Mission

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Aujourd'hui, dans mon petit studio, je mets les décorations de Noël, comme si j'habitais un château. Des guirlandes lumineuses blanches et bleues illuminent chaque recoin, et des fausses bougies sont disposées un peu partout, diffusant une lueur douce et rassurante. À l'entrée, un vieux sapin, un peu fatigué, accueille des guirlandes solaires et des petits animaux suspendus en guise de boules, des symboles modestes mais sincères de mon affection pour cette fête.

Je vis seule depuis longtemps, mais à Noël, je me sens un peu moins seule. Ce n’est pas juste une fête pour moi – c’est un moment de chaleur, de présence, dans une vie marquée par la perte et la solitude. Je me souviens de cet accident de voiture qui a emporté mes parents quand j’étais jeune. Depuis, je me suis souvent sentie éloignée des autres, comme si un voile invisible nous séparait, m'empêchant de comprendre pleinement leur monde, et eux, le mien.

Je travaille dans la maison de retraite en face de chez moi, et, bizarrement, c’est là que je trouve un peu de paix, auprès de ces personnes âgées, laissées en attente d'une fin douce, souvent sans visite ni nouvelle des leurs. Quelle tristesse de les voir ainsi, délaissés, alors qu'ils ont tant donné, tant vécu. On pense parfois que ces lieux sont une réponse bienveillante, une façon de s’occuper de nos aînés, mais pour beaucoup, c’est un leurre. Les familles s'en vont, persuadées d’avoir fait ce qu’il fallait, et pourtant, le cœur n’y est pas – pas plus que l’amour, la chaleur, la tendresse. On les sépare de leur foyer, on les emmène ici, dans ces endroits coûteux et impersonnels, et on leur demande de s’adapter, alors même que leur âge appelle la douceur et le respect de leur rythme.

Moi, j’essaie de leur offrir, par mes gestes, un peu de douceur, un peu de compassion, mais cela ne remplace jamais l’amour d’un fils, d’une fille, d’un ami. Dans leurs yeux, je reconnais parfois ce même voile qui m’isole du reste du monde, ce regard vague qui dit merci sans joie, qui dit "j’aimerais être ailleurs". Et puis, il y a mes collègues, certains parlent fort, d’une voix trop joyeuse et artificielle, comme si on adressait des enfants… Quand je les entends réveiller les résidents tôt le matin, leur imposer des routines, je me demande pourquoi ce sont eux qui doivent s’adapter, alors qu'ils ont déjà tant subi, tant changé pour s'accommoder d'une vie qui devient chaque jour plus dure.

Aujourd’hui, je ne travaille pas, mais je vais tout de même rendre visite aux résidents. C’est le réveillon. Ce soir, je vais passer dans les couloirs, poser ma main chaleureuse sur leur épaule pour leur souhaiter, sans le dire, bon courage pour affronter cette solitude. Dans la grande salle, une résidente est assise seule, le regard dans le vide. Rien, ici, ne la ramène à la vie, rien ne la distrait de cet interminable moment.

Après ma visite, je décide de monter sur la colline, un peu à l’écart de la ville. C’est mon refuge. J’emporte un chocolat, je m’assois sur une serviette, et je regarde le monde au loin, un monde dont je me sens si étrangère. Ce soir, il neige. Les bruits se font feutrés, tout ralentit. Sous vingt centimètres de neige, le monde s’arrête enfin. Les arbres figés sont vêtus de blanc, le silence est profond. Je ferme les yeux et j’écoute ce nouveau monde, pur et immobile.

Soudain, j’entends des pas étouffés s’approcher. Une présence m’observe, m’évalue. Je reste immobile, et bientôt, je le vois : un loup immense, au pelage d’un blanc immaculé, avance doucement. Il s’accroupit, comme pour me saluer. Je baisse la tête en signe de respect, tends la main, et il y pose son museau. Et là, tout change. Je vois des images, des visions sombres et menaçantes. Le loup cherche mon aide pour sauver ce monde menacé par une force violente, destructrice, qui ne laisse rien sur son passage.

Je comprends alors que mon destin m’appelle ailleurs. Je hoche la tête, acceptant cette mission, prête à abandonner le monde des humains pour suivre la nature, pour sauver ce qui peut encore l’être.

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