L'inconstance et la foi
Elle n'a pas d'amis, pas d'amour.
Elle n'en veut pas, elle ne leur en veut pas, elle ne cherche rien, n'attend personne.
Et cela depuis toujours, ou peut-être depuis qu'elle en a conscience, depuis que ces mots s'échappent en charabia désordonné : elle a tant à dire.
Son langage est un discours à part, un monologue intérieur qui diffame sans cesse l'inconscient collectif, conteste les pouvoirs d'un ça, les messages ancestraux gravés dans les corps.
La mémoire originelle la sature à en devenir paranoïaque.
Qui pourrait comprendre ou recevoir ? Les autres ?
Elle les observe depuis la fenêtre en hexagone, scrutant à travers toutes les embrasures et les interstices, ou les interlignes, en arpentant inlassablement les mêmes kilomètres de damiers chaque jour. Envers eux, pour eux, les sentiments n’ont pas de place. S'attacher à des automates serait trop facile, s’attacher à des personnages, trop dangereux. Elle a englouti chaque solitude, chaque frustration, chaque questionnement, la moindre douleur, la plus banale humeur, les centaines de passants sous ses yeux. Et puis, elle n'a pas réussi à tout canaliser dans son ventre. Elle s'est alors mise à noircir des pages et des pages dans l'agitation incessante de ces corps, l'agitation de ces bras.
Parfois, par obligation, elle sort de chez elle, descend la grande avenue, prend le bus au coin de la rue, ferme les yeux pour ne croiser aucun regard, continue dans son malaise. Pas d'affluence, pas d'influence. Elle atteint enfin l'île où s'élèvent tous les corps noyés dans la perception d'un monde matériel sans bordure, une profusion de têtes flottant à la surface, criant, ricanant, esquissant des signes flous dans le décalage des vagues. Elle les voit rangés en formations aléatoires, se déplaçant comme des aveugles dans un couloir circulaire. Chaque jour, dans une froide morosité, ils se résolvent à patauger dans les méandres d'un prétendu savoir.
Alors, elle aussi, elle s'assoit. Dans quelques minutes, les grands messieurs et les grandes dames viendront tour à tour la nourrir des théories des sociétés humaines et des civilisations androïdes, et demain peut-être, elle se plongera dans ses travers pour noircir encore et encore.
Elle finira comme tous les autres, prenant le chemin inverse, les yeux grands ouverts sur le désir que pose le jeune homme assis dans le bus non loin d'elle. Elle lui enverra un sourire complice, quelques phéromones pour l'expérimentation, juste pour l'expérimentation. Elle rentrera chez elle pour noircir des pages et des pages, en quête perpétuelle d'une vérité qui semble toujours hors de portée.
Elle se perd dans cette écriture, dans cette introspection incessante, cherchant à comprendre un monde qui lui échappe. Garde la foi, encore une fois, pour l'avenir des possibles toi. Il y a du sens à tout ça, la fac c'est pas si dur que ça...
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