14. Rivalité balayée (partie 2)
Mardi 17 septembre 2013
Je m’éveille dans la taverne, le front battant des litres de bière ingurgités. Je me suis endormie dans ma robe, les bras autour de mon sac en pensant me réveiller dans les WC du lycée. Sans doute la bière ralentit-elle le processus.
Je m’accroupis au-dessus du pot de chambre en regardant mes accompagnatrices endormies. Le bruit désagréable de mon urine les éveille.
— Dame Hamestia, marmonne Jeannine. Voulez-vous que nous nous mettons en route ?
— Oui, ne perdons pas de temps avant que je sois aspirée.
— Les filles, réveillez-vous !
Je pousse la porte en sentant rebondir contre elle ma propre haleine fétide. Le soleil perce déjà par les fenêtres de la taverne. Le patron est déjà affairé.
— Bonjour, Dame Hamestia. Voulez-vous votre petit-déjeuner.
— Ouais, je crève la dalle !
Je baille en descendant les escaliers et je ne me rappelle des bonnes manières qu’en m’asseyant.
— Désolée, je n’ai pas été très élégante.
— Une jeune fille comme vous n’a pas besoin de manières pour être belle.
J’opine du menton sans croire que c’est l’avis des femmes du village.
Une fois rejointe par mes courtisanes, nous avons fait seller les véloces, et l’apprenti-tailleur, Thomas de son prénom, s’est joint à nous. Le tailleur et le forgeron viennent d’arriver avec le plastron d’acier noir.
Il l’accroche par-dessus mon bustier, refermant des sangles dans mon dos. Des articulations tiennent des protections pour les épaules.
— Voilà, quand je vous disais que votre courage m’avait inspiré.
— Vous êtes très élégante.
— Prestigieuse, commente le forgeron apparemment très inspiré lorsqu’il a moulé la forme de la poitrine.
— Merci bien, artisans d’Ig-le-Grand. Je passerai vous rendre visite lorsque j’aurais acquis davantage de notoriété.
Je monte à dos de véloce, puis nous nous éloignons du village sous les acclamations et les encouragements. Je kiffe trop !
Aussitôt éloignés, j’arrête ma monture à l’ombre d’un arbre, puis pose pied à terre.
— Nous nous arrêtons déjà ? s’étonne Thomas.
— Les filles aidez-moi à détacher l’armure, et apportez-moi mon sac.
Fantou et Chihiro s’empressent de m’aider, puis sitôt l’échange fait, je remonte à dos de dinosaure. Je passe mes bras dans les sangles du sac. Je talonne Anaëlle. L’extincteur, la hache et le casque me semblent déjà plus lourds que mon plastron.
— Bon, combien de jour vous dites, Jeannine ?
— Nous devrions arriver au soir du troisième.
— Parfait. J’espère que ça ne va pas prendre trop longtemps, ça pèse une tonne…
Je me réveille dans les chiottes du lycée. Les couloirs sont silencieux, tous les élèves sont en cours. Je récupère ma boîte de Smarties, puis quitte les sanitaires. Apercevant un extincteur à CO2 semblable au mien, je procède à un échange. Mon père ne s’en rendra pas compte, et au moins il sera plein.
Je consulte mon agenda, l’heure sur mon téléphone, puis gagne ma salle de classe. Je frappe à la porte.
— Entrez !
Le professeur de math écarquille les yeux.
— Je peux entrer ?
— À votre âge, je ne vais pas vous demander un billet d’absence. Vos résultats parleront pour vous, je doute qu’ils soient aussi riches que votre garde-robe.
— Désolée.
Je traîne mon sac jusqu’à une place, ce qui fait rire la classe. Pendant ce temps, sur Whatsapp, les photos partent. Moi avant la chasse au dragon, moi avec la tête du dragon, les trois filles en tenue et moi avec ma nouvelle robe.
Le soir, je rentre avec la tête bombardée de connaissances nouvelles. Je suis dépitée. Je profite que mon père ne soit pas rentré pour ranger ses affaires, puis je passe près de la cuisine. Ma mère ouvre les yeux.
— Voici donc la fameuse robe !
— Ouais. Cinquante euros
— C’est du vrai cuir ! Ça sent d’ici. La tête de mort qui fume un pétard, j’aime moins.
— Moi, c’est ce qui m’a plu.
— Tu manges avec nous ce soir, ou tu disparais ?
— Je mange avec vous, et demain soir aussi.
— C’est gentil de prévenir. Et pas jeudi ?
— Non, je ne pense pas. Et après, je ne sais pas encore.
— Demain soir, ton père est au billard, et mes copines viennent pour une présentation de lingerie, ça t’intéresse quand même ?
— Bah ouais. J’ai envie de voir de plus près de la lingerie fine.
— Il y a un garçon derrière ça, j’en étais sûre !
— Maman ! Si tu savais !
— Si je savais quoi ?
— Je vais réviser.
Je monte dans ma chambre, puis regarde les réponses qui ont défilé sur Whatsapp, pendant les cours :
Siloë : De plus en plus mystérieux.
Chell : Le dragon est trop bien fait. Les décors aussi, franchement c’est chiadé. Et je kiffe ta robe.
Siloë : Il y a une taille limite pour être servante ? Sinon, moi aussi, je trouve que t’as trop un look de reine, un peu dark.
Chell : Faut envoyer plus de photo.
J’aimerais tant en prendre plus, mais il faut avouer que je suis très sollicitée. Et qu’à part devant mes partisans proches, je ne veux pas dévoiler mon téléphone magique. À moi de répondre.
Léna : C’est Ig-le-Grand, le village d’une concurrente. Elle est trop deg. En tuant le dragon, j’ai récupéré les votes de son village et la servante qu’elle voulait. Et pour répondre, oui les courtisanes ont un âge limite. Elles ne doivent pas être adultes, pour ne pas tenter l’Empereur de tromper l’Impératrice, et pour ne pas qu’une Impératrice ayant des tendances bi, tombe amoureuse de l’une d’elles.
Siloë : C’est logique.
Chell : Des femmes, il y en a partout. Si l’un des deux doit tromper l’autre, ça se fera.
Léna : Ça limite les chances.
Siloë : Sinon, tu fais quoi, là ?
Léna : Je vais à un village d’artisans forgerons dans les montagnes. Il faut que j'obtienne encore plus de soutien, et des armes pour mes gens. Plus je vais monter en réputation, moins les routes seront sûres.
Chell : T’es à fond dans ton truc.
Léna : Tous les coups sont permis. Y en a une, et je pense que c’est la pétasse d’Ig-le-Grand, qui a payé deux types pour me violer.
Siloë : Ils ont raté ?
Léna : Fantou a planté un des types avec un couteau, et moi j’ai planté l’autre.
Chell : Genre !
Léna : Sa bite est passée à quelques millimètres de ma chatte.
Chell : Y en a eu des aventures.
Siloë : Moi je veux bien toute l’histoire, ça a l’air palpitant.
Je lance une conversation audio.
— Salut ma poulette ! lance Siloë.
— Salut mes poulettes ! ajoute Cell en répondant.
— Vous m’entendez bien ? questionné-je.
— Ouais
— Ouais.
— Parfait. Alors je commence mon histoire. À vous de décider ce que vous voulez croire. Tout a commencé quand je suis allé acheter de la beuh à Victor...
Je déballe tout. Les pilules, le premier baiser, la citadelle des scribes, la tentative de viol, le vice de Dame Irène, le kif d’être ovationnée. Aucune des deux filles ne m’interrompt.
— Voilà, conclus-je.
— Quand je disais que t’étais à fond, dit Cell. On s’y croirait. Mais genre, dans la réalité ? Tu serais allée te foutre à poil pour te faire tripoter la chatte par des hommes-poissons ?
— Je ne pensais pas que ça serait si peu… intime. Mais une fois que t’y es, t’y es. Et puis Sten, c’est… C’est Sten, quoi !
— Bon, les pilules de Victor ont l’air cool. Mais comment tu fais pour les photos ? Je veux savoir !
— Soit tu choisis de croire l’histoire, soit tu chercheras longtemps.
— Moi je kiffe bien, indique Siloë. J’aimerais bien que ce soit vrai, donc je choisis que c’est vrai. Et puis, je ne vois pas pourquoi tu raconterais ça, je te connais trop.
— Merci.
— Et je veux la suite !
— J’y retourne jeudi.
— Bon ben, conclut Chell. Je vais suivre aussi avec impatience tes aventures.
Je sens bien qu’elle n’y croit pas et que Siloë y croit parce qu’elle en a envie. Elle est comme-moi, elle aime tout ce qui est fantastique.
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