8 - Lueurs de l’aube

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À l’heure de l’esprit succédait celle des limbes. Un inlassable rideau de neige épaisse s’abattait sur la vallée. Autour du foyer que Lilou et Noisi avaient alimenté à tour de rôle, un cercle sombre délimitait clairement le rayonnement calorifique, révélant le sol.

Draëgane se réveilla en sursaut.

— Renarde ! hurla-t-elle.

Potecote, sentant la température diminuer, avait déjà quitté leur compagne de voyage pour se réfugier contre la petite fille dont le corps était plus chaud. Celle-ci risqua une main vers les narines de Renarde – tu t’étonneras peut-être de ce geste, mais la vie des humains sur ma surface était beaucoup moins facile que la tienne, les décès fréquents et les enfants en savaient beaucoup à ce sujet – effectivement, ce n’était pas un rêve, l’âme de la dame s’était envolée.

— Qu’est-ce qui se passe… bougonna Noisi, émergeant de son sommeil.

Il vit sa sœur, les lèvres pincées et la mine triste. La seule personne qu’ils avaient rencontré et aurait pu s’occuper d’eux n’était plus.

— Renarde ? Elle…

— Elle… est partie rejoindre les jardins d’Æther.

— C’est pas possible ! On a tout fait bien…

Il se tourna vers le corps sans vie, lui toucha les joues, secoua la crinière rousse.

— Oh madame, on aurait bien aimé que vous restiez avec nous. Vous aviez l’air si bonne !

Ses yeux de petit garçon débordaient autant que son cœur blessé. De ses petits poings inoffensifs, il martelait le sol de toutes ses forces, ne parvenant qu’à se faire du mal.

— Pourquoi ? Pourquoi ?! Pourquoi tous les gens qu’on aime disparaissent ? Qu’est-ce qu’on a fait de mal ?!!

Sa question n’eut de réponse que les bras de sa sœur par lesquels il se laissa d’abord empoigner, un peu raidement au départ puis s’abandonna au tendre bercement, sa poitrine secouée de nombreux sanglots. Tout ce qu’il avait vécu depuis le jour précédent se rappelait cruellement à sa pensée.

— Mais c’est pas juste…

Petit à petit, il contint son souffle, sa respiration s’approfondit. Il se dressa sur ses genoux et à son tour serra sa sœur tout contre lui.

— On est tous les deux ensemble. Rien ne pourra nous séparer, hein ?

— Non, ne t’inquiète pas, je suis là, pour toi, mon petit frère.

— Moi aussi je suis là pour toi, ma grande sœur.

La poule sauta rejoindre leur étreinte, ce qui eu pour effet de les faire sourire doucement.

— Je vais remettre du bois, décida alors le garçon en séchant ses larmes, tandis que sa sœur continuait à bercer Potecote.

— Vas-y, je cherche de quoi nous coucher dans nos affaires, on ne peut pas décemment dormir… dans ses couvertures… avec elle dedans.

Il revint avec une énorme brassée de branchages qu’il ajouta promptement au feu puis partit en rechercher d’autres. Il avait besoin de se défouler et ne plus penser qu’à l’instant présent.

Sa sœur avait déposé au sol leur couchage en peau de bête qui les protégeraient du froid et dans une moindre mesure, de l’humidité.

Ils s’assirent côte à côte devant le brasier, Potecote devant eux se laissait volontiers caresser. Pendant un moment, ils restèrent assis à regarder les flammes danser, sans prononcer un mot, la chaleur réchauffait autant leurs petits corps qu’elle calmait les souffrances de leur âme. Mais la fatigue, les rassembla sous son lourd manteau et ils n’eurent que le temps de s’emmitoufler dans leurs couvertures avant de sombrer dans un sommeil sans rêves.


§


Au petit matin, les enfants s’éveillèrent en douceur. Le feu avait bien diminué et les chutes de neige abondaient toujours. Les flocons serrés semblaient s’être accordés pour éteindre la moindre flamme. À quelques mètres de là, la dépouille de Renarde leur rappelait leur chagrin et la dureté de la vie.

Cependant il fallait d’abord faire face à l’immédiateté de leurs besoins : se réchauffer et se restaurer.

Cette fois-ci ce fut Lilou qui s’occupa du bois. Quand elle revint, Potecote avait pondu.

— Oh un œuf ! S’écria le petit garçon.

— Ben oui, tu t’étonnes, toi ! Bon on va le manger. Il faut le cuire, avec le feu on devrait y arriver. Mais avant on s’occupe de Renarde.

Ils ouvrirent la couverture, Draëgane arrangea comme elle pouvait la chevelure de la dame.

Ensemble ils l’allongèrent délicatement, positionnèrent ses bras le long du corps, le visage tourné vers le ciel. Ils se débrouillèrent pour la rendre la plus jolie possible.

— Elle est belle, on dirait qu’elle dort, s’émeut Noisi.

— Tu seras bien, comme ça, lui dit la petite fille en pleurant.

Elle défit le couteau attaché à la ceinture de Renarde et le tendit à Noisi. Il regarda l’arme dans son fourreau sans comprendre.

— C’est pour toi, elle te le donne. Elle me l’a dit. Mais il y a autre chose… dans son sac. C’est pour moi.

Le garçon prit alors l’arme dans ses mains. Il la sortit de son fourreau et examina la lame damassée.

— Il est très beau ce couteau, tous ces dessins ! Ceux que Forgeron fabrique, ils sont pas aussi chouettes.

Draëgane, laissant son frère à l’admiration de son couteau, se leva, ouvrit la poche avant droite du sac, et en sortit un objet emballé dans du parchemin. Lentement, elle le déplia et découvrit une pierre verte, énorme, brillant de mille feux.

— Oh !

Elle ne put cacher sa surprise. Noisi accourut pour voir lui aussi et la mâchoire lui en tomba.

— C’est par rapport à sa mission. Elle devait la rapporter à Grand-Pierre. Il y a une récompense de cinquante pièces d’or, mais Renarde dit qu’elle vaut beaucoup plus.

Noisi n’en croyait pas ses oreilles, pas plus que sa sœur, il n’avait jamais vu une pièce d’or en vrai.

— Je vais la ranger. Si on arrive à la donner à l’échevin de Grand-Pierre, on pourrait vivre un bon moment avec tout ça.

Elle remballa délicatement la pierre et trouva une poche bien protégée à l’intérieur de son propre sac, où elle la disposa avec beaucoup de précautions.

— Le petit déjeuner maintenant !

Draëgane sortit une casserole qu’elle avait embarquée, et Noisi ramassa de la neige pour la faire fondre.

Tandis que les enfants observaient le contenu du récipient se changer en eau et atteindre l’ébullition, ils s’attelèrent à couper un morceau de pain dur pour chacun. L’attente fut longue.

Ils y trempèrent alors l’œuf et attendirent le temps qu’ils estimaient bon, puis le sortirent, cassèrent la coquille avec la peur qu’il ne soit pas dur… ouf. Le beau couteau servit alors à couper la merveille en deux. Merveille qui fut dévorée en un clin d’œil par les enfants.

Puis ils refirent leurs sacs.

— Bon eh bien maintenant on repart en chasse ! s’exclama Noisi.

— Attends, j’avais oublié, il y a l’arc, le carquois et la hallebarde. Ça doit pouvoir se vendre.

Noisi avec le couteau de son père, pour ne pas abîmer la belle lame, enleva le clou de la hallebarde et mit le fer dans son sac, Draëgane porterait l’arc et le carquois, moins lourds mais plus encombrants.

Pendant que son frère s’occupait du matériel, Draëgane retourna une dernière fois auprès de Renarde dont elle caressa la joue.

— Tu vas réussir les épreuves, j’en suis certaine.

— Pooot ! affirma Potecote.

Elle se baissa et laissa un baiser sur la joue désormais froide, puis elle chaussa ses raquettes avant de partir à la poursuite de son frère. Suivant sa trace fraîchement laissée, elle retrouva un Noisi désemparé au milieu d’une étendue blanche sans aucune trace de passage. Quand il la vit il écarta les bras et secoua la tête une moue négative sur le visage.

— Il se passe quoi, maintenant ? s’enquit-elle.

— Cot ?

Le petit désigna les alentours. Même le cadavre du cheval avait disparu sous la neige.

— Je suis sûr qu’on aurait déjà dû croiser le chemin, on n’était pas loin de la clairière. Lilou ? On est perdus ?

Draëgane regardait désespérément autour d’elle. Aucun repère, des arbres et un tapi à la couleur uniforme. Elle leva les yeux au ciel et trouva une éventuelle réponse, ils ne pouvaient pas finir leur vie ici, au milieu de nulle part.

— On est encore à l’heure du Germe. Nous sommes partis du village en direction du Nord-Ouest. Grand-Pierre est à l’est de notre village, disait Papa. Donc, nous devons aller au Sud-Est.

— Mais, et nos parents ?

Les larmes humectaient déjà les yeux du petit frère, cette sensation de tristesse mêlée d’une juste colère et augmentée d’impuissance le terrassait.

— Noisi, on ne sait pas du tout où on les a emmenés. Pour l’instant c’est impossible de les retrouver. L’important maintenant c’est de survivre nous-même. On a à manger pour quelques jours, mais après ? Je te propose d’aller à Grand-Pierre réclamer la récompense.

Noisi baissa la tête et les bras. Sa sœur s’approcha de lui et posa ses mains sur ses épaules, et le regarda franchement en face.

— On les retrouvera, je te le promets.

Lentement la tête du garçon se releva, fixant les prunelles de Draëgane qui hocha de la tête.

— Quand on sera à la ville, nous devrons enquêter. Ces bandits, ils ne viennent pas de nulle part. Nous ne sommes certainement pas le seul village qu’ils ont attaqué.

Noisi leva son bâton dans la direction du soleil dont la clarté se devinait à travers les nuages.

— Alors on va par là, à peu près ?

— Oui, c’est ça. On devra encore traverser l’Impétueuse, ce sera un bon point de repère, et après il y aura les montagnes.

— Eh bien allons-y.

Lentement ils reprirent leur chemin.

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