Chapitre 23: Le "marché".
"Il n'est pas de pacte loyal entre les hommes et les lions"
- Homère.
Un terrible vent s'abattait sur les pleines d'Astramo. L'herbe s'agitait avec fureur, les oiseaux volaient à toute hâte, sentant le terrible temps qui arrivait. Ce spectacle aurait presque pu paraître naturel si le ciel n'était pas d'un bleu étincelant. Le temps paraissait absolument chamboulé. Les villageois se précipitaient, craignant d'être frappés par la colère des dieux. Ils se barricadaient à l'intérieur de leur chez-soi, dans l'espoir de résister à l'approche de cette tempête. Néanmoins, on pouvait voir trois personnes totalement immobiles qui semblaient se moquer totalement du temps: il s'agissait d'un homme, d'une femme et d'un enfant. Celle-ci s'écria tout à coup.
— Tu me proposes quoi ? Non mais sérieusement ?
Elle descendit de l'équidé et alla l'attacher à une branche, suivit aussitôt de ses accompagnateurs. Elle prit sa main dans sa tête et gronda d'un ton féroce.
— Tu peux toujours rêver, Aaron !
Ce dernier esquissa un sourire et éclata d'un rire mauvais.
— Voyons, princesse. Ce n'est qu'un simple marché, pas la peine de monter sur tes chevaux.
— C'est un chantage, idiot !
Aaron perdit toute trace d'amusement et attrapa soudainement la gorge de son interlocutrice. Il fronça les sourcils et marmonna.
— Toi et ton cher époux aviez un sérieux problème avec la politesse.
— Dit celui qui m'a kidnappé durant un mois, articula-t-elle avec difficulté.
— C'était pour mieux apprendre à te connaître, clama-t-il avec dédain. Pas la peine de se vexer pour si peu.
— Pour si peu ? Es-tu sérieux ?
Maëlys semblait hors d'elle, le vent s'accélérant soudainement. Elle réussit à se libérer de l'emprise du dieu et le fixa avec haine. Pendant ce temps, Lillian ne savait où se mettre. Il comprenait qu'il s'agissait d'une dispute qui n'avait lieu qu'entre cet homme et sa mère, il ne pouvait se permettre d'intervenir. Il espérait seulement que l'inconnu n'oserait pas la taper. Il ne pourrait pas la défendre, il était si petit...
La princesse d'Astramo poursuivit.
— Tu me demandes ça à moi ? Je pensais que tu étais plus intelligent, Aaron. Tu te doutais bien de ma réponse, non ?
— Je pensais que tu prendrais en compte la conséquence de ton refus, Maëlys, rétorqua-t-il les yeux brillants d'une cruauté sans limite.
L'épouse de Louis baissa la tête en se remémorant des paroles du chef des Aqlairre.
***
Flashback.
Maëlys se tenait sur sa jument, partagée entre la curiosité et la méfiance. Elle ne connaissait pas la nature de ce marché mais il se pourrait qu'il ne soit pas si nocif que cela. Aaron était certes fourbe, mais pas nécessairement cruel... Elle observa Lillian qui semblait insouciant. Cela le concernait-il ? L'homme vit son regard et répondit à sa question silencieuse.
— Il en fait parti.
— Que souhaites-tu donc ? Vas-y, dis moi ton marché, s'impatienta-t-elle.
Aaron fit un sourire en coin et patienta quelques instants. Il ralentit l'allure de son étalon puis se décida enfin à prendre la parole.
— Je me doute que tu es au courant de la situation: les dieux de mon clan rêveraient de t'attraper et de tuer l'enfant que tu portes, n'est-ce-pas ? Ils aimeraient aussi enrôler Lillian.
— Qu'ils essayent !, s'emporta la future mère.
Aaron rit légèrement puis reprit son explication.
— Je me doutais de ta réponse. Je peux les empêcher de faire cela. En échange, suite à la naissance de ton petit, je te propose de t'en faire un deuxième.
— Pardon ?, s'offusqua la princesse.
— Voyons, ma belle. Toi et moi, il y a une certaine alchimie. Je pense qu'il faudrait la concrétiser et quoi de mieux qu'un héritier ?
— En échange d'empêcher tes dieux de tuer mon bébé et d'empêcher Lillian d'être un dieu des Aqlairre ? Es-tu fou ?
Aaron éclata d'un rire malfaisant.
— J'aurai pu te proposer bien pire, ma belle. Vois-tu, en échange de cela, j'aurai très bien pu te demander de quitter ton stupide époux et de devenir ma femme. Néanmoins, reconnais ma bonté, je ne l'ai pas fais !
Maëlys avait serré les poings, scandalisée. Cet homme était définitivement fou à lier. Elle ne pouvait le contester. Le chef des Aqlairre approcha son cheval du sien et murmure suavement.
— J'aimerai aussi que régulièrement, tu me rendes visite, chez moi, dans mon lit... Préfères-tu cela ?
La princesse d'Astramo était restée bouche-bée, étonnée par tant d'audace et de sottise.
Fin du flashback.
***
Aaron s'était assis dans l'herbe et attendait que Maëlys daigne à lui adresser la parole. Celle-ci murmura, la culpabilité monta en elle.
— Je refuse... Je protégerai mes enfants, ne t'inquiètes pas pour cela, Aaron.
— Un jour, tu accepteras, promit-il en se redressant.
— Pas tant que je serais en vie, intervint une autre voix, celle-ci semblant remplit de haine.
Les deux adultes se tournèrent vers l'arrivant qui n'était nul autre que Louis, tenait par la main Lillian. L'empereur de la Magie ajouta, le ton cinglant.
— Personne ne veut de toi, Aaron, pour que tu essayes de t'accaparer les femmes d'autrui ?
— Comment oses-tu !, s'emporta son supérieur. Tu me dois le respecter !
— J'ai du respect pour mon clan, non pour celui qui le dirige, rétorqua l'époux de Maëlys. Surtout lorsque celui-ci rêve de voler mon épouse, enceinte qui plus est.
Aaron grinça des dents. Ah, il rêvait tellement d'étriper ce petit dieu. Malheureusement, il avait promis à Alan de ne pas le faire. Ce dernier lui avait assurer qu'il était puissant et qu'il devait le garder parmi eux. Était-ce un mensonge afin de le préserver ? Qui était réellement Louis ?
Le chef des Aqlairre se leva et observa le couple et l'enfant. Ces derniers l'observaient avec une animosité non dissimulée. Pensaient-ils réellement qu'ils pouvaient vivre normalement dans ce monde là ? Aaron en riait bien. Cela était impossible, surtout quand on est au coeur d'une prophétie, de la Prophétie.
Un jour, il en était sûr, un malheur les frapperait. Il ignorait quoi, mais en cela, il en était persuadé. Le dieu leur accorda un dernier regard avant de disparaitre, le temps redevenant à la normal.
Maëlys éclata en sanglots, celle-ci ayant accumuler trop de pression pour la journée. Louis regarda avec douceur son épouse. Lillian, toujours lotit dans ses bras, gémit.
— Maman...
Les deux hommes prirent la princesse dans leurs bras et ils se firent une chaleureuse étreinte. La jeune femme semblait épuisée. Néanmoins, cette démonstration d'amour la fit sourire et elle murmura d'une voix enrouée.
— Oh mes chéris... Je vais bien, ne vous inquiétez pas.
— Quelle piètre menteuse, commenta Louis d'un ton sarcastique.
— Ce n'est pas bien de mentir, ajouta Lillian, la mine boudeuse.
Maëlys rit légèrement. Ils arrivaient à lui remonter le moral même lorsqu'elle pensait que cela n'était possible. Elle ne craignait pas Aaron. Malheureusement, sa menace venait de s'ajouter parmi tant d'autres... Elle savait qu'ils étaient en guerre, bien que fort heureusement, cela ne l'ait pas véritablement impactée. Mais elle en avait marre de vivre dans cette peur constante. Elle était toujours sur ses gardes, craignant pour sa vie et celle de son époux ainsi que celle de ses enfants désormais. Aaron venait seulement d'accentuer cette crainte, à son plus grand désespoir. Louis comprit que sa femme était en panique. Il déposa Lillian, farfouilla dans les poches de son manteau et en sortit plusieurs papiers. Il les tendit à Maëlys qui les prit et les lut aussitôt, curieuse.
Contrat d'adoption établi le 15 décembre 2034.
Monsieur TURIN Louis, né le 30 septembre 2015 à Blatford, situé dans le comté de Azbürg (Astramo) et Madame TURIN Maëlys, née Black-Astramo, née le 20 avril 2016 à Dan, situé dans le comté de Luy (Astramo) déclarent vouloir adopter GHRY Lillian, né le 6 janvier 2031 à Dan, situé dans le comté de Luy (Astramo).
Ils déclarent avoir pris connaissance avec les articles ci-dessous, ceux-ci expliquant les faits relatifs à l'adoption ainsi que les sanctions applicables en cas de non-respect des normes.
L'adoption sera proclamée le 20 décembre 2034 et les présences de Monsieur TURIN, de Madame TURIN et de Monsieur GHRY sont requises afin de finaliser le dossier.
Maëlys arrêta sa lecture, ses yeux étant remplis de larmes. Elle n'en revenait pas. C'était donc ça. Son époux n'avait pas tenu à être présent car il préparait cette surprise ? Il avait préparé en cachette les papiers de l'adoption ? Ils allaient bientôt être officiellement les parents de Lillian ? La princesse redressa la tête et croisa le regard remplit de chaleur de son époux. Celui-ci souriait de toutes ses dents, ravi. La princesse n'arrivait pas à le remercier, incapable de parler. Elle baissa davantage son regard et observa Lillian qui ne comprenait pas la situation. Louis comprit l'état de sa femme et se décida à prendre la parole afin d'expliquer à leur futur fils.
— Nous avons une nouvelle à t'annoncer Lillian.
— C'est pour ça que maman semble encore avoir envie de pleurer ?, demanda-t-il d'une voix innocente.
Maëlys hocha la tête et Louis reprit la parole.
— Oui car elle est heureuse. Dans quelques jours, nous allons devenir tes parents, du moins, si tu le souhaites. Le veux-tu ?
Lillian semblait sceptique . Il fronçait les sourcils et plissa les yeux. Il pencha la tête sur le côté et lui demanda.
— Tu veux bien de moi ?
Surpris par cette question, Louis était resté bouche-bé quelques secondes. Il se reprit, balbutiant.
— Bien entendu, pourquoi demandes-tu cela ?
Lillian fit alors un grand sourire.
— Je pensais que tu ne m'aimais pas. Je peux t'appeler papa alors ?
— J'attendais que ça, fiston !, lui répondit Louis en prenant l'enfant dans ses bras.
Maëlys observa la scène, un grand sourire illuminait les traits de son visage, auparavant fatigué et anxieux. Elle avait oublié tout ses problèmes dès que ses yeux avaient parcouru cette lettre. Elle était aux anges: son mari avait accepté sa demande. Elle savait que tous deux avaient pris la bonne décision. Du moins, la décision qui lui semblait le mieux adapté à la situation.
Elle se prit à espérer que son bonheur puisse être éternel et que les soucis allèrent l'oublier. Malheureusement, "Chassez le naturel, il revient au galop" disait-on.
***
Aaron était retourné chez lui après avoir laissé Maëlys dans un piteux état. Il fulminait. Louis avait encore osé lui manquer de respect, à lui, le chef des Aqlairre ! De quel droit osait-il ? N'était-il donc pas son souverain ? Ne lui devait-il pas toute servitude ?
Le dieu frappa avec force le mur qui se fissura. Il frotta son poing endoloris et marmonna entre ses dents.
— Ah, Louis... Je vais me charger personnellement de ton cas, ne t'inquiètes pas. Ton comportement mérite une lourde sanction...
L'homme banda sa main en réfléchissant à un plan. Une idée commença à germer dans son esprit et il poussa un cri de victoire.
— Oh mais c'est parfait !
Aaron termina de se soigner et commença les préparatifs de sa vengeance. Il avait qu'une hâte: punir Louis pour ses effronteries répétées.
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