Chapitre 7
Gabin se figea, la main gauche tenant le paquet, la droite s’apprêtant à dégainer le couteau.
— Ben c’est pas trop tôt ! s’exclama Jean.
— En effet, réagit Katherine avant que Gabin ne s’exaspère. J’aurais dû tout vous dévoiler dès que je suis rentrée. Mais, voyez-vous, j’avais peur de votre réaction. Ce que je m’apprête à vous révéler ne vas pas vous plaire, quand bien même je puis vous assurer que mes intentions ne sont pas hostiles.
— Oui bah vas-y accouche !
— Pardonnez-moi, vous avez raison, je ne devrais pas perdre de temps. Je vais faire bref. J'étais une scientifique et désirais étudier l’anomalie.
— L’anomalie ? s’interloqua Gabin.
— Oui, l’immense forme violette translucide qui est apparue en un quart de secondes. Je me suis approchée d’elle avec mon équipe pour l’étudier et récupérer des échantillons. Nous avions mis des combinaisons protectrices intégrales. Mais dès que mon outil est rentré en contact avec la substance, tout a disparu. Je me suis retrouvée ailleurs, dans un univers pourpre et silencieux. Je ne parvenais pas à distinguer la terre des végétaux, ni les végétaux des animaux. Tout semblait constitué de la même substance unicolore. C’est alors qu’un être bleuté m’est apparu. Il possédait une dizaine de bras et flottait au-dessus du sol, son visage géométrique était vide, dépourvu de tout organe. Je ne me souviens plus de la totalité de mon expérience ni de l’apparence de cette apparition avec exactitude, toutefois je sentais une aura familière qui s’en dégageait. Un grand calme m’avait envahi. Je n’ai pas cherché à fuir. Il s’est approché de moi et a tendu ses mains. Il a touché mon corps et j’ai ressenti un grand apaisement, mes yeux se sont clos. Puis je me suis réveillée, de retour dans notre monde. Tout était comme avant, tout sauf moi. Je n’étais plus la même. Ma perception était brouillée. L’anomalie était toujours là, devant-moi. Quand je me suis retournée, j’ai vu mes compagnons. Rien n’avait changé en eux, si ce n’est leur regard. De l’effroi. Ils avaient peur de moi. Je ne comprenais pas pourquoi, jusqu’à ce que l’envie incessante de les tuer s’instigue en moi comme un parasite. J’avais une sorte de lance brûlante dans la main. Avec elle, j’ai percé les abdomens de mes collègues. J’ai senti la vie s’échapper de leur carcasse, traverser mon bâton et me rejoindre. J’aspirais leur vitalité. On devient vite accro à ce genre de choses. Je me souviens avoir dévoré l’essence de beaucoup d’hommes. Puis, à un moment, je me suis sentie repue. J’aurais pu continuer à tuer, mais je n’en ressentais plus le besoin. Et ma part d’humanité me dictait de ne pas poursuivre mes massacres. Alors j’ai arrêté. Mais qui sait combien de temps s’écoulera avant que ces pulsions ne me reviennent. Voilà toute l’histoire.
— Eh ben ! s’exclama Jean. Heureusement que vous aviez dit que ça allait être bref !
Pendant son récit, Jean s’était un peu ennuyé et avait plusieurs fois perdu le fil, déconcentré. Trop long à son goût.
— C’est terrible, réagit Gabin. Mais comment savoir que vous dites la vérité ?
— Si j’avais voulu vous tuer, je l’aurais fait dès le début. Toutefois, si je sens l’envie de sang me reprendre, je vous préviendrais et vous quitterais avant de vous blesser.
— À la bonne heure !
— Oui, je vous avertirais dès le moindre signe de faiblesse d’esprit.
— Je suis un peu perdu là, avoua Gabin. Qu’est-ce qu’on doit faire ?
— Hélas, je n’en ai aucune idée.
— Moi j’en ai une ! fit Jean.
— Vraiment ?
— Oui, enfin ça dépend, tu as une troisième manette de Play ?
— Oui, mais non.
— Oui ou non ? Faut savoir !
— Oui, j’ai même quatre manettes, mais non, nous n’allons pas jouer.
— Et pourquoi pas ?
— C’est vrai, appuya Katherine. Pourquoi pas ? Nous ne pouvons rien changer, si c’est ce que vous croyez. Les forces à l’œuvre nous dépassent complètement. Quand bien même nous savions quoi faire, nous ne pourrions pas réussir. Alors autant jouer pendant le temps qui nous est imparti. J’aimerais bien m’amuser une dernière fois avant que la folie ne me reprenne.
— Enfin quelqu’un de censé ! s’enthousiasma Jean.
— Par contre, je vous avoue ne pas connaître les derniers jeux, cela fait plusieurs années que je n’ai pas touché à une console.
— Vous avez raté quelque chose, ça j’peux vous le dire !
— Je n’en doute pas. Après coup, je me dis que j’aurais mieux dû m’amuser et passer du temps avec ceux que j’aime plutôt que de m’user à travailler pour quelque chose qui n’existe plus et n’a désormais aucune importance. Car, finalement, ce qui est réellement important, ce sont les souvenirs heureux qui nous habitent et nous réconfortent avant que la fin ne frappe.
— Ça c’est parlé !
— Bon… dit Gabin, tourmenté. Dans ce cas, jouons.
— Quel genre de jeux vous aimez ? demanda Jean.
— J’aime bien les jeux de réflexion, de stratégie et les FPS.
Jean déclara ô combien celle qu’il trouvait charmante avait du goût, puis proposa un des derniers jeux de tir révolutionnaire. On y incarnait des aliens venus envahir la Terre, mais qui découvrent que celle-ci est contaminée par une étrange maladie qui rend les gens fous et cannibales. Ainsi, le joueur disposait d’armes technologiques variées et impressionnantes pour repousser des hordes de zombies.
Des éclats de rire fusaient dans tous les sens. Malgré qu’elle eût du mal à prendre le coup de main, Katherine s’amusait bien. En plein milieu d’une partie, elle posa cette question :
— C’est comme ça que vous me voyez ?
— Tu veux dire, comme un alien ou comme un zombie ? demanda Gabin, qui oubliait encore la situation globale pour se concentrer sur le jeu et le moment de camaraderie qu’ils passaient ensemble.
— À vous de me le dire, répliqua Katherine, amusée.
— Un peu des deux, honnêtement.
— Moi aussi, je suppose que je me vois comme ça. À vrai dire, je ne sais même plus ce que je suis.
— Vous êtes humaine, comme nous, dit simplement Jean.
— J’aimerais bien…
— Une très jolie humaine, d’ailleurs.
— Jean, essayez-vous de me draguer ? demanda-t-elle avant d’émettre un petit rire sympathique.
— Oui complètement, je vous trouve beaucoup de charme.
— Même si j’étais encore humaine, je serais bien trop vieille pour vous, voyons !
— L’âge ne devrait pas être une barrière à l’amour. D’ailleurs, arrêtons de nous tutoyer, ça ne fait que renforcer cette impression.
— Comme vous voudrez, Jean.
— Tu l’as clairement fait exprès là…
— Concentre-toi sur le jeu mec ! l’apostropha Gabin. On est en train de se faire submerger là !
— Submergé par l’amour, oui.
Gabin rigola franchement.
— T’es bien lourd aussi toi quand tu t’y mets.
— C’est pas faux. En tout cas, Katherine, sache que je te fais totalement confiance maintenant. Gabin m’a mis le doute à un moment, mais je n’aurais pas dû me montrer si méfiant.
— Je ne t’en veux pas, et je trouve que vous avez bien fait d’être méfiants, je l’aurais moi-même été.
Soudain, le téléphone de Jean sonna.
— Tu ne décroches pas ? s’interloqua Katherine.
— Je répondrais après.
Gabin mit le jeu en pause.
— Réponds mec, c’est peut-être important.
— Ouais… Ah, tiens, c’est ma daronne. Allô ?
— Allô mon cœur, tu vas toujours bien ?
— Oui parfait, on est en train de jouer à la console avec Gabin et Katherine. Et toi ?
Jean mettait tout le temps son téléphone en haut-parleur lors des appels, il trouvait cela plus pratique. Par conséquent, ses deux compagnons de jeux entendaient la conversation.
— Tant mieux, oui, oui, je vais bien. Écoute-moi bien Jean. Des gentils hommes m’ont sauvée la vie et m’ont conduite à ce qu’ils appellent « La Nouvelle Ligne », c’est juste à côté du supermarché où tu allais tout le temps.
— D’accord, tant mieux.
— Oui. Les gens là-bas disent que vous n’êtes plus à l’abri. Les méchants hommes en costume peuvent s’introduire même dans les maisons, que ce soit par la force ou par la ruse.
Lorsque Gabin entendit ces mots, il se tourna nerveusement vers Katherine. Celle-ci semblait stressée.
— Pas de soucis maman, on est en toute sécurité.
— Non, Jean, non, écoute-moi bien, ce n’est pas le cas. Tu le crois, mais tu n’es pas autant en sécurité que tu le penses. Un des hommes m’a aussi parlé de géants monstrueux qui sont apparus près des papillons violets récemment. Ils pourraient détruire la maison de Gabin et vous écraser.
— Chiant ça…
— Oui, tu comprends. Alors voilà ce que je veux que tu fasses : Je veux que toi et Gabin rejoignez le supermarché en toute discrétion, sans faire de bruits et en évitant de vous approcher de qui que ce soit. Courez si besoin. Surtout, fuyez les hommes en costume et restez à distance des géants. Tu as compris ?
— Oui, j’ai compris, je vais faire ça. Mais Katherine alors ?
— Qui est-ce ?
— Une amie à nous.
— Oh, oui, d’accord. Prenez-la avec vous.
— Ça roule !
— Fais attention mon cœur.
— Ouais, ouais…
— Je t’aime.
— Moi aussi…
Quand Jean raccrocha, il remarqua la scène qui s’offrait à lui ; Gabin avait placé son couteau sous la gorge de Katherine.
— Mais à quoi vous jouez les gars ?
— Cette salope s’est bien foutue de nos gueules ! cria Gabin. Tout ça c’était un piège pour endormir notre vigilance !
— Jean, dis-lui, je t’en prie, supplia Katherine, au bord des larmes. Ce n’était pas une ruse, je le jure ! J’étais sincère, je ne vous veux pas de mal !
— L’écoute pas, Jean ! Elle raconte n’importe quoi ! Je devrais la buter là, tout de suite !
— Non, s’il te plait, non ! Je ne veux pas mourir, je ne vais pas vous tuer, je le promets !
Jean passa ses mains derrière son crâne, se gratta le cuir chevelu, perplexe, et souffla :
— Encore un dilemme…
...
Annotations
Versions