CHAPITRE 6 (FIN)

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Marc restait figé. Autour de lui, le silence. Un silence assourdissant, inhabituel, où même le moindre souffle d’air semblait étouffé. Le corps du caméraman gisait là, sans vie, une flaque de sang sombre s'étalait lentement autour de sa tête fendue comme une auréole. Marc avait toujours vu des choses pareilles à l’écran, dans les séries, les films. Mais cette fois, c'était réel. Irrémédiablement réel.

Il baissa les yeux. Ses mains tremblaient, couvertes de sang. Le sang d’un autre. Sa respiration était saccadée, il manquait d’air. Il serra la hache encore plus fort, les jointures de ses doigts blanchirent sous la pression. Un sanglot étranglé monta en lui. Est-ce que c'était vraiment lui qui avait fait ça ? Il tenta de reprendre ses esprits, mais la nausée monta et il tomba à genoux, secoué de spasmes. Rien ne sortait, juste une suffocation. Le goût amer de l’angoisse emplissait sa gorge.

Un murmure envahit son esprit : Je n'avais pas le choix… il m'aurait tué… ils m'auraient tué… c’était de la légitime défense… c’était un accident… Pourtant, il savait que c'était un mensonge. Même si le coup était accidentel et que sa victime l’avait bien cherché, il venait de tuer un homme. Un homme désarmé.

Peut-être que si je vais à la police… pensa-t-il. Mais aussitôt, l’idée lui parut ridicule. Que diraient-ils ? Qui croirait un type couvert de sang, une hache à la main, murmurant des histoires absurdes de jeux télévisés sordides ? Ils verraient un meurtrier. Ils ne chercheraient pas à comprendre. Marc le savait. Il était seul. Condamné à ne pas être cru et bientôt condamné tout court. Un con, damné, voilà ce qu'il était. Lui dont la vie était jusqu’ici rythmée par la sainte Trinité : “Auto, Visio, Tirage du Loto”, avait basculé de l’autre côté. Celui des meurtriers. Bientôt, le programme de ses journées se réduirait à des promenades dans la cour et à des douches collectives douloureuses.

A moins que… il y a peut-être une solution.

Il se dirigea vers les restes de la caméra sur laquelle il s’était acharné. “La carte mémoire, je dois la retrouver. Elle apportera au moins des circonstances atténuantes.” Il se jeta à quatre pattes à la recherche du support numérique. Puis ses mains s’arrêtèrent devant les morceaux de la carte mémoire éparpillés devant lui. La preuve de son innocence était perdue, par sa faute.

Un cauchemar.

Il n’avait plus le choix, il devait effacer les traces de son passage. Maladroitement, toujours entravé par sa chaise et ses menottes, il fouilla dans les affaires du caméraman et en sortit les clés. Il se libéra, poussa un léger soupir de soulagement, se massa le poignet, mais son visage s’assombrit : Au fait, où sont passés les autres ?

Il empoigna la hache, prêt à en découdre. Tuer un homme ou trois revenait quasiment au même. Le premier était le plus difficile, après, ça devenait la routine.

La fraîcheur de l’air frappa son visage, mais elle n’apporta aucun réconfort. Il trébucha dans la boue, se rattrapa de justesse à un arbre. Ses vêtements étaient sales, déchirés, le sang séché sur ses mains commençait à tirer sa peau. Chaque respiration était un combat, un effort pour ne pas sombrer dans la panique. Il tourna autour de la cabane, regarda à l’intérieur de sa voiture toujours garée. Aucune trace des candidats fictifs, ni même du drapeau Pékin Express, c’était à se demander s’ils avaient vraiment existé. Tout se brouillait dans son esprit. Etait-il devenu fou ? Que devait-il faire maintenant ? Incendier le corps et la cabane ? Effacer toutes ses traces ? Jeter ses vêtements ? Se brûler le bout des doigts pour détruire ses empreintes digitales ? Toutes ces questions, purement théoriques, l'embrouillait. Il ne savait pas par où commencer. Après tout, il était débutant dans le meurtre.

Après une longue réflexion, il opta pour la fuite. Il devait quitter cette zone d'incomfort.

Il emporta avec lui l’arme du crime souillée ainsi que le document qu’il avait signé - les deux preuves de sa culpabilité, se dirigea vers sa BMW, ouvrit la porte avec une précipitation nerveuse. Ses mains tremblaient si fort qu’il eut du mal à tourner la clé dans le contact. Mais enfin, le moteur démarra et il s’élança sur la route déserte.

La forêt autour de lui défilait comme un monstre muet et omniprésent. Chaque ombre semblait vivante, chaque arbre se tordait dans ses phares comme des spectres. Il roulait lentement, mais ne pouvait pas s’arrêter. Pas maintenant. Pas encore. Il cherchait à mettre un maximum de distance entre lui et la scène de crime, à échapper à l’horreur qui le poursuivait. Mais il savait que cette horreur l’habitait désormais.

Il erra sans but dans la périphérie de Melun, l’esprit accablé par des questions sans réponse : qu’étaient devenus les deux jeunes ? Étaient-il aussi des victimes du caméraman ? Et s’ils se rendaient à la police et racontaient ce qu’ils avaient vécu ? Et qui était vraiment ce caméraman, que cherchait-il réellement ? À quel moment tout cela avait-il basculé ? Était-ce lorsqu’il avait accepté de jouer ? Ou bien plus tôt, lorsqu’il avait cédé à sa passion pour la télé-réalité ?

Lorsque Marc arriva chez lui au petit matin, il prit dix douches glaciales consécutives et se frotta le corps et les mains jusqu’à ce qu’ils deviennent écarlates.

Epuisé, il se laissa tomber sur le canapé. L’odeur d’urine le fit sursauter. Polisson l’attendait, le miaulement lourd de reproches. Le chat voulait ses croquettes. Marc se leva machinalement, nourrit son compagnon et alluma la télévision.

Le flash spécial le saisit d’effroi.

« Tragédie en forêt de Fontainebleau : un étudiant en cinéma a été retrouvé violemment assassiné au petit matin. Les premiers éléments de l’enquête indiquent que le jeune homme travaillait sur un projet expérimental de fin d’année visant à, je cite : “capter la peur primale, la terreur véritable, pas celle que l’on ressent devant des films d’horreur, bien en sécurité dans son canapé, quand on “joue à se faire peur”, mais une quête du réel dans un monde où personne n’est soi-même” Ce sont les mots que l’on a retrouvés dans son carnet. Les premiers indices convergent vers la thèse d’un crime prémédité.”

Le cœur de Marc manqua un battement.

Une photo des deux faux candidats, souriants, s’affichait à l’écran. Le présentateur continua sur le même ton froid, comme si cette histoire ne le concernait pas. “Deux suspects sont activement recherchés, ils sont étudiants en théâtre et ont été contactés par la victime pour jouer les figurants dans le cadre du tournage de son film.”

Marc lâcha la télécommande, ses mains encore couvertes de l’illusion du sang. Il fouilla dans sa poche, en sortit le contrat de droit à l’image qu’il avait récupéré sur le cadavre. Il relut chaque ligne. Tout était écrit noir sur blanc. “Je souscris en pleine conscience au projet artistique visant à me filmer dans un environnement oppressant…”

Il éteignit la télévision. L’écran, ce qui y était diffusé, tout cela n’avait plus - et n'aurait plus - aucun sens. Toutes ces émissions lui semblaient factices, irréelles, extérieures à lui-même.

Marc se tourna vers le miroir du salon, mais ce n’était plus lui qu’il voyait. C’était un homme transformé, guéri de ses obsessions futiles - mais à quel prix ? - un homme qui ne serait peut-être pas inquiété par la justice, un homme dont la vie avait basculé dans une réalité bien plus terrifiante que n’importe quelle fiction. Et cette réalité, il devrait apprendre à vivre avec.

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