Chapitre 1 - 5
Bahamas, 1705
Ethan dévorait son dîner avec gourmandise. Le grand air avait toujours cet effet sur lui, d’autant plus qu’il ne restait que très rarement en place. Cette vivacité, il la tenait de son père. Henry passait ses journées à retourner la terre, à semer, à récolter, à partir sur les quatre chemins, et à user de ses mains pour construire et inventer. Emily voyait dans le regard de son fils cette même étincelle. Cela lui plaisait tout autant que cela l’inquiétait. Ethan n’était encore qu’un enfant et sa soif d’aventure bien que n’allant jamais au-delà de leur propriété, grandissait à vue d’œil. Un beau jour, il finirait par s’éloigner de plus en plus loin, voire par explorer le monde.
Les dîners chez les Barnes se faisaient la plupart du temps dans la convivialité. La mère profitait de cette occasion pour éduquer ses enfants et ainsi jusqu’à l’heure du coucher. Un sujet particulier ou une leçon les tenait captivés pendant tout le repas. Cette fois, pourtant, ce fut Bekhy qui proposa :
— Maman, j’aimerais de nouveau que tu nous parles de toutes les plantes et les racines qui guérissent les gens.
— Pourquoi pas. Ce serait l’occasion de réviser un peu.
Ethan se renfrogna, enfonçant un peu plus son menton vers son assiette pour terminer sa soupe. Les fleurs, c’était des trucs de filles, cela ne l’intéressait pas le moins du monde. Sa sœur, par contre, avait toujours été fascinée par le pouvoir extraordinaire de la nature et encore plus depuis le décès de leur père. Ethan se souvenait même d’une journée où elle en avait tellement fait référence qu’il lui avait méchamment reproché son idiotie d’y croire dur comme fer. Il avait ajouté que quoi qu’elle puisse apprendre ou préparer comme potions et onguents, cela ne ramènerait jamais leur père. Bekhy ne lui avait plus parlé pendant des jours après cela. Il l’avait amèrement regretté et ne s’en était pris qu’à lui-même le restant de la semaine. Deviser de leur père restait encore un sujet tabou pour l’un comme pour l’autre, une cicatrice purulente qui ne se fermerait sans doute jamais totalement.
Madame Barnes lista ce qu’elle savait des plantes médicinales de l’île, ce qui n’était pour le moins pas exhaustif mais qui contentait déjà de beaucoup la petite Bekhy qui appréciait le savoir de sa mère. Elle s’imprégnait et engrangeait toutes les informations avant de laisser naviguer son esprit vers l’avenir. Elle se voyait guérir des patients ou panser les futures blessures de son frère à qui on ne pouvait jamais demander de rester en place plus de cinq minutes et qui revenait souvent écorché.
La curiosité et les interrogations de Bekhy relançaient la conversation au plus grand désarroi d’Ethan qui aurait bien voulu quitter la table. Il se frottait les yeux, bâillait, gratter le coin de la table en bois déjà écorché, agitait le fond de son verre d’eau en imaginant qu’un minuscule bateau flottait à la surface et devait braver les intempéries qu’il créait de sa main par sa seule volonté, tel un dieu tout puissant. La leçon de sa mère n’en finissait plus mais au moins, se disait-il, sa sœur tenait sa promesse de ne faire aucunement référence à la fameuse découverte près de la falaise.
Au moment du coucher, il fonça droit sur son lit et s’enfonça sous la couette avec un soulagement non feint. Une fois seul à seul, ils se concertèrent une dernière fois pour organiser leur escapade du lendemain. Ethan était aux anges. Il rêva de trésors et de piraterie jusqu’à l’aube.
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