Absolue

4 minutes de lecture

Ruines.

Escortée d’Aporion, son fidèle garde du corps, la reine Myléna, drapée d’un sari de soie noir et or, s’avançait sur un chemin de pétales de roses que des esclaves avaient répandues selon le très strict protocole en vigueur depuis son avènement. Et à mesure qu’elle foulait le sol de ses sandales royales, faisant tinter ses ostentatoires bracelets qu’elle portait aux chevilles et aux poignets, les serviteurs s’inclinaient devant elle.

Sitrus, nouvellement promu ministre des armées, se tenait là, au milieu des décombres et des cadavres à moitié ensevelis. Le sang des insurgés avait coulé, la révolte brisée, selon les directives de la sinistre et impopulaire souveraine. Lorsque celle-ci s’approcha de lui, il fit la révérence due à son rang. Ambitieux, il espérait que sa dévotion au régime de la tyrannique Myléna lui vaudrait l’anoblissement qu’il convoitait. Malgré ses efforts pour lui être agréable, il ne parvenait pas à gagner sa considération.

Hautaine, celle-ci exécrait ces insupportables arrivistes qui vendraient pères et mères pour prendre sa place sur le trône. Elle les regardait à peine, avec condescendance. Parce qu’elle avait cette fierté d’être femme, de détenir le pouvoir et de gouverner à sa guise ce pays.

— Bienvenue, Votre Majesté.

— Sitrus, qui avez-vous chargé de cet assaut ?

— J’avais dépêché ici mes meilleurs généraux, ô ma reine !

— Vos meilleurs généraux ? Pour venir à bout d’une petite centaine de renégats ? Et pouvez-vous me dire qui protège les frontières Nord de la Nouvelle Carinthie ?

— Mais c’est vous-même qui…

— Il suffit ! Combien d’hommes avons-nous perdus ?

— A vue de nez…

— Je ne me contenterai pas d’approximations, Sitrus !

La reine Myléna égara brièvement ses prunelles sombres sur une des victimes. Le ministre des armées profita de l’instant pour tenter de redorer son blason.

— C’est Naïm, Votre Majesté. Naïm Bouchra. Le chef emblématique des rebelles. Sans son charisme et sa science toute militaire des combats, plus personne n’osera se soulever contre votre grandeur.

Naïm Bouchra, chef des rebelles. Ce nom la renvoyait des années en arrière, lorsqu’elle était encore petite fille. Les jardins du palais Mercato, la roseraie princière et les fleurs, déjà. L’intrépide Naïm, fils de modestes serviteurs, avait bravé les usages pour conquérir le cœur de la jeune dauphine. Il avait cueilli la rose interdite et la lui avait offerte. Touchée par cette incartade à l’austère étiquette, elle l’avait invité dans sa cour. Ils avaient fini par partager leurs jeux et leur enfance. Puis, au seuil de l’âge adulte, ils avaient commis ensemble d’autres incartades auxquelles, en tant que future reine, elle avait dû mettre un terme au nom de la raison d’État.

***

— Comment peux-tu aussi impunément répudier ce que nous éprouvons l’un pour l’autre, Myléna ? Tu es l’héritière de la plus noble des lignées et moi simple fils du peuple, et alors ? Sommes-nous condamnés à ne jamais marcher main dans la main ? A quoi bon devenir souveraine si c’est pour ne jamais changer les codes qui nous opposent ?

— A asseoir ma légitimité, Naïm. Si je transgresse moi-même les règles qu’imposent depuis plus d’un siècle mes propres ancêtres à travers notre régime monarchique, qui les respectera ?

— Bon sang, mais fais preuve d’ouverture d’esprit ! Sois créative, inventive, progressiste, libère-nous de ces désuets carcans qui nous étouffent, nous oppressent. Imprime ton règne de tout ce que j’aime en toi, de ces idéaux que tu embrasses secrètement et dont tu ne t’es ouverte qu’à moi. Démarque-toi de tous ces dictateurs qui t’ont précédée, c’est ça qui fera ta force et marquera l’Histoire.

— Je suis moins libre de mes actes et de mes choix que tu ne le crois, Naïm…

— Alors attends-toi à me trouver en travers de ta route, Mylèna. Parce que je ne te laisserai pas nous écraser de ta toute puissance royale !

***

Souvenirs d’amour, instant de haine. L’intransigeante reine qu’elle était devenue s’empara subitement de la dague d’Aporion pour la planter dans le cœur de Sitrus. Avant d’essuyer l’opprobre des sujets assistant à la scène, elle s’empressa de justifier son geste.

— C’est son incompétence que je punis. Parce qu’à cause de lui, je ne règne plus que sur un amas de pierres.

Avec aplomb et autorité, elle poursuivit.

— Aporion, prenez quelques hommes avec vous et enterrez dignement cet homme.

— Sitrus ?

— Non, Naïm Bouchra.

— Votre Majesté…

— C’était un dissident, je sais. Mais l’honorabilité et l’aura d’un souverain se mesurent au respect qu’il porte à ses ennemis.

Le regard de la reine Myléna imposa quelques secondes le silence à l’assemblée, stoïque devant l’absoluité qui émanait d’elle. Aporion choisit néanmoins de le briser pour ne pas subir davantage son courroux.

— Vous avez entendu la reine ? harangua-t-il à l’adresse de ses subalternes. Alors exécution ! Et vous autres, ne restez pas plantés là à ne rien faire, les pétales de roses ne vont pas se répandre toutes seules !

Myléna attendit que son chemin soit à nouveau couvert de fleurs avant de regagner le véhicule royal et le palais Mercato. Ce ne fut qu’une fois isolée de la populace que l’insensible monarque s’autorisa à pleurer la mémoire de Naïm. Les seules larmes qu’elle versera de tout son règne.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Aventador ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0