Rose & Acier
Il y a du sang sur le visage de l’Empereur.
Comme des larmes vermeilles, le liquide rouge coule lentement sur la gravure en acier. Tout autour du petit autel, des douilles vides roulent sur le sol en métal et s'entrechoquent dans la mare d’huile noirâtre. Mon cerveau, lui, baigne encore dans un brouillard épais où tout son m’arrive filtré, toute vision déformée. Puis, tout d'un coup, mes sens s’ouvrent de nouveau.
Une odeur de fer brûlée se jette dans le fond de ma gorge, jusqu'à aller gratter mes poumons fatigués. Une couche de fumée et de poussière mêlées s’accroche à mes yeux et le rugissement du moteur vient me déchirer les tympans. Chaque obus qui ricoche contre l’armure envoie une vague de vibrations brutales qui parcourt la moindre plaque de métal et leur boulons jusqu'à s'enfoncer au plus profond de mes os. Alors que mes membres faiblards tentent de me remettre debout, la douleur se jette contre mes nerfs, lancinante et constante, et avec elle reviennent les souvenirs.
Nous sommes en guerre, et autour sont les murs de ma maison et tombeau, la machine de guerre Rosario.
Comme pour me souhaiter la bienvenue, le tank fait une soudaine embardée, je suis aussitôt projetée contre le fond du véhicule. Mais avant que je ne percute la parois, une main humaine agrippe la mienne. Sa peau est chaude, vivante, pas du tout comme l’acier gris que j’appelle chez moi..
– L’Empereur soit loué, t’es pas morte! Allez ma grande, debout!
Un morceau de rouge entre dans ma vision, je cligne plusieurs fois des yeux, pour y chasser les larmes, puis je reconnais un regard vert plein de gentillesse, tout un tas de tâches de rousseur et un sourire qui n’a pas sa place sur un champ de bataille.
– Charlie?
Je finis par dire, après avoir vomis un peu plus de bile, d’air et de sang. Charlie me demande si je vais bien, si je suis blessée. Elle me dit que j’ai eu de la chance que l’obus ne pénètre pas l’armure, que c’est juste l’impact qui m'a jeté à terre. Je l’entends à peine, alors je me contente de suivre le son de ses mots, le rythme que son étrange accent met sur ses voyelles.
Puis son sang m’éclabousse le visage.
Le projectile a traversé le blindage de notre tank, continué sa course dans les entrailles de la fille avant d’aller s’enfoncer dans le mur opposé, quelques centimètres au-dessus de ma tête. Elle n’a même pas crié, elle a juste baissé les yeux, l’air surprise de voir le sang qui jaillit du trou sur son torse. Sa bouche s’ouvre sans un son, quand elle pose son dernier regard sur moi, elle sourit toujours, même quand son corps sans vie tombe dans mes bras, même quand elle meurt.
J’aimais cette fille.
– A trois heures, allume les Foxy!
Elles n’ont pas réalisées. Cat’ est toujours en train de donner ses ordres, le son coule sur son front, là où son casque lui avait sauvé la vie. C'était au tout début de l'embuscade, quelques secondes avant que le le véhicule de commande ne soit déchiqueté par un tir ennemi. La fille au commande à ses cheveux dorés qui se teinte lentement du rouge de son sang, pourtant elle continue de crier des instructions. Ses yeux bleu glacier courent de cartes en cartes, cherchant une solution, une faille dans les rangs de l’Adversaire. Mais il n’y en a pas, et elle le sait. Leurs armes, expériences et nombre sont tout simplement trop pour nous. Pourtant, Catheline Delionness ne s'arrête pas, elle nous a juré qu’elle nous ramènerait saines et sauves.
– Blue! Qu'est ce tu fous bordel, recharge le canon!
Fox me gueule dessus. Elle se demande pourquoi je n’ai pas chargé le prochain obus, elle se demande pourquoi je suis aussi lente. Elle répète mon nom plusieurs fois avant de finalement se tourner vers moi. La colère se transforme en surprise, la surprise en larme. Elle a les mêmes yeux verts, les mêmes cheveux rouges, les mêmes tâches de rousseur.
J’ai dans mes bras le corps de sa sœur.
La radio se tait peu à peu, alors que nos alliés meurent tous. Bientôt, il n’y a plus que nous et le son de nos larmes.
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