07. Séduction et leçons
Dimanche 8 septembre 2013
Je me réveille, assise en culotte sur mon lit de Terrienne, avec la sensation soudaine de fraîcheur. Personne n’a pu venir chez-moi pour m’enlever ma robe, celle-ci n’est pas à côté, ce qui semble confirmer l’existence concrète de l’autre monde.
Mon téléphone est accroché à mon poignet. Si un pervers est capable de m’habiller et me déshabiller durant mes absences, il est certain qu’il ne peut avoir inventé Fantou. La vérité est à deux doigts, mais j’ose à peine. Fébrile comme avant d’ouvrir un cadeau, j’hésite, terrifiée à l’idée que tout ne soit qu’une hallucination, et que je sois le jeu d’un psychopathe. Et si la photo me montrait moi errant dans la ville, prenant un selfie avec un pigeon ou une poubelle à roulette ?
Je déverrouille l’écran, puis accède au répertoire. La miniature proposée est le dernier selfie avec Fantou. Je m’empresse de l’ouvrir en grand. Je ne peux m’empêcher de lâcher un cri de joie :
— Oui !
Je tombe sur le dos de bonheur. La main tremblante d’excitation, j’observe l’arrière-plan des photos, des alpages qu’un hypnotiseur manipulateur n’aurait pu fabriquer de toute pièce. Le monde existe, Fantou existe, Jeannine existe, Dame Irène existe, les scribes existent… Sten Varrok existe !
Pour être bien certaine que ce n’est pas mon esprit qui me manipule moi-même, je partage les photos avec le groupe Rainbow Sorority. J’intitule : randonnée en montagne avec ma nouvelle best friend. Il est improbable que je reçoive une réponse à six heures du matin, un dimanche.
Le téléphone branché, je me lève d’un bond. Sten étant réel, il devient nécessaire de tout faire afin de goûter sa bouche à nouveau. Il faut que je bouscule un peu Dame Irène, que je lui donne satisfaction tout en la désarçonnant. Pour ne pas me rabaisser au niveau vestimentaire des autres, il est temps d’employer les grands moyens.
Dans le bas de mon placard, j’exhume des sandales noires à talons qui ne m’ont servies que pour des mariages. Du fond d’un tiroir, je ressuscite un string de plage que je n’ai porté qu’une seule fois parce que je voulais en faire dépasser un de mon pantalon et allumer un garçon. Dans la penderie, je retrouve une petite robe noire, portée alors que j’avais quinze ans. Elle est moulante, laisse les épaules entièrement nues. J’ai un peu grandi, du coup elle s’arrête à mi-cuisse, à la limite de l’indécence. Au moins, je serai sexy. Il me suffira de rajouter quelques bijoux pour ne pas que la vielle Irène dise que je suis habillée comme une va-nu-pieds.
Je m’assois devant ma coiffeuse, et je refais le mascara de mes yeux, puis utilise du crayon pour allonger mon regard. Je durcis le rouge de mes lèvres. Voilà, je suis bandante.
Je laisse mon téléphone sur la table de nuit pour qu’il charge. Ça m’évitera de l’oublier. Je le prendrai lorsque nous quitterons le manoir, pour prendre une photo de moi à dos de véloce.
J’avale ma dernière pilule en me rappelant que j’en ai toujours deux dans l’autre monde. J’attends que l’effet apparaisse en me recouchant. Je regarde le plafond et il se met à couler soudainement. Les gouttes me transpercent, froides mais indolore, les murs s’effondrent comme du chocolat au soleil et soudain le plafond tombe.
Je me réveille dans mon lit d’aspirante impératrice.
Fantou est là, complètement stressée.
— Ouf ! Vous êtes revenue !
Je me lève.
— Vous êtes belle !
— Oui, trouve-moi un collier qui soit superbe.
— Mais on va prendre le bain du matin.
Je laisse mes épaules retomber de désespoir.
— La vieille bique, je vais la trucider. Bon. On garde la surprise de la robe pour le petit déjeuner.
J’ôte mes vêtements, puis sors complètement nue. Fantou me suit en panique. Les autres sont en train de se faire dévêtir. Je note les traces d’un fouet sur dos de la petite courtisane de la blonde. Dame Irène jette un regard surpris, me laissant comprendre qu’elle désire une explication.
— J’ai fait la grasse mat.
— Pardon ?
— Je me suis levée à l’instant.
— Et lorsque l’Empereur vous demandera aux aurores, vous répondrez nue ?
— Techniquement, aux aurores, je serai à poil dans son lit.
Deux filles pouffent de rire. Décontenancée, elle réplique sans répartie aucune :
— Votre insolence ne fait rire que vos concurrentes, je doute qu’elle fasse rire votre futur époux, qui qu’il soit.
Je ne réponds pas. Je m’avance dans l’eau glacé en serrant les dents. Combien de temps va encore durer cette formation à la con ?
Un quart d’heure plus tard, je gagne la salle de restauration en robe courte et à talons avec une rivière de diamants autour du cou, les cheveux soigneusement repeignés par Fantou. Les filles, déjà assises, ne disent pas un mot et me scrutent de haut en bas, de bas en haut, puis de haut en bas, et encore de bas en haut.
Dame Irène en bout de table me dévisage avant de conclure :
— C’est un peu trop simpliste pour une future impératrice. J’ignore d’ailleurs ou vous avez trouvé un bout de tissu de la sorte, mais au moins vous avez écouté mes conseils pour vous mettre en valeur, et cela vous correspond bien.
Je m’assois en voyant du coin de l’œil les mâchoires des autres se décrocher. Egayée par le compliment, Fantou, se penche et me demande avec le sourire ce que je souhaite manger.
Le petit déjeuner n’aura jamais été si délicieux. L’approbation de Dame Irène est mitigée, mais bienvenue. C’est exactement ce que je voulais.
Une fois la digestion commencée, nous rejoignons la salle de classe pour un cours d’anatomie, sans nos servantes. Les pupitres individuels nous attendent toute avec un tabouret en bois haut pour nous obliger à une position semi-debout.
Irène remarque bien ma bonne humeur et décide de me calmer en déroulant une grande draperie sur laquelle une vulve ouverte est dessinée.
— Bien. Avant de passer à l’anatomie de l’homme, nous allons faire un cours accéléré pour Mademoiselle Hamestia qui n’était pas là, au cours précédent. Laquelle de vous veut nous parler de la fleur et nous donner le nom exacte de chacune de ces parties.
Je lève la main :
— Moi.
Incrédule elle questionne avec amusement :
— Vous ? Vous connaissez l’anatomie ?
— Je crois.
Elle tend sa baguette sur le dessin.
— Qu’est-ce ?
— Les petites lèvres.
— Là ?
— Le trou du vagin.
— Ceci ?
— Le clito ! Enfin le clitoris.
Elle reste un instant muette puis déclare :
— Je n’aurais jamais cru entendre un mot scientifique de votre bouche. Mais savez-vous au moins à quoi il sert ?
— Moi perso, à avoir des orgasmes.
— À déclencher le désir, qui nous permet d’humecter, et d’accueillir le sexe de l’homme. Puisque vous semblez incollable sur le sujet, vous allez pouvoir me dire ce que c’est que ça.
Elle déroule une draperie représentant un phallus pendouillant.
— C’est une bite, avec deux grosses couilles qui pendent.
Les filles éclatent de rire. Irène frappe soudainement mon pupitre avec sa canne. Le bruit nous calme toutes.
— Je ne ferai pas trop la maline à votre place. Votre connaissance prouve clairement que vous êtes une dévergondée, qui avoue sans honte se donner du plaisir solitaire. Il m’étonne même qu’avec votre caractère audacieux, vous soyez encore vierge.
J’ai envie de lui répondre que vu son caractère, elle doit l’être encore, mais je préfère me taire, tant sa colère m’intimide.
— Bien. Ceci est un pénis. Les bourses sont deux poches qui contiennent la semence que l’homme dépose durant l’acte de procréation. Si l’homme vous désire, son pénis va se gonfler et se durcir…
Elle présente ensuite un sexe d’argile en érection. J’imagine qu’elle a dû passer quelques nuits avec. J’écoute distraitement les acquiescements d’ingénues de mes rivales. Ici il y a pas de porno, rien qui ait pu entamer un peu leur culture sexuelle. Irène leur raconte comment provoquer une érection, quelles caresses peuvent éveiller un désir endormi. Jamais elle ne parle de fellation.
— … grâce au mouvement de va et vient qui procure un plaisir commun. Au sommet de son plaisir, la semence jaillie par l’orifice…
Elles s’exclament toutes d’un étonnement admiratif. Ce sont toutes des petites bourges coincées qui ne sauront pas faire face à toute l’intensité torride et sauvage dont Sten Varrok est capable. Après l’instant partagé avec lui, je sais qu’il ne cherche pas une timide coincée. Irène parle de deux positions qu’elle ne nomme pas : le missionnaire et la levrette. Moi au moins, je lui ferai tester toutes les positions et il lui faudra quelques années pour se lasser de moi.
Intérieurement je bouillonne, ce cours n’est amusant que grâce auxs réactions émoustillées de mes concurrentes. Je m’évade dans mes propres aspirations futures, me souviens pourquoi je suis ici : le beau mâle à la ramure pointue. Il me faut rester sage et obtenir le sceau.
— … Alors, évidemment, on ne peut accueillir l’homme lorsque notre cycle lunaire est dans la phase rouge. C’est pourquoi, dès les premières apparitions de sang, il vaut mieux s’isoler avec une infusion de sanguis stimula pour effacer les symptômes.
Mon attention est brutalement ramenée à son cours.
— Vous dites qu’avec une infusion, on peut stopper les règles ?
— J’ignore ce que vous appelez règles. Mais s’il s’agit des pertes de sang, non. Mais la sanguis stimula fluidifie et aide votre corps à évacuer en une petite heure ce qui vous prendrait des jours.
— Et où on en trouve ?
Les filles pouffent de rire.
— Votre mère ne vous en a jamais donné ?
— D’où je viens, on ne sait pas que ça existe.
— Soit, je vous en préparerai.
— Merci, c’est super cool.
— Bien Demoiselles, il est tant d’aller déjeuner.
Nous nous levons avec la même impatience, puis gagnons sans un bruit la salle à manger. Une fois assises, une fille s’émerveille :
— C’est incroyable que ça puisse durcir comme ça.
— J’aimerais trop voir la semence jaillir.
Deux d’entre elles grimacent, plutôt rebutées, la blonde fait celle que rien n’impressionne. Les autres partagent leur curiosité et leur bonne humeur, supputant sur les sensations que l’homme ressent. Je préfère ne pas briser leur naïveté en leur expliquant que c’est visqueux et que ça colle. Je mange donc en silence, en me demandant comment continuer à gratter de l’attention positive de la part de notre hôtesse.
L’après-midi, nous nous retrouvons à la grande salle de danse. Une vingtaine de fauteuils confortables ont été installés. Irène me dit :
— Lena Hamestia, installez-vous et ouvrez vos yeux. Vous allez apprendre ce que c’est que le raffinement. Chacune d’entre vous doit préparer une danse sensuelle, pour attiser le désir de l’Empereur. La musique sera toujours la même, à vous d’imaginer quelque chose dans ce rythme. Observez ce qu’ont préparé vos deux camarades et écoutez mes corrections. Demain, vous ferez un essai, devant chacune d’entre nous.
Je m’installe confortablement en faisant signe à Fantou de venir à côté de moi. Lorsqu’Irène la voit s’asseoir, elle dit sèchement :
— Les courtisanes n’ont pas le droit de profiter du même confort que…
— Ma courtisane va où je vais.
Le tranchant de ma voix la stoppe net. Fantou elle-même n’ose pas se lever. La vieille frissonne sous l’écho de mon autorité mais balbutie un :
— Bien. Vous n’êtes décidément pas prête pour ça.
Elle se tourne vers la scène sans demander à ce que ma courtisane s’en aille. Je viens de prendre l’autorité sur elle devant toutes les autres qui font mine de ne pas s’en rendre compte
La première des concurrentes s’avance sur scène, tandis que les servantes de Dame Irène entament une musique classique à la lyre et à la flûte. La première à passer m’ennuie, virevolte, se penche, fait des saluts, mais n’a rien d’émoustillant. Lorsqu’elle cesse, Irène lâche :
— C’était élégant, mais pas sensuel. Sensuel veut dire que toute la beauté féminine doit se faire ressentir à votre spectateur, votre époux. Vous devez être une femme, une musicienne, une danseuse, une artiste accomplie pour le séduire, pour qu’il ait envie de vous faire la cour. Galina, à toi.
La brune qui monte sur la scène a prévu son coup. Lorsque la musique commence, elle ondule sensuellement des hanches, et le tissu qui couvre son ventre tombe, dévoilant son nombril. Son ventre danse, musclé, beau. Lorsqu’elle se tourne, le haut de sa jupe laisse entrevoir le haut de ses fesses parfaites avec une telle sensualité qu’elle ne me laisse pas indifférente. Lorsqu’elle revient face à nous, son regard brûlant me fait vibrer. Elle se cambre en arrière, dévoilant le bas de sa poitrine, puis revient en souplesse, avant que ses mamelons ne soient révélés.
La danse se termine. Irène se lève, les yeux humides.
— Bravo Galina. Toi, tu sauras enflammer les désirs de l’Empereur. Tout est dans la gestuelle, dans le regard. Bien Demoiselles, veuillez gagner la salle de cours et commencer une lettre que vous imaginerez pour enflammer l’attente de l’empereur de vous voir. Galina, ta formation est terminée. Je vais te faire ta lettre de recommandation.
Nous nous en allons. Alors que mon cerveau m’envoie des morceaux de danse torride à réaliser, un plan se met en place. Ma prestation va la scotcher sur place, briser la cime de la sensualité, heurter sans pour autant me mettre en défaut. La brune va sortir d’ici avec de l’avance, peut-être rafler une courtisane dans mon village. Il est temps d’accélérer. Une des rivales peste :
— Ça ne fait même pas dix jours qu’elle est là.
— Mais elle a déjà une belle écriture. Je l’ai vu, elle a écrasé une fleur pour donner de la senteur à son dernier mot. Elle joue de la harpe, elle est parfaite.
— Sa danse était parfaite.
Je ricane :
— Attendez de voir la mienne.
Ma rivale blonde lâche :
— Toi ? Avec ta vulgarité de paysanne. Je suis déjà surprise que tu saches écrire ton nom.
— Va te branler un coup, et va chier.
— L’onanisme, il n’y a bien qu’une paysanne pour s’adonner à ce genre de pratique
Je ne pige pas le premier mot qu’elle a dit, mais j’ai saisis le sens. Je m’arrête et la regarde droit dans les yeux en lui répliquant d’un ton cinglant :
— Tu peux faire la belle tant que tu veux, mais je donnerai cher pour voir ta tête de chialeuse le jour où tu te feras dépuceler à grands coups de bites violents et que tu pisseras le sang.
— L’Empereur sera doux, il ne me blessera pas.
Je souris devant une telle ignorance.
— On saigne toutes la première fois. Irène ne t’a pas dit ça ?
Je ris pour me moquer d’elle. Le doute apparaît sur leurs visages car elles savent ma connaissance certaine dans le domaine. Je reprends la direction de la salle de cours en ajoutant :
— Et Sten, il sera violent.
J’en suis persuadée, c’est le genre d’homme qu’il faudra brider la première fois. Mais pour cela, il faut un caractère bien trempé. La blonde, restée en arrière réplique à haute voix :
— Qu’est-ce que t’en sais ?
C’est Fantou qui lui répond :
— Parce qu’elle l’a déjà embrassé, et c’était un baiser furieux.
Je pénètre dans la salle, m’installe à mon pupitre pour préparer mon encrier. La petite brune au teint hâlé, placée à côté de moi, me murmure.
— C’est vrai pour le sang ?
— Tu demanderas à la vieille… si jamais elle a déjà connu une bite dans sa vie. Mais vu que c’est une ancienne courtisane, je commence à douter.
— Et ça fait vraiment mal ?
— Je suis mal placée pour dire à quel point, mais je sais que si t’es assez excitée, ça ne dure qu’un instant. Si tu ne t’es jamais touchée de ta vie, que tu ne sais pas ce que c’est que jouir, alors le grand soir, tu n’auras que de l’appréhension.
Une autre se penche vers nous :
— Léna, tu pourras nous donner deux ou trois astuces ?
La blonde siffle :
— Elle ne vous raconte que des mensonges. C’est une rivale, vous croyez qu’elle va vous aider ?
Je me tourne vers elle :
— Sten choisira. Pas Irène, encore moins toi. Il faut mieux être un groupe de bombasses unies qui écrase toutes les autres et laisser le mec choisir, que de s’entretuer et d’échouer au tout début.
— Tu parles bien, la rouquine. Mais ta langue est plus fourchue qu’un serpent.
— Ma langue je sais m’en servir autrement.
Les autres pouffent de rire. Je me penche sur ma feuille et commence à réfléchir à ce que je vais écrire. La situation me pousse à une franchise et une vulgarité qui ne me ressemble pas, mais qui s’avère efficace. Si je parviens à briser les codes, à déstabiliser Dame Irène, elle me donnera son aval pour que je parte. Il faut que je détourne les autres filles de leur bonne éducation pour qu’Irène veuille m’éloigner d’elles.
Une lettre avec des senteurs de fleur… ben voyons. Non, il faut y mettre de la sensualité, se démarquer de tous les petits poèmes de midinettes qu’il pourrait recevoir. Déjà, rien que pour filer un petit coup de poignard à notre instructrice, il faut rappeler que nous nous connaissons. Audacieux : l’appeler par son prénom.
« Cher Sten. Il me tarde de vous revoir…. »
Non trop classique.
« Cher Sten. Il me tarde de sentir à nouveau le goût de votre langue dans ma bouche. Mon corps garde en mémoire la chaleur de votre main sur mon sein gelé par l’eau du lavoir. L’idée m’est venue d’attendre votre retour, pour vous séduire un peu plus chaque jour, apprendre à vous connaître, avant de vous abandonner tout mon être. »
Ça c’est bien, les sonorités riment entre elles.
« Mais entre deux, j’ai appris que vous étiez Empereur et recherchiez la plus rare des fleurs. Alors je me suis mis en quête, comme beaucoup d’autres, de répondre à votre grande requête. Mes fesses, mes seins, ma peau, ont la fermeté et la douceur que vos scribes recherchaient. Il n’y avait point à en douter, tant vos mains ont adoré me caresser, me faire frissonner. Alors je parcours le pays afin de trouver le soutien, qui permettrait à mon corps inexploré de finir entre vos mains. »
Ça aussi ça rime bien.
« Le soir où vous pourrez caresser le blason sur mes vêtements les plus intimes, sera celui de ma victoire. Mes doigts découvriront enfin l’homme sous l’armure. Ils caresseront chaque relief de vos muscles d’acier, puis passeront en chaque point érogène pour multiplier votre désir. Et, suspendue à votre ramure, dans la volupté de notre union torride, le sang de ma virginité enduira votre mat. »
Pas mal. Oui, un mat c’est grand, c’est flatteur. Là, la vielle ne pourra que me mettre une bonne note sur la séduction. Un guerrier ne s’amadoue pas avec des vers et du parfum de rose. Il reste plus qu’à conclure :
« Dès ce soir-là, notre union sera éternelle, et jusqu’à l’infini nos nuits seront charnelles. Votre dévouée Léna. »
— J’ai fini ! Trop de la balle !
— Déjà ? s’étonne la petite brune.
— J’ai été trop bien inspirée.
La voix de dame Irène s’exclame :
— La précipitation n’aide pas aux choix des mots, Léna. Vous devriez vous relire. Ou peut-être-même la lire à voix haute. Cela inspirera vos rivales.
— Je ne lis pas bien.
— Levez-vous et lisez.
Un silence de mort tombe, alors je me lève. Je dresse les épaules pour faire face, puis je lis mon texte à voix haute. Pas une ne bronche, pas même la vielle Irène. Je termine sans oser regarder la femme, mais en observant uniquement mes concurrentes. Avec le ton que j’ai mis, elles ont l’impression d’avoir entendu un chef d’œuvre. Rien de ce qu’elles ont pu lire ou écrire n’approchait du thème de la sexualité. Elles promettaient à leur souverain des promenades dans des jardins de fleurs, de la tendresse et de la dévotion. Notre professeure sort de son silence :
— C’est une lettre qui attirera sans aucun doute son attention. Mais vous ne lui promettez que ce que peut lui offrir une catin. Qu’en est-il de votre soutient indéfectible sur son trône, de votre rôle d’épouse.
La brune me défend :
— Mais d’un sens, il cherche la femme parfaite. Il aurait échoué dans sa quête s’il devait avoir recours à une catin pour assouvir ses désirs. Une bonne épouse doit savoir plaire également dans l’intimité de la suite impériale, non ?
— Certes, mais ce n’est pas que ça.
— Mais de toutes nos rivales, si une seule ose lui promettre des nuits merveilleuses… Il faut que nous aussi nous sortions de cette image qui nous fait ressembler à toutes les autres.
La sorcière me colle un regard noir. Une autre fille demande :
— Est-ce vrai qu’on saigne la première fois ?
— Et bien, je vous ai parlé de l’hymen qui s’ouvre pour laisser passer le pénis. C’est lui qui perd un peu de sang.
— C’est douloureux ?
Je réponds à la place de la vieille :
— Il se déchire, donc c’est douloureux.
Irène proteste :
— Tout dépend de sa solidité. Aucune femme n’est égale en ce point. Mais nous pourrons en reparler. Poursuivez vos lettres. Léna Hamestia, je ne vous retiens pas d’ici le repas, je préfère que vous arrêtiez de distraire vos rivales de leur but.
Le sourire aux lèvres, je quitte la salle de classe. Les courtisanes attendent, réunies, discutant entre elles. Fantou se décompose en me voyant sortir :
— Vous êtes chassée ?
— Non. J’ai fini avant toutes les autres et j’ai vingt sur vingt. Tu viens, on va s’amuser un peu.
Fantou arbore un immense sourire. Je n’ai pas d’idée de jeu particulière, c’est juste pour rendre jalouse les autres gamines. Je pose ma main entre ses épaules et l’invite à me suivre.
— Alors, de quoi causent les courtisanes ?
— Ben elles veulent toutes que leur maîtresse réussisse.
— Normal.
— Elles se demandent si vous n’allez pas gagner. En fait, elles ne savent pas si vous allez tout échouer ou si en fait c’est vous qui allez gagner.
Je pousse la porte de notre chambre.
— Et toi, tu penses quoi ?
— Je pense que vous faites tout de travers, mais je ne le dis pas aux autres.
— Tu as raison. Tu nous as préparé un bain ?
— Oui, je vous l’ai préparé.
— Cool.
J’ôte ma robe et mon string, lance mes chaussures d’un coup de pied à travers la pièce, puis m’immerge dans l’eau chaude. Fantou pose soigneusement ses bijoux et me rejoint avec l’éponge. Je tends la main pour la saisir et Fantou proteste :
— Mais c’est à moi de vous faire la toilette. Sinon, je ne sers à rien.
— Donne ou je te fais fouetter.
Elle obéit, presque au bord de larmes. Je passe l’éponge sur ses cheveux et lui dis :
— J’ai envie de te coiffer. Tu ne vas aller contre l’envie de ta maîtresse.
— Non, si vous avez vraiment envie.
Fantou se laisse faire, je lave ses cheveux courts, et je les peigne. Elle se détend, oublie qu’elle ne se sent pas à sa place, puis lorsque je termine, elle me coiffe à son tour. C’est tout ce que je lui autorise à faire. Cela lui convient, car en reprenant place face à moi, elle me dit :
— Même si vous perdez, ce n’est pas grave. Ça ne me dérangera pas de vous appartenir, parce que vous êtes gentille.
— Si je perds, on restera amie.
Elle sourit :
— Ça serait bien.
Je m’enfonce dans l’eau en réalisant que les autres courtisanes appartenant à leur maîtresse, se sont engagées pour la large majorité avec une perdante, peut-être tyrannique, et qu’elles seront leur propriété, sans pour autant accéder au château. Je dis à Fantou :
— Ma chorégraphie va tout définir. Soit je suis chassée, soit je repars avec le sceau de Dame Irène.
— Mais cela ne fait que trois jours que nous sommes là.
— Il est temps de battre des records. Il faut qu’on rattrape toutes celles qui ont de l’avance.
J’émerge brutalement de mon lit, nue et trempée. Putain de merde ! Déjà ? Y a toute la nuit, et je n’ai plus de pilule. Je sens encore le savon du manoir. Le doute n’est plus permis, il y a du réel dans ce que je vis. Plus de pilule, et Fantou est toute seule là-bas. Elle ne pourra pas manger si je ne me présente pas. Je vais rater le bain du matin, elle va devoir inventer des excuses pour moi, terrorisée.
Sauf que je ne pourrais pas avoir de pilule avant demain. Je dirai à la sorcière que j’ai décidé que le bain du matin est une supercherie destinée à satisfaire sa perversité.
Il faut que je prépare mon retour. Des sous déjà pour acheter des pilules. Et une chorégraphie.
Sur la table de nuit, mon téléphone est chargé. J’ai des messages suite aux photos que j’ai posté.
Siloë : On dirait qu’elle a douze ans !
Chell : Vous êtes où ?
Je leurs réponds :
Léna : Elle a onze ans. Mais on s’entend très bien.
J’enfile mon t-shirt et mon shorty, puis m’installe à mon PC. C’est parti pour de la recherche de vidéos de striptease.
Chell : C’est quoi son petit nom à ta pote ?
Léna : Fantou.
Siloë : Sérieux, genre tu nous as remplacées par une fille de onze ans ?
Léna : Je ne vous ai pas remplacées. Elle assure l’intérim.
Siloë : Ça doit être palpitant, les conversations.
Léna : Tu vas pas me dire que t’es jalouse ?
Siloë : Je ne sais pas, tu dis que c’est ta best friend !
Léna : Ce n’est pas difficile, c’est ma seule amie, puisque vous êtes parties. Mais je préfèrerai que vous soyez là, ça serait bien différent.
Chell : Mais tu l’as rencontrée comment ?
Léna : Une balade en ville. On a bien accroché. Je vous raconterai en détail un jour. Je dois préparer un examen pour demain.
Chell : Tu passes quoi ?
Léna : Danse.
Chell : ???
Siloë : Oo ?
Léna : :D
Que répondre d’autre ? Si je leur raconte en détail mon aventure, elles penseront que je me fous de leur gueule.
Si le Web ne manque pas d’une chose, c’est bien de vidéos de striptease. Je baisse le son et essaie de me souvenir de l’air joué par les serviteurs de Dame Irène. Patiente, je trie progressivement mes choix, laissant dans un onglet ouverts les vidéos abordant la sensualité, écourtant celles trop vulgaires.
Après une demi-heure seulement, je me suis imprégnée des mouvements les plus souvent utilisés. Il faut utiliser des mouvements ronds, lent et user de teasing, un effeuillage qu’on commence puis qu’on retarde. On dévoile un peu de peau et le corps parle de lui-même. Les mains montent régulièrement à la poitrine, se perdent entre les cuisses, et ça n’est efficace que si le visage évoque le plaisir. Il va falloir trouver un juste milieu pour passer pour une amante fiévreuse et non pour une allumeuse obscène.
Bien que n’ayant pas ma robe, je me place devant le miroir de ma penderie, à la lueur seule de la page de recherche blanche de mon écran. Je ferme d’abord les yeux pour me souvenir de l’air de lyre et de flûte. Une fois que mon corps ondoie, je l’observe en tentant de me séduire moi-même. Rien n’est si aisé. Parfois pas assez sensuelle, parfois trop vulgaire, je m’oblige régulièrement à fermer les yeux pour trouver le rythme. Je caresse mes cuisses, ondoie, tourne, dévoile le bas de mes fesses, reviens puis recommence. La gestuelle vient, il me manque plus que le visage apaisé qui n’affiche aucun stress. Le reste est un mélange savant entre l’air fiévreux de la chatte en chaleur et l’attitude sage de la pucelle romantique.
À force de répéter naît le stress. Le stress d’aller au-delà des limites de Dame Irène, le stress de me faire une réputation de pute. Plus je me concentre, plus je perds en naturel. C’est épuisée par la concentration que je descends les escaliers pour dîner avec ma famille. Ma mère, sans même me regarder dit :
— Tire sur ton t-shirt ou remonte ton short.
— Pourquoi ? Je fais bander Mathieu ?
— Hélène ! s’exclame-t-elle.
— Même pas en rêve, réplique mon frère.
Mon père, que la scène fait sourire, dit lorsque j’étends mes jambes sous la table :
— Je suis content que tu partages le dîner avec nous.
— Mais, ça me fait plaisir.
— Je ne t’ai pas entendu rentrer.
— Je suis un Ninja.
Ma mère passe avec le plat et hume mes cheveux.
— Et douchée. Tu nous le présenteras ?
— J’ai pris un cours de danse, je me suis douchée à la salle.
Maman fait un regard étonné, puis sert le gratin. Je demande :
— Dîtes, vous les avez mises où les affaires de quand j’étais petites.
— Dans le grand placard du grenier, répond-elle.
— Papa, je pourrais t’emprunter du Chatterton ?
— Bien sûr. Tu veux que je te répare quelque chose ?
— Non, je veux juste faire des marques au sol pour mes déplacements.
Trop fière de mon mensonge, je me redresse sur la chaise et empoigne mes couverts. Il me répond :
— Emprunte, il n’y a pas de souci.
J’avale ma première fourchette, savourant la cuisine maternelle.
— Oh ! Maman ! Tu ne peux pas savoir à quel point tu cuisines bien !
— Je suis contente de l’entendre.
Tandis que j’adopte un peu la tenue que Dame Irène attend de nous, mon frère se goinfre. Avec une certaine satisfaction, je suis contente de dormir dans mon lit. Pourvu que Fantou ne m’attende pas trop longtemps, demain.
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