"Je vous laisse le pire"
J'ai souvent imaginé ce moment arriver, je me rends compte à présent que je n'avais jamais réaliser ce moment.
Je n'ai pas les mots pour vous réconforter et comme le chante si bien Mano Solo, je sais que "je vous laisse le pire, les larmes qu'on verse sur la mort d'un homme", ou d'une femme en ce qui me concerne. J'ai vécu ma vie, pas aussi bien que je l'aurais voulu, ou pu, tout ce confond à vrai dire. Je suis née en France en fin XXième. Autant dire, chanceuse. Pas de famine, pas de guerre, pas de gang. Cool Raoul. Pas trop stupide, pas trop brillante, moyenne en fait, tout ou presque m'était ouvert. J'ai choisi la voie facile à emprunter, mais pas forcément à assumer. L'usine. Peu de contacts humains, néanmoins véritables. J'ai essuyé beaucoup de verbiage, beaucoup d'énervements, beaucoup de débats insignifiants, à l'échelle de l'univers, notre avis compte t-il vraiment ? J'ai bien rigolé, j'ai bien pleuré, je me suis ennuyée aussi, énormément. Je savais en ces moments de lassitude que je craquais, que je devais me relever, être heureuse, satisfaite. En vain. La mélancolie m'a souvent nourri et j'étais sa prisonnière Stockholmoise. Je ne sais pas. Je regarde notre espèce avec le recul de la mort imminente et je nous trouve superbe et ridicule en même temps. Basique. Simple. J'ai aimé l'art, la nature, mon amour indescriptible ! Le beau. J'étais, j'en suis convaincu, plus sensible que la plupart de gens. J'étais empathique et pourtant, j'ai fait bien des erreurs. Mais je paris que Gandhi aussi, allez, dites-moi que oui ! Je suis humaine. Défaillante. Un peu narcissique. Je dis "je suis" soudainement, seulement je me rappelle que j'étais. Tout se confond, je l'ai déjà dit. Laissez-moi dire encore je suis. Je suis fatiguée, je n'ai pas peur. J'ai vécu. Les dés sont jetés. Je regrette des choses, mais je ne sais même pas les nommer. Etre plus intelligente, plus perspicace, comprendre mieux les gens, avoir plus de cran, tenter plus d'expérience ? Profiter à fond, à fond tout le temps ? Nan, j'ai fait ce que j'ai fait au moment où je les ai fait, c'est ainsi que j'ai agis, ainsi que j'ai choisi. Rien de grave néanmoins, des faiblesses, certes, je vous livre là, en précision, un extrait de Cyrano de Bergerac de Rostand que j'aime :
— Voyez-vous, lorsqu’on a trop réussi sa vie,
On sent, — n’ayant rien fait, mon Dieu, de vraiment mal ! —
Mille petits dégoûts de soi, dont le total
Ne fait pas un remords, mais une gêne obscure ;
Et les manteaux de duc traînent dans leur fourrure,
Pendant que des grandeurs on monte les degrés,
Un bruit d’illusions sèches et de regrets,
Comme, quand vous montez lentement vers ces portes,
Votre robe de deuil traîne des feuilles mortes.
Bien sûr, il faut remettre ce texte dans le contexte, et si à cette lecture je peux donner un dernier conseil, lisez l'oeuvre entière.
Je m'en vais donc, comme tous avant moi et tous après moi. J'espère tellement vous revoir. Tous autant que vous êtes, mon dieu, que je vous aime ! Même ceux que je n'aime pas. Aujourd'hui, à l'aube de ma mort, je vous aime d'une certaine manière, oui, je vous aime de me rendre vivante, vous faites parti de mon monde, et je ne veux rien en perdre. Je ne veux rien en perdre. Mais je n'ai pas peur vraiment, je suis confiante. J'emmène avec moi tous mes souvenirs, les vrais, les faux, les sauvenirs volés, tout ceux qui ont construit mon existence, irréels, imparfaits, somptueux, extraordinaires. Je suis tout, je suis rien. J'étais saoule tout le temps, jamais vraiment présente. Cette nuit, je me dégrise d'une vie palpitant un coeur anecdotique.
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