Les liens
- C’était notre dernier connecté de la journée, et il est remis en cellule. Tu vas pouvoir m’aider mon bon ami.
C’est avec écœurement qu’Edgard regardait son collègue. Il n’était point un ami dans un moment pareil, juste un être méprisable par sa curiosité. Malsain se disait Edgard. On ne pouvait pas dire qu’il était doué pour cerner les gens, mais à force de travailler avec Jacques, il savait très bien que ce jour allait arriver. Il le redoutait. Pour lui, une mauvaise action en entraînait une autre, et jamais il ne voulut savoir ce qu’il pouvait bien arriver une fois que la connexion de son collègue serait lancée.
Le sourire narquois, Edgard ne savait pas combien de temps Jacques pouvait le garder. Il voulait qu’il s’efface de suite, instantanément. Il fut à peine soulagé quand il le perdit de vue, mais le spectacle qui s’offrit à lui était plus dérangeant. Jacques partit à ses devants, impatient, il dandinait entre les cages et sifflotait narguant les animaux qui l’avaient pour envie. Edgard n’aimait pas les regards des détenues, ils en disaient beaucoup trop sur la situation. Ils savaient que Jacques finirait comme eux tôt au tard. Edgard partageait le secret avec eux. Le seul insouciant était cet enfant qui n’avait qu’une hâte, retourner au bout du couloir.
Il y avait tout de même une inconnue à l’équation. De quelle façon Jacques finirait derrière les barreaux ? Edgard n’aimait pas s’en préoccuper. Qu’importe ? Cela ne le regardera plus après que Jacques soit connecté. Il trouvera bien un moyen d’y retourner, mais à ce moment-là, il ne sera déjà plus son collègue. Il sera un détenu comme tous les autres, et Edgard s’occuperait de le brancher à la machine comme tout autre prisonnier. Si toutefois, il décidait de rester. En effet, il avait d’autres projets que s’abandonner à la machine. Il voulait le faire à sa famille et enfin réaliser ce déménagement. Il le leur avait promis depuis longtemps, et tous attendaient la maison rêvée entre le bord de mer et la forêt qui lui fait face.
Cette idée remonta le moral d’Edgard qui s’y voyait déjà. Pas besoin d’une connexion pour voyager. Ses pensées s’évaporèrent lorsque Jacques lui donna une tape sur l’épaule, rien d’amicale. Il ne s’était point aperçu qu’ils venaient de remonter tout le couloir et se trouvaient devant la salle de connexion.
- Bon, alors... Maintenant que j’ai le truc sur la tête, tu me mets les sécurités ? J’ai pas l’habitude comme ces bagnards!
Edgard s’attela à la tâche avec dédain. Une seule idée en tête, le laisser à la machine. Après, il pourrait rentrer chez lui. Il serra rapidement les lacets de cuir sur son collègue et fit en sorte que le tout ne soit pas mobile. Il vérifia une dernière fois en secouant tous les éléments. À chaque fois qu’il le faisait, il entraînait un mouvement du membre auquel il était attaché. C’était sécurisé.
- Ahah ! Edgard ? Tu peux déclencher l’engin. Je suis prêt. Qu’est-ce qu tu attends pour démarrer ? Edgard ?
Un frisson finit sa course à la pointe des cheveux hérissés d’Edgard. Le rire rauque de son collègue lui était désagréable, il aurait voulu ne plus l’entendre. Il s’installa rapidement derrière le tableau de commande et appuya sur le bouton pour alimenter la machine.
L’expérience de Jacques dura dix minutes. Dix minutes interminables pour celui qui observait la scène. Les deux première, il semblait joyeux. Les mouvements était saccadés, mais grands et pleins de vie. Ses bras balançaient dans tous les sens, et ses mains tâtaient le vide à la recherche de l’invisible. Edgard eu presque jalousé la place du connecté jusqu’à voir les huit dernière. La scène était toujours traumatisante pour celui qui pouvait la voir. Tous ceux qui passaient par la machine la vivaient de la même façon. Les muscles se crispèrent, les doigts se tordirent, le dos se cambra et les genoux fléchirent. Le corps entier se courba dans une lenteur fulgurante. Edgard partagea la douleur qui se dessinait sur le visage de l’homme sinueux qui dans un dernier effort se retourna sur le sol en sens opposé.
C’était terminé. Le garçon débordait d’empathie, et même si Edgard n’aimait que peu son collègue, il courut auprès de l’homme à terre afin de s’assurer qu’il aille bien. Il le défit de ses chaînes. L’oreille collée au torse, il s’assura que Jacques respirait encore. Il donna deux claques. D’un bond, Jacques attrapa Edgard et lui passa la lanière autour de son cou. Les yeux rouges et exorbités, il cria avec rage son envie d’y retourner. Edgard essaya de se débattre, il n’avait aucune accroche avec ses ongles. L’étreinte glissait des larmes de son agresseur, il ne put s’échapper.
- Pourquoi tu m’as retiré les liens ? Retourne à la commande. Redonne-moi mes rêves. Edgard, pourquoi tu as fait ça ?
Sous les serres de Jacques, la tête ballante de son collège finit en arrière. Aucun son ne sortait de sa bouche et Jacques criait de plus belle. Les bruits alarmèrent. Des gardes d’à côté accoururent sur le lieu de la dispute. Ils séparèrent le condamné du mort.
Jacques dans sa nouvelle cellule n’eut point de peine à sourire, il savait qu’on le reconnecterait.
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