres
Il y avait une petite boutique, rue Marceau.
Une devanture défraîchie, une vitrine poussiéreuse, encrassée au gazole.
Et à l’intérieur, un couple de petits vieux affables.
Il n’y avait pas foule dans l’échoppe, alors quand vous vous y attardiez un peu, les petits vieux vous racontaient leurs petits riens.
Ils vous parlaient des histoires de leurs babioles qu’ils avaient dénichées quelque part, au hasard, même que ça leur rappelait le même objet bizarre qu’ils avaient vu un jour de l’été 34, chez la tante Simone.
Ils le racontaient si bien, cet été 34, que vous pouviez presque le toucher du doigt et imaginer le chapeau de paille qu’arboraient tout sourire les souvenirs de leur enfance perdue.
Et puis, ils vous parlaient de leur rencontre à une guinguette, quand ils valsaient encore, musette et jeunes amoureux. Et puis la guerre aussi, les privations, les Trente Glorieuses et les grands magasins.
Ils n’étaient pas malheureux, non, juste nostalgiques. Et malgré leur âge, ils s’accrochaient à leur boutique pour ne pas se dire que leur vie foutait doucement le camp.
Moi, je m’y arrêtais souvent, les jours de pluie. Parce que les jours de pluie, il y avait encore moins de monde que d’ordinaire.
Et que ça leur faisait plaisir, aux petits vieux, de faire un brin de causette à la lueur faiblarde d’une lampe à pétrole d’un autre temps.
On s’en jetait même un petit, discrètement derrière la cravate, sur le coin du comptoir usé par la patine des ans. Même que la vieille nous houspillait juste pour rire, pour meubler un peu l’espace contigu de la voix éraillée de son homme, fâchée de s’étioler de fatigue pour du vent.
Parfois, je leur achetais un abécédaire ou un napperon brodé pour offrir à ma grand-mère. Et la petite vieille en était toute émue, presque à pleurer dans son mouchoir d’avant-guerre, de m’avoir vendu l’un de ses articles maculés de minons savamment entretenus par l’oubli et la misère des boutiques de fortune.
Aujourd’hui, Le Vieux Hibou a fermé ses portes et étiré son rideau de fer rouillé, gris cendre. Ses proprios ne sont plus. Il se murmure qu’un établissement bancaire prendra sa place d’ici quelques semaines. Impersonnel et froid.
Alors, je n’offrirai pas pour la Noël ce canevas " vieille chouette ambre " à mère-grand. Non, je le garderai pour moi en souvenir de ces années tendres, de cette époque révolue, partie en cendres…
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