6 - À l'heure des esprits

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Ah ! Tu ne connais pas l’heure des esprits. Dans ton monde il y a des blagues qui parlent du fantôme de minuit. Ceci pour une bonne raison : à ces heures-là, il est plus facile de communiquer avec le monde Æthérien et donc les fantômes s’y manifestent plus souvent.
Toujours est-il que l’âme d’une rêveuse errait entre le tangible et le royaume de ma seconde fille. Franchissant alors les brumes éponymes, sa conscience finit par passer de l’autre côté. Ainsi donc, Lilou se trouvait en face de la sombre et effrayante forêt d’Æther, un paysage morne comme il n’en est peu. En se retournant, son regard disparut dans les nuées dont seuls les chamanes et quelques esprits rêveurs connaissent le secret. Entre les deux, une bande de prairie s’étendait à perte de vue. Une prairie d’un vert douteux, sans fleur et ponctuée de lacs aux profondeurs insondables.
Çà et là, vagabondaient des âmes esseulées. Certaines d’entre elles erraient sans but, d’autres se dirigeaient d’un pas plus ou moins décidé vers la sombre forêt : les esprits des défunts. Lilou remarqua également de petits groupes en pleine conversation, elle en devinait la raison. Par expérience, la petite fille savait que le passage du monde des vivants au royaume d’Æther pouvait s’accompagner d’une cérémonie chamanique au cours de laquelle, les proches du défunt, pouvaient, à l’aide d’un professionnel, assister à son départ.
C’est au décès de sa grand-mère, une année plus tôt, que Lilou avait vécu cela. Comme elle était assez grande, elle avait eu la possibilité de faire le voyage. Son frère était trop petit : les herbes nécessaires pour détacher l’âme du corps étaient trop puissantes.
Un autre événement, initiatique celui-là, pouvait tenir place en ces lieux, celle où l’on reçoit son nom d’adulte. Dans quelques années probablement, Lilou recevrait le sien, cela voulait dire entrer dans l’âge adulte, et la petite fille goûtait trop le monde de l’enfance pour avoir envie d’y entrer.
Pour l’heure la petite fille accédait parfois à ces lieux, guidée par des rêves sur lesquels elle ne possédait aucune maîtrise.
Elle réfléchissait à tout cela quand elle fut ramenée à l’instant présent par un fort bruit de respiration. Elle remarqua à ses pieds, un cocon. Celui-ci, aussi gros que Potecote se tortillait remuait, se débattait. À chaque inspiration, la gangue se gonflait davantage, et atteignit bientôt la taille de Lilou.
Étonnamment, la petite fille ne tremblait pas, ne fuyait pas. Comme tu as pu le remarquer depuis le début de l’aventure, il n’était en général pas difficile de lui causer des frayeurs, mais cet instant, elle le sentait au fond d’elle-même, marquait un tournant dans sa vie. Son intuition lui soufflait que de l’intérieur, allait émerger une chose incroyable qui allait changer à jamais le cours de son existence. Alors elle restait immobile, dans l’expectative.
L’enveloppe se fendit par le milieu, une petite patte griffue l’avait percée. Il en coula un épais liquide brunâtre. La petite main continua son découpage, et une tête reptilienne fit son apparition. Une tête, disons… souriante, malgré les crocs qui pointaient aux commissures de ses lèvres. Deux bras s’en échappèrent ensuite, repoussant les parois de leur prison et une créature complète s’en extirpa enfin, puis se mit debout. Elle essuya de son mieux le liquide qui la maculait, alla même jusqu’à se rouler dans l’herbe puis, toute propre, revint vers Lilou à laquelle elle présenta un visage amical.
On aurait pu qualifier la créature humanoïde recouverte d’écailles grises qui se dressait désormais devant notre héroïne d’homme ou de femme lézard.
— Tu… tu es mon animal totem, c’est ça ?
La créature acquiesça.
— Je peux le devenir. Je suis Draëgane, si tu m’acceptes, tu prendras alors ce nom.
— Mais… je ne pourrais pas avoir un nom… plus simple comme tout le monde ? Un nom d’animal que les gens connaissent !
L’œil de Draëgane s’éclaira d’une aura mystérieuse.
— Il semble que tu as de la chance. Tu as hérité de certaines capacités.
Lilou se fit songeuse, regardant son potentiel alter ego.
— Mais, pourquoi moi ? Quelles capacités ?
— D’après ce que j’en sais, quand les enfants naissent, rien n’est définit pour le petit être. Mais au passage à l’âge adulte, le caractère s’est forgé, et Hystrial peut choisir un animal correspondant à chacun. Ta maman a hérité de la grive parce qu’elle chante merveilleusement bien, qu’elle aime ses petits et son nid qu’elle protège, qu’elle s’affole vite. Ton papa est le loup malin qui adore jouer avec ses enfants, en plus d’être un chasseur invétéré. Et son physique lui correspond tellement bien, avec ses yeux bleus et ses cheveux gris cendrés. Quant à nous, eh bien… je crois que ce sera à nous de le découvrir.
À l’évocation de ses parents, la tristesse recouvra d’un voile le visage de la petite fille.
— Pardon. Je voulais les prendre en exemple pour que tu comprennes. L’espoir de les retrouver existe et nous allons y travailler ensemble.
— Oui, mais… c’est difficile de penser à eux. Peut-être souffrent-ils ?
Lilou se mit à pleurer, Draëgane la serra contre elle pour la consoler. Son étreinte était douce et réconfortante. L’enfant épancha ses larmes sans retenue, l’esprit la garda contre elle jusqu’à ce qu’elles se tarissent. Puis la petite fille s’en détacha et sourit au jeune saurien.
Tandis qu’elles s’étudiaient du regard, un silence s’installa. C’est Lilou qui le brisa.
— Tu parles de passer à l’âge adulte, mais je ne l’ai pas encore atteint.
Draëgane la regarda avec tendresse.
— Tu l’as pensé toi-même hier, rappelle-toi.
Lilou revint en arrière, effectivement elle avait pensé, qu’accablée par les responsabilités, elle deviendrait adulte.
— Adulte en esprit, même si ton corps n’est pas encore prêt.
La petite fille avait peur de ce changement. Qu’il advienne aussitôt et aussi brusquement la perturbait fortement. Elle ne se sentait pas vraiment préparée.
— Tu as d’autres questions ? continua l’esprit.
— Pourquoi toi, Draëgane, tu es toute grise, des griffes à l’air inoffensives, pas plus grande que moi. Qu’est-ce qui te rends particulière ?
— L’évolution. Hier j’étais une petite chenille, et parce que tu as changé, je change moi aussi. Mais tu te transformeras encore beaucoup, et je t’accompagnerai dans ces variations. Nous grandirons ensemble, doucement. Je te promets que ce ne sera pas brutal.
Lilou sourit à Draëgane, cette perspective lui plaisait.
— Tu disais au début, que tout cela se produirait si je t’acceptais. Ai-je vraiment le choix ?
Draëgane secoua énergiquement sa tête d’avant en arrière.
— Tu peux me refuser, oui, dans ce cas un animal plus classique deviendra ton totem.
Lilou se gratta la tête.
— M… D’accord. Pour moi, ça changerait quoi ?
— Un animal commun te limiterait dans ta vie. Mais avec moi, pas question de rester une simple cordière, je pousserai ton ambition.
— Tu m’aideras pour retrouver mes parents ?
Draëgane esquissa une moue indécise.
— Je dois être tout à fait franche avec toi. Je ne te soufflerai pas de solutions, ce n’est pas le rôle d’un animal Totem. Mais je serai toujours là pour toi, oui, je te donnerai la force d’aller au bout de ce que tu veux réaliser. Que ce soit pour retrouver tes parents ou plus tard d’autres choses.
En quelques minutes, Lilou s’était déjà attachée à Draëgane, quelque chose en elle lui semblait… si familier. Alors elle s’inquiéta.
— Et toi, que deviendras-tu si je te repousse ?
Cette fois-ci les yeux du saurien se perdirent dans le vague.
— Je disparaîtrai comme je suis apparue, tout simplement.
Lilou avança vers Draëgane et la serra dans ses bras.
— Je crois que tu me corresponds bien, mon esprit. Je ne te laisserai pas disparaître ainsi, je t’accepte.
Lilou ferma les yeux. Quand elle les rouvrit, elle était désormais Draëgane et Draëgane était elle. Sa présence intérieure la rassurait et la fortifiait, elle le sentait déjà.

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