Mirrors
Alors c’est la fin, hein ?
Dans l’obscurité achrome du motel décati, il est enfin réveillé. À la fois trop tard et pile dans les temps, à mesure que le décor s’assombrit. Soudain penché en arrière, les yeux rougis par l’eau sombre et saumâtre, il se sent perdre pied.
“C’est terminé.”
Illuminés par le halo crayeux de la lune, ils sont là. Tous ou presque, entre lumière et ténèbres. L’ami Joe d’abord, un sourire funeste en coin, la lourde carcasse rongée par la cirrhose. Des personnages de seconde zone, miroirs difformes de son existence minable. La cow-girl en tête, fruit d’une fan-fiction chelou ; un vendeur de réglisse déguisé en clown, une galerie d’escrocs jouant du surin, les membres décomposés, un voyageur sans attache, maudit par l’infini…
Jusqu’au bout, il ne manquera qu’un visage. Le seul qu’il a toujours voulu retrouver, embrasser, au-delà du miroir de l’écrit et la folie du whisky. Mais déjà, la chaleur revient, écrase son thorax, embrase ses poumons d’un liquide brûlant. Elle ne l’a jamais quittée, accompagnant sa lente descente vers les abîmes, du chant des regrets.
Une vie à vouloir jouer de la plume, à s’accrocher à tous les hochets de la vanité, au point d’y trouver refuge et pardon, avant le clap de fin. Tout cela n’est qu’une personnification, un dernier jeu de son esprit amer, pour gagner la paix exemptée de tout démon.
Dehors, il fait noir maintenant. Un pâle cercle de lumière rétrécit dans le lointain, imprimant ses rayons bleutés dans ses rétines englouties. Enfin, la fenêtre se délite, les silhouettes s’évaporent, murmurantes. Il n’y a plus que de l’eau. Sombre, froide, dévorant les sièges et son organisme immergé, anesthésie par les nombreuses liqueurs au mil.
Les membres paralysés, prisonniers de la ceinture emmêlée, il est incapable de bouger, de se raccrocher à la moindre pensée. Il sombre, muet, griffant l’obscurité en quête d’une once d’oxygène, de la libération.
Puis, après la souffrance, les piques glaciales traversant son cœur, le silence. Impartial, indifférent aux derniers battements. Et parmi les ombres, Lucas l’accepte. Ses regrets, ses maigres succès, son insipide décès, il embrasse enfin la réalité. Les songes ont fait leur temps, la conscience s’autorise à régner pour les derniers instants.
Ses paupières se ferment lourdement. Juste avant l’obscurité, la lumière lointaine le bénit d’une dernière vision. Une image vaporeuse, libre et gracile, tendant ses bras menus vers les abysses.
Lorsqu'une dernière fois leurs mondes se rencontrent, lumières et ténèbres enfin se confondent. C’est ensemble, par-delà le Temps et les mots, que Lucas et sa douce Muse gagnent la paix pour l’éternité.
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