9 - Grand-Pierre

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Durant toute la journée, nos deux héros, bardés de leurs lourds sacs de voyage, avaient cheminé péniblement dans les étendues recouvertes de neige. Malgré leurs raquettes, leur progression était lente et pénible en cette région montagneuse. Ils comprirent que la lourdeur de leur paquetage avait probablement joué contre la rapidité de leur poursuite le jour précédent. Une chose au moins était positive, la neige avait enfin cessé, les flocons mouillés ne venaient plus fondre sur leur visage, bloquer leur vue ni mouiller leurs vêtements.

À l’heure du fruit, Ils firent halte et prirent un repas froid composé de viande séchée, accompagnée de pain dur. Potecote montra sa joie lorsqu’elle reçut sa ration de grains.

Quand ils repartirent à l’heure de la graine, il leur fallut retraverser l’impétueuse, à quelques kilomètres à peine au Nord de leur village, plus en amont de la rivière. Ici, elle se trouvait être moins large et, aidée de la corde que Noisi avait emportée dans ses affaires, sa sœur put traverser avec moins de frayeur. Au milieu de l’après-midi, entre la fin de graine et le début de récolte, Draëgane décida de stopper ici leur avancée journalière. Ils ne recommenceraient pas l’erreur de marcher jusqu’à la nuit. Qu’auraient-ils fait la veille si Renarde n’avait pas été là avec son feu ?

Une bonne quantité de bois fut rapidement amassée par les deux enfants. La forêt de feuillus qui les abritait se révélait riche en bois mort. Chacun de leur côté, les deux petits s’échinèrent à faire tourner une brindille taillée en ponte sur un morceau de bois mort à l’aide d’une ficelle. Ce fut Noisi qui le premier, parvint à obtenir une petite flamme crépitante. Il la fit grandir et la déposa sur leur bûcher qui s’enflamma progressivement, dégageant, en raison de l’humidité, une quantité importante de fumée.

La flambée s’étendit, dévorant les brindilles autour d’elle, mordit les branches un peu plus grosses avant de venir lécher les bûches destinées à tenir le feu plus longtemps. Ils purent enfin goûter à un peu de repos et se réchauffer près des flammes. Potecote, autour d’eux, grattait la neige, espérant probablement atteindre le sol pour y dégotter quelques vers qui agrémenteraient son ordinaire. Noisi s’afférait autour du feu, cherchait de nouvelles branches qu’il mettait à sécher avant de les y ajouter. Le petit garçon prenait un certain plaisir à manier les danseuses rouges, apprivoisant cette étrange magie qui transformait le bois en chaleur.

Draëgane assise en tailleur semblait se réchauffer dans l’inactivité. En réalité, elle était plongée dans ses pensées. Repensant à son aventure en Æther, elle se rappela les paroles de son animal Totem qui lui avait confié qu’elle avait quelque chose de spécial. Mais quoi ? Que lui valait l’intérêt que je lui portais ? Cette question tournait en boucle dans sa tête depuis le matin.

Cette faculté à traverser nuitamment les forêts de ma seconde fille était la première chose qui lui était venue à l’esprit. À sa connaissance, seuls les chamans en étaient capables, peut-être l’était-elle ? Elle avait entendu dire que c’est un don de naissance. Mais celle de Trapan avait pour totem une biche, donc rien d’aussi exceptionnel que son animal à elle. Il fallait que ce soit autre chose, mais quoi ?

Son lien avec Potecote commençait également à la turlupiner. Cette intelligence dont la poule semblait douée l’étonnait. Avait-on jamais vu un gallinacé aussi avisé. Souvent, elle prenait les mêmes allures que la petite fille, donnait du ton comme pour renforcer ses dires ou faisait ce qu’elle disait. Y avait-il un rapport ?

Elle avisa le volatile et pensa une phrase. Potecote : fait des petits sauts sur place. Rien. Peut-être s’était-elle fourvoyée. Un peu déçue elle soupira.

— Pooot.

Si je ne me trompe pas, c’est un pot déçu. Peut-être perçoit-elle mes sentiments ?

Les deux s’observaient. Draëgane partit d’un rire forcé. Mais rien ne se produisit. Peut-être parce que j’ai fait exprès. Potecote inclina étrangement la tête de côté. Je vais rester vigilante les jours à venir et observer ses réactions.

Après un repas frugal, les deux enfants se couchèrent auprès du feu de bois bien entretenu, Potecote toujours au milieu d’eux comme une petite bouillotte.

Draëgane ne parvenait pas à dormir. Devait-elle dévoiler à son frère qu’elle voyageait dans ces terres sombres, qu’elle avait vu Renarde avant son départ définitif ? Il n’y comprendrait rien de toutes façons, il n’y est pas allé. Il était cependant le seul à qui elle pouvait se confier, et qu’est-ce que ça changerait ? Elle se décida finalement.

— Noisi…

— Mmmm ? Je dors.

— Ben non, parce que tu parles. Faut que je te dise un truc.

— Ah ?

— J’ai reçu mon nom.

— Hein ? Mais t’as dix ans c’est pas possible, et il y a pas de chaman.

Noisi commençait à être un peu moins embué.

— Je te dis que si. J’ai pas vraiment besoin de chaman, parfois je m’égare là-bas… quand je dors.

Un rire narquois partit du petit garçon :

— Alors ? C’est quoi comme animal ? Je verrais bien un truc qui a peur de tout. Une souris ? un lièvre ?… Une poule, comme Potecote ? Ou un truc calme qui regarde de loin… Un hibou ?

— Non, je m’appelle Draëgane.

Le rire laissa place à un blanc interrogatif.

— Ah bon c’est bizarre. Faut que je t’appelle comme ça ? Bon c’est pas… moche, mais c’est… étrange.

— Non, tu peux encore m’appeler Lilou si tu veux. Je suis encore une petite fille.

— Ah d’accord, ça me rassure, tu peux me raconter comment c’est là-bas ?

Alors Draëgane lui fit un rapport complet, sans rien omettre. Quand elle eut fini, ils tombèrent de fatigue. Mais, avant de sombrer totalement, ils eurent une pensée pour leurs parents dont ils ignoraient la destination. La tristesse s’installa, mais la lourdeur de leurs paupières l’emporta sur les larmes et ils s’endormirent épuisés. Leur sommeil, cette fois-ci fut sans rêves.


§


Le lendemain ils repartirent pour Grand-Pierre, en milieu de journée, ils passèrent entre la grande montagne au Nord, Gried Kamdu et Radha plus basse au Sud. Leurs parents leur avaient dit qu’elles tiraient leur nom d’une ancienne langue pierreuse, et que certains y habitaient, c’est d’ailleurs pourquoi, malgré leur proximité, les gens du village les évitaient.

Ils rencontrèrent l’Intarissable, une rivière parallèle à l’Impétueuse et qui, à ‘instar de cette dernière se jetait dans l’Œstrel. Le lendemain ils devraient la longer, puis la traverser pour atteindre la ville, mais pour l’heure, l’après-midi s’étirait vers sa fin, et ils trouvèrent un bivouac pour se reposer pendant la nuit.

Au matin, suivant l’intarissable, ils passèrent à l’Est de Radha à laquelle succéda Pierda et aquand ils aperçurent Kardu, plus au sud, ils surent qu’ils devraient traverser la rivière et obliquer dans la direction de Grand-Pierre. C’est vers la fin de la matinée suivante qu’ils atteignirent enfin la ville.

Leurs sacs s’étaient allégés, et donc la nourriture commençait à se faire rare. Après être passés près des fermes éparses autour de la ville, les enfants virent les habitations rétrécir et se resserrer les unes contre les autres. Des rues pavées apparaissaient et des échoppes fleurissaient ici et là.

Les deux petits n’avaient jamais vu autant de gens marcher dans les rues. La plupart des passants gens circulaient d’un pas bien décidé sans prêter attention à ces deux gamins effrayés et leur poule, ni à quoi que ce soit d’autre. Leur vêture différait beaucoup des habitants de leur village. Ces gens étaient affublés de vêtements colorés, dans de tissus riches cousus de fils brillants. Chacun vaquait à ses affaires et ne s’occupait de rien d’autre.

— Si on veut vendre l’arc, les flèches et le fer de la hallebarde, on peut aller ici, remarqua Noisi.

Il désignait une enseigne sur laquelle était dessinée une épée.

Attendant l’assentiment de sa sœur, il se tenait debout devant la porte du marchand.

— Euh, tu es sûr ?

— En tous cas ici ça a l’air de quelqu’un qui est spécialisé, il nous les achètera peut-être.

Derrière le comptoir, le marchand regarda d’un air circonspect l’étrange trio s’avancer vers lui. Celui qui s’adressa à lui était un petit garçon haut comme trois pommes.

— On a des choses à vendre, ça vous intéresse ? Il sortit le fer de hallebarde de son sac et Draëgane montra le carquois l’arc et les flèches.

— Mais où des enfants de votre âge ont pu trouver ces choses-là ? Vous les avez volés ?

Sans se démonter, Noisi affirma la vérité au vendeur.

— Toutes ces choses appartenaient à une dame, dans la forêt. Mais elle est morte, alors, comme on doit manger, on voudrait vous les vendre.

— Enfin, peu importe, d’où provient tout cela. Montrez-moi ça d’un peu plus près.

Le marchand les regardait d’un air peu amène, mais il ne put retenir un petit cri de surprise en voyant la qualité du carquois.

— Les affaires ne sont pas toutes neuves, quinze pièces pour le tout.

— Vingt-cinq proposa Noisi qui n’avait aucune idée du prix des choses, mais ayant vu faire son père il avait une vague idée de la technique à adopter.

Le vendeur grogna, regarda encore les affaires proposées.

— Dix-huit.

— Vingt-trois.

Le marchand semblait s’amuser de voir ce gosse négocier les prix.

— Vingt.

— C’est bon pour moi.

— Tu es dur en affaires, jeune homme, tu iras loin, pour la peine, je te donne vingt-deux.

Draëgane ramassa l’argent et compta le nombre de pièces. Elle acquiesça.

— Le compte y est, bonne journée monsieur.

— Pooot !

— Bonne journée les enfants.

Et ils se trouvèrent à nouveau dans la rue, laissant derrière eux un marchand étonné.

Ils débouchèrent quelques instants plus tard sur une grande place. En son centre, une grande bâtisse trônait. Tout autour, un parc avait été aménagé, des arbres y étaient plantés, et sous chacun d’eux des bancs étaient installés.

La plupart des bancs étaient libres, en plein hiver, les gens n’étaient pas spécialement tentés de s’asseoir. Cependant ils furent attirés par l’un d’entre eux, un peu original, car on y avait sculpté une statue de petite fille.

Noisi s’étonnait et tournait autour, la regardant sous tous les angles, Draëgane ne faisait pas mieux.

— On dirait une vraie ! S’exclama-t-elle ? Qu’elle est jolie ! Des doigts si finement ciselés, son nez, sa bouche et ses yeux faits de ces pierres brillantes. Quel artiste a pu réaliser une merveille pareille ?

— Coooot… Cooooot…

Elle s’assit sur le banc à côté de la statue et commença à déballer sa nourriture, et Noisi de l’autre côté faisait de même.

Quand tout à coup, ne pouvant plus se retenir, la statue pouffa de rire, révélant ainsi son appartenance au monde des vivants.

— Vous n’avez jamais vu une pierreuse ? s’enquit-elle.

Draëgane sauta du banc et Potecote vint s’abriter derrière elle, quant au garçon il se mit à rire. D’ailleurs la surprise passée, tout le monde se joint à son amusement dans un fou rire généralisé.

— Je me suis bien amusée à vous faire peur. Mon nom est Reorina.

— Lilou, Noisi, mon frère, et Potecote ma copine poule.

— Poot !

— Bonjour !

Draëgane, les joues rosies par un peu de honte reprit :

— Je n’avais jamais vu de pierreux avant. Je suis désolée de t’avoir regardée comme ça.

Reorina s’esclaffa :

— Au moins, vous m’avez fait des compliments, c’est gentil, tout le monde ne pense pas pareil. Et là… j’avoue que je vous ai piégés, je voulais m’amuser de vos réactions. Ça n’a pas manqué, rit-elle.

— Nous venons d’un petit village, derrière la montagne. Tu as à manger ? Tu veux partager notre repas ?

Reorina secoua la tête :

— C’est gentil, mais j’attends mon papa, il est chez l’échevin. Il est contremaître dans la construction et je crois que l’on veut nous envoyer à Portuan. Le travail serait meilleur, mais il n’a pas très envie de quitter la région. Tous les gens que l’on connaît sont là, dans les montagnes, à quelques pas d’ici.

— On va aussi voir l’échevin, dit Noisi, on a un truc à lui revendre.

Ils lui racontèrent un peu d’où ils venaient, leur périple, et il s’avéra que la compagnie de la petite pierreuse leur plaisait bien, et la réciproque semblait vraie. Aussi décidèrent-ils tous ensemble de fabriquer un bonhomme de neige.

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