Vendredi 4 octobre, cité des Mureaux, 0h40

— Putain, Xav’, magne-toi ! J’ai pas envie d’me faire pécho…

— Fais pas chier, Nico. J’ai presque fini…

— Wouah, il est super classe ton graphe !

— Une dernière touche de rouge là, et on s’arrache…

Les deux frangins enfournent leurs bombes de peinture dans leur vieux sac de toile avant de quitter les lieux lorsqu’une voix les stoppe net.

— Non mais vous voyez ce que je vois, les gars ? Je crois que les blancs-becs ont pas bien compris : ce mur, il nous appartient.

— Ouais, t’as raison Mokhtar. On va leur donner une bonne leçon…

Les tagueurs jettent leur bagage au sol et tentent de parlementer avec le groupe hétéroclite qui les prend à parti, en vain. Les lames jaillissent de leur fourreau, les chaînes métalliques et autres nunchakus s’agitent face à eux. Sans réfléchir davantage et d’un regard entendu, le duo détale à toutes jambes, abandonnant surplace leur matos de création graphique. Mais l’hostile bande rivale n’entend pas les laisser s’en tirer à si bon compte et se met à les pourchasser.

Plus sportif que Xav’, Nico prend une bonne longueur d’avance sur son frère, sérieusement à la traîne. Tout en poursuivant sa course, il se retourne sur son brother pour le booster :

— Vas-y, fonce, t’arrête pas…

En traversant le carrefour qui se dresse devant lui, l’aîné observe toujours la progression de son cadet et des sbires de Mokhtar. Il ne voit pas le puissant SUV qui arrive à vive allure.

— Nico, fais gaffe, Nico…

Malgré un bref freinage, l’impact est violent et le Q7 ne peut éviter le choc. Le jeune homme percute le pare-choc, le capot avant, le pare-brise avant de retomber lourdement sur le bitume.

— Noooooon ! Nicoooo ! Nicooooooo !

Xav’ se précipite vers son frangin, le serre contre lui, mais il est trop tard.

— Nico, tu m’entends ? Nico, parle-moi mon frère… Au secours ! Est-ce que quelqu’un m’entend ? Au secours !

Immobilisée quelques mètres plus loin, l’Audi remet les gaz pour quitter au plus vite le lieu du drame. Xav’ n’a que le temps de relever le numéro d’immatriculation du véhicule, AD-475-ZX, et de hurler à la mort.

— Enculéééééééééé !

***

Samedi 5 octobre, quartier résidentiel des Tilleuls, 14h05

— Monsieur Deville, Jean-Philippe Deville ?

— Oui, c’est moi. Mais qu’est-ce qui se passe, c’est quoi cette armada ?

— Vous êtes bien le propriétaire d’une Audi Q7 immatriculée AD-475-ZX ?

— Euh, oui… En tout cas, ça ressemble à mon numéro d’immatriculation, mais…

— Pouvons-nous jeter un œil à votre véhicule, s’il vous plaît ?

— C’est-à-dire que… Il est en réparation…

— Ah oui ? Etrange coïncidence ! Je vais vous demander de nous suivre au poste…

— Tout de suite là ? Mais pourquoi ?

— Ne m’obligez pas à vous mettre les pinces, Monsieur Deville, suivez-nous sans faire d’histoire…

— Non, je refuse de vous suivre ! Laurène, Laurène, y’a les flics qui veulent m’embarquer, Laurèèèène !

***

Samedi 5 octobre, commissariat principal, 15h30

— Mais enfin, ça fait la centième fois que je vous le répète, j’ai emmené ma voiture au garage ce matin parce que j’avais un rendez-vous en carrosserie pour défroisser une aile suite à un léger accrochage. L’expert est passé à la concession la semaine dernière, vous n’avez qu’à vérifier auprès de l’atelier et de mon assurance…

— On va vérifier, oui. Ça ne te disculpe pas pour autant. Le témoin de l’accident a clairement identifié la marque, le type du véhicule, ainsi que son immatriculation. Ça correspond parfaitement à ta bagnole. Alors où étais-tu la nuit dernière, aux environs d’une heure moins le quart du matin ? Et ne me ressers pas ton couplet sur ton repas d’affaires bidon, ton alibi ne tient pas. Je te préviens, je te lâcherai pas. Parce que c’est le fils du maire que t’as envoyé au cimetière.

Les larmes montent aux yeux du prévenu. Bien sûr que son alibi ne tient pas. Le coup du dîner d’affaires, c’est l’excuse qu’il utilise auprès de son épouse pour passer sous silence ses infidélités. Sauf qu’avec la police, ça ne fonctionne pas.

— OK. OK, je vais tout vous dire. Seulement, je vous en conjure, n’en parlez pas à ma femme. Je ne pouvais pas être aux Mureaux la nuit dernière. A l’heure de l’accident, je venais de quitter ma maîtresse, je roulais sur la route de Saint-Eustache.

— Cette personne peut-elle confirmer ?

— C’est une femme mariée, je doute qu’elle accepte de témoigner…

— Alors ton compte est bon…

— Attendez, je… Je crois que je me suis fait flasher à hauteur du hameau de Gentilly…

— Lauzier, appelle le central de Rennes.

***

Samedi 5 octobre, commissariat principal, 16h35

— Chef, Rennes nous a faxé le cliché du véhicule, pris par un radar mobile stationné à l’entrée du hameau de Gentilly, dans le sens Saint-Eustache Messine. C’est bien une Audi Q7 noire, immatriculée AD-475-ZX, avec l’aile avant gauche enfoncée, photographiée en excès de vitesse à 0h47. Le type ne nous a pas menti… Regardez sa tronche là-dessus, il a une belle tête de vainqueur !

— Ouais, encore une victime d’usurpation de plaque d’immatriculation. Ça veut dire qu’on s’est complètement planté et qu’on n’est pas près de retrouver l’auteur de l’homicide du gamin. Non seulement on va devoir faire des excuses à l’autre naze, mais en plus, le maire a pas fini de nous emmerder avec cette histoire…