ⅠⅤⅠ - En haut du Perce-Nuage
Le lendemain, l'orgue hydraulique de la grande Clepsydre réveilla le jour dans les profondes strates de la capitale que le doux soleil montagnard ne pouvait atteindre.
— Bien dormi ? Le 'sol' était confortable ?, demanda-t-il.
— Ce n'était pas mauvais... jusqu'à cette infâme musique qui m'écorcha les oreilles !
— Hum... au début, les musiques retenues avaient été de douces symphonies, mais au bout d'un certain temps d'acclimatation, nous ne les entendions plus... Donc on a choisi des moyens plus 'efficaces'... Bref, quoi qu'il en soit, votre grandissime a toujours pour projet de quitter le pays, non ? Nous allons préparer tout ça aujourd'hui... Déjà, allons demander des fonds au Journal.
Tous deux sortirent. Sereine, pas encore à l'aise, se permit de rester à cette strate, pour voir les incroyables inventions des Artisans, jouer et mélanger eaux, sons et lumières.
Quant à Arsène, un Vertikal le remonta à la surface, plus près du soleil, il se dirigea vers l'opulent siège de l'Artisans Moderne. Dans son immense hall – antre des plus grands scandales et révélations, Arsène s'avança jusqu'au guichet.
— Bonjour monsieur, puis-je vous aider ?
— Bonjour, je voudrais m'inscrire en tant qu'envoyé spécial en dehors du pays, serait-ce possible ?
À ces mots, le regard brumeux de la secrétaire changea. En bien ou en mal ?, il ne le sut jamais. Dans son ton et son expression, la curiosité s'installa. Dans ce pays, si enfermé de montagnes, les êtres courtisant l'inconnu et le danger étaient rares, voire inexistants — ce n'était pas pour rien que les Artisans habitaient sur une haute montagne rembourrée de murailles, tours, et avant-postes. Mais pourtant, l'intérêt autour de ce sujet n'était nullement à sous-estimer.
— Vous voulez explorer les terres inconnues, vraiment ?! D'abord, il me faudrait une petite signature. Juste ici, oui.
Faisant voler la plume blanche de son haute-forme sur le papier, Arsène signa bien vite. Le Chapeau-Encrier était l'une des inventions dont il était le plus fier — bien que dans sa mémoire restait encrée un bon nombre d'accidents fâcheux, rien que d'y repenser, le faisait bleuir.
— Une petite deuxième juste ici, parfait. Merci beaucoup. Je vais demander si le directeur peut vous recevoir.
Après avoir scribouillé une petite note, elle la roula —telle une mauvaise cigare— dans un minuscule tube, un pneumatik qui fut introduit dans un fin tuyau s'entremêlant à d'autres pour monter aux cieux, poussé par une folle vapeur canalisée. En un pschitt, son destinataire l'avait déjà en main ; en deux, la réponse revint toute chaude au guichet :
— Le directeur vous recevra avec plaisir. Je vous en prie, il est au tout dernier étage, vous ne pouvez pas vous perdre.
Se dirigeant vers l'ascenseur, Arsène aperçut la secrétaire ranger avidement sa signature, dans sa poche intérieure. Le Vertikal s'éleva lentement, et après 53 arrêts intempestifs, arriva au sommet du perce-nuage.
L'étage entier n'était qu'un immense bureau, où au centre perçait la cage du Vertikal, qui fleurissait pour soutenir l'immense dôme de verre et de fer. C'était ce dernier étage qui donnait à l'édifice sa ressemblance aux champignons. Juste devant Arsène, se dressait un bureau de bois massif, avide de dorures. À droite, un petit orgue de tuyaux, d'où sortait avec pchit et entrain, de petits pneumatiks tout frétillant, glissant le plus souvent entre les mains d'une secrétaire qui les pourchassait, munit d'un petit filet attrape-papillons.
Derrière le bureau, un homme en costume jaune-or, bon vivant ; dans ses yeux d'argent oxydé, un disque d'accrétion doré, semblait capturer toutes les richesses que ses pupilles touchaient. Cerné d'un monocle, coiffé chic et exhibant une moustache ébène toute frisottée, il fixait avidement le nouveau venu.
— Ainsi, vous voulez devenir envoyé spécial, jeune homme ? Je me souviens qu'à votre âge, je me tenais moi aussi dans ce même bureau, avec la même proposition. Je partis alors avec une équipe de 300 personnes pour explorer l'Est. Cela nous à pris 7 ans. Nous avons mis 4 ans pour découvrir la pays des guerriers dont nous soupçonnions déjà l'existence, nous n'étions alors plus que 50. Puis il a fallu 3 ans pour rentrer. À notre arrivé, nous n'étions plus que 10, dont moi. C'est d'ailleurs cet exploit qui m'a valut ce fauteuil haut-perché. Alors dit-moi, tu te sens toujours prêt à partir ?
À travers le dôme, le ciel curieux, attendait sa réponse.
Annotations
Versions