38. Sœur intrépide (partie 2)

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Samedi 19 octobre 2013

J’ai enfilé mon short et mon t-shirt de nuit, pour descendre les marches en direction de la cuisine. Il me faut un café avant d’aller défiler devant les habitants de Sainte-Sophie.

— Dame Hamestia est bien matinale, se moque ma mère.

— Je vais rencontrer les gens de Sainte-Sophie, ce matin.

— Bien. C’est une grande ville ?

— La capitale du Comté des Verts-Bois. Avec leur soutien, je devrais être élue.

— Ah ah. Un café, je suppose ?

Elle s’en fout un peu, ne comprend pas tout, mais me fait le plaisir de suivre. Je mets les pieds sous la table, et tandis que la machine à expresso ronronne, une main toque à la porte. Ma mère s’éclipse de la cuisine, je ferme les yeux, rêvant au palais blanc et redoutant un peu les longues heures à converser avec les commerçants. Ma daronne s’exclame :

— Oh ! Quelle surprise ! Ce sont les vacances ?

— Oui, répond la voix de Siloë.

Ses longs cheveux bleus apparaissent, cascadant sur des épaules nues, émergeant d’une robe noire aux larges boucles de cuir. Elle s’exclame tout sourire :

— Comment tu vas ma poulette ?!

— Mais, mais… Tu ne m’as pas dit que tu venais !

— C’était une surprise. J’avais trop envie de venir à Varrokia avec toi.

Je me lève et je l’embrasse en lui confiant :

— Tu vas trop kiffer !

— Un café, Siloë ? propose ma mère.

— Volontiers.

Maman me donne mon bock puis en prépare un autre. Siloë s’assoit à côté de moi et me dit :

— J’espère que la tenue est la bonne.

— Ça devrait aller, tu feras moins tâche que moi quand je suis arrivée.

— Moi qui comptais sur toi pour ramener un peu Hélène sur Terre, confie ma mère en donnant le café.

J’octroie un regard noir à ma génitrice, mais il ne dure que quelques secondes, tant je suis impatiente de partager mon aventure avec Siloë. Je bois mon café sans m’en rendre compte et piaffe de nervosité tant Siloë prend son temps, narrant sa nouvelle vie de Marseillaise à ma mère. Lorsqu’enfin elle le termine, je lui coupe la parole :

— Tu lui raconteras un autre jour.

J’attrape Siloë par la main et l’entraîne à l’étage, jusque dans la salle d’eau. Je me coiffe, me maquille devant mon amie qui ne dit mot, puis nous nous réfugions dans ma chambre. Siloë regarde autour d’elle, cherchant un signe de passage vers cet autre monde, ou bien un indice rationnel. Je vois bien qu’elle est comme un funambule ne sachant pas de quel côté tomber. Croire ou ne pas croire ? J’enlève mes vêtements, enfile un tanga de dentelle propre, puis je m’assois sur le lit.

— Viens.

— C’est la tenue officielle ?

— J’ai ma robe là-bas. Viens. Assis-toi contre moi.

Siloë, piquée de curiosité, s’assoit face à moi et j’entremêle nos jambes dans l’espoir que cela nous permettra d’atterrir au même endroit dans l’autre monde. Je sors deux pilules de ma boîte.

— Tu en prends une, j’en prends une.

— Je suis obligée d’en prendre une ?

— Ben, c’est le seul moyen.

— Et si ça ne marche pas sur moi ?

— Ça marche avec Pauline, et ce sont les mêmes. Si jamais nous sommes séparés, tu dis que tu es Siloë Hamestia, la sœur de Léna Hamestia.

— D’acc.

— Je suis à Sainte-Sophie.

— D’acc.

Elle saisit délicatement la pilule entre deux doigts, puis en même temps, nous la portons à notre bouche. J’écrase ma poitrine contre sa robe, ferme mes jambes autour d’elle. Un lapin sort par mon luminaire, suivi d’un hérisson pourpre avec une corne de licorne.

— Sérieux ? Un hérisson-licorne ? ! m’exclamé-je.

— Oh le trip de ouf ! rit Siloë.

Les lapins et les hérissons licornes surgissent d’un peu partout. Les murs dégoulinent de champagne par le haut, et de vin sombre par le bas. Les couleurs se mélangent jusqu’au plafond puis commencent à pleuvoir vers nous, formant des lianes fines et liquides. Sur ma langue, je reconnais le goût du vin de noix.

— Ça commence à être flippant, confie Siloë.

— C’est souvent comme ça.

Les entrelacements liquides nous recouvrent de plus en plus, nous étreignent et nous coupent la respiration.


Je me réveille en sursaut au milieu du lit de la suite Eden. Mes servantes sont déjà habillées. Je cherche Siloë du regard…

— Et merde !

— Vous avez perdu quelque chose ? questionne Marianne.

— Ma sœur. Elle doit être dans un autre endroit de ce monde. La comtesse nous attend ?

— Elle n’est pas encore passée, répond Adelheid.

— Tant mieux. Vous avez mangé ?

— Oui.

— Parfait. Ma robe.

— Vous voulez votre armure ? questionne Fantou.

— Oui, on ne sait jamais.

Je m’apprête, puis nous quittons la suite. Cendre qui marche à ma rencontre me salue d’un compliment.

— Vous êtes bien maquillée, aujourd’hui.

— Je me suis dit qu’il fallait faire honneur à l’hospitalité ramienne.

— Ma mère nous attend à la fenêtre des déclarations.

Nous traversons le palais du Nord vers le Sud, puis montons des escaliers jusque sur les remparts. La comtesse en haut des escaliers nous sourit :

— Êtes-vous bien reposée ?

— Oui.

— Avez-vous préparé un discours ?

— Euh…

— Vous avez une minute pour le trouver.

Elle grimpe les dernière marches, suivie par Cendre et elles se dirigent jusqu’aux remparts, provocant des acclamations. La femme, les épaules droites, fait taire d’une main levée.

— Chers concitoyens. Habitants de Sainte-Sophie et d’ailleurs. Je viens à vous pour répondre aux rumeurs. Je suis particulièrement fière de vous annoncer que ma fille unique, Cendre Des Grisons, n’a pas échoué dans l’entreprise d’Aspirante Impératrice. Comme les scribes l’ont déjà confirmé, Cendre a rencontré une jeune femme, dont le charisme inné d’impératrice, lui a fait prendre conscience qu’elle ne pouvait pas rester Aspirante. Elle a préféré se retirer elle-même de la course, pour laisser plus de chance à cette magnifique humaine. Cette Aspirante est souvent qualifiée d’atypique, mais Cendre a pu la connaître au travers de toutes ces facettes. C’est une jeune femme qui abonde de gentillesse et de bonté pour qui le mérite, et qui déborde de courage pour affronter tous ceux qui s’y opposent. J’ai rencontré cette Aspirante hier, et aujourd’hui, je maintiens officiellement mon vote anticipé pour elle. J’espère que vous serez nombreux à la soutenir dès aujourd’hui et à le signaler auprès des scribes. Elle est soutenue par le Baron des Falaises Rouges, par les Chefs de villages de Montagnes des Collines Ventées, par le Comte et la Comtesse des Hauts-Glaciers, ainsi que par grand nombre de gens influents de Kitanesbourg. Je pense que je n’ai pas besoin de vous dire son nom, veuillez applaudir : Léna Hamestia, la pourfendeuse de dragon.

Je comprends bien que c’est à moi de m’avancer, et pas un mot inspiré ne m’est venu.

Je me présente aux créneaux, on m’acclame, on me hue, on me siffle ou on m’ovationne, je ne sais pas très bien tant les sons se mélangent. La foule est très nombreuse, les ramures forment une mer brune qui masque les vêtements colorés.

— Chers habitants de Sainte-Sophie… et les autres. Je suis heureuse de me présenter en chair et en os devant vous. Je ne suis pas habituée aux discours, et je pense que la comtesse a su résumer au mieux ma présentation. J’invite ceux qui désirent mieux me connaître à venir à ma rencontre sur le marché dans la journée.

Je les salue puis me recule. Va falloir que je m’améliore pour les grands discours. La comtesse s’exclame :

— La modestie de Léna Hamestia.

Fantou me tend mon téléphone.

— Il a fait du bruit.

Je regarde. J’ai un message Whatsapp sur le groupe des Rainbow sorority. J’ouvre et découvre un selfie de Siloë avec Sten.

Siloë : First à poster une photo avec le futur mari de Léna.

Léna : Tu captes ?

Siloë : À donf ! Mais je pense que Chell ne verra pas tant qu’on est dans ce monde. T’as vu, je suis bien tombée ?

Léna : Comme Pauline et moi la première fois.

Siloë : Il va m’escorter jusqu’à Sainte-Sophie. Je ne lui dis que du bien de toi.

Léna : N’en profite pas !

Siloë : Entre sœurs, on peut partager. LOL

Léna : La sororité a ses limites. Tu es loin de Sainte-Sophie ?

Siloë : Deux jours.

Léna : Faut que j’aille dans le Duché Noir pour trouver un alchimiste pour enlever le besoin de pilule.

Siloë : Sten dit que nos routes se croiseront.

La mère de Cendre me regarde et me demande :

— Vous semblez passionnée par votre artefact. Dès que vous serez prête, nous descendrons dans les rues.

— Désolée. Deux secondes, et je vous suis.

Léna : Cool. On se reverra dans ma chambre. Je vais faire un bain de foule. À bientôt.

Siloë : Méga bisous poulette.

Léna : Itou. Trop contente que tu sois dans ce monde.

— C’est bon, je suis là !

Je confie mon téléphone à Fantou, puis descends le long des remparts vers la cour du château. Ma garde toute entière est prête pour l’escorte. Je me positionne devant mes courtisanes, Thomas soulève notre étendard, tandis que Cendre se place près de lui. Les gens de la comtesse nous ouvrent les épaisses portes, et nous avançons vers la foule qui est restée amassée. Ils regardent passer, sans me héler, alors je m’arrête au premier étal croisé, un marchand riche en pommes.

— Bonjour. Ce sont les pommes de vos champs ?

— Oui, Ma Damoiselle.

— Je suis curieuse de goûter un fruit de la région. Je vous en prends une.

Je la déguste, lui fais un compliment, sans qu’aucun mot lui vienne en retour, donc je poursuis ma route à lécher des culs.


Deux heures plus tard, la panse au bord de l’éclatement, des étoffes et des bijoux pleins les bras de mes courtisanes, je regagne le palais, et préviens Siloë.

Léna : J’ai le bide plein à vomir. Je te dis quand on part pour le Duché Noir.

La mère de Cendre me félicite :

— Vous avez fait forte impression, vous avez été à l’écoute de chacun de ces gens, s’épate Cendre. Pourtant ils ne sont pas de votre rang.

— Ce sont des voix, et ce sont des Humains comme toi et moi… Enfin, des Ramiens.

— Je vais préparer le départ, indique Sigurd.

— Laisse-moi juste le temps de digérer.

— Combien de temps ?

— Au moins une heure.

— Très bien.

Suivie par mes cinq ombres silencieuses, j’arpente les longs couloirs blancs jusqu’au Nord. Je retrouve avec soulagement le calme de mes appartements au bord du jardin ensoleillé. Je tombe sur le lit, épuisée.

Je pense à Sten qui est sur mon chemin. S’il escorte Siloë, nul doute qu’il aura envie de me revoir. Un rendez-vous inespéré dans mon planning de coureuse.


Je me suis réveillée moi-même après une courte mais revigorante sieste. Pressée de rejoindre Sten et Siloë, j’ai rejoint la place centrale du palais.

Numéro 44 tourne ses yeux vers moi.

— Il ne vous manque plus que deux cent seize voix pour atteindre le palier qui vous octroie une courtisane. Et ce malgré que nombreux ici, avaient donné leurs voix à Cendre Des Grisons.

— Pourvu que je ne l’atteigne pas… enfin pas tout de suite.

Sigurd a un sourire :

— Prête pour le départ ?

— Oui.

— Ainsi vous nous quittez.

Je me tourne vers la comtesse qui marche aux côtés de Cendre et je présente mes excuses :

— Pardonnez-nous. Je serais bien restée dix jours de plus dans votre suite magnifique, elle est paisible et a le confort que n’offrent pas les longues chevauchées. Hélas, le temps joue contre nous, si nous voulons trouver votre ami alchimiste. Par ailleurs, l’Empereur doit croiser notre chemin pour permettre à ma sœur de me rejoindre.

— Et bien faites bonne route. Soyez très prudente.

— Ne t’inquiète pas, murmure Cendre. Nous serons prudentes.

— Es-tu certaine de ne pas vouloir rester au palais ?

— Je guiderai Léna, et je tiens à être à ses côtés pour son triomphe.

— Soit. Fais bonne route, ma fille.

Nous montons en selle, les uns les autres, puis nous nous mettons en marche. Nous avons gardé ma garde Ramienne, et nous serpentons dans les rues de Sainte-Sophie, sous le regard de mes électeurs.


Lorsque la nuit tombe, je me retrouve sur mon lit. Siloë s’exclame :

— Putain ! Comment je commençais à flipper !

— Quoi ?

— Ça fait des heures que je suis revenue.

— La première fois, c’est très court. Mais la prochaine, ça rallonge. J’espère qu’ils ne t’ont pas laissée au bord du sentier comme une vieille chaussette transparente.

— Sinon, tu leurs demanderas où j’ai disparu.

— Comment va Sten ?

— Il avait l’air pressé de me raccompagner jusqu’à toi. Et il a dit qu’il n’était pas étonné que je sois ta sœur, car ma couleur de cheveux était atypique. Mais, je comprends pourquoi tu le kiffes. Il est… whao ! C’est un monument. Quand il me regarde, j’ai l’impression que mes vêtements vont s’arracher tous seuls.

— Pas touche ! Il est à moi.

— Il ne m’a fait aucune avance.

— Je suis étonnée, mais contente.

— Qu’est-ce qu’on fait ? On y retourne ?

— Non. On va laisser passer la nuit. Il ne me reste que trois pilules.

— D’acc.

Son ventre grogne.

— T’as faim ?

— Ouais.

— Viens on va voir ma mère.

Je me lève du lit, fatiguée, puis descends les escaliers. Je n’ai aucun appétit, mais si Siloë n’a pas eu le temps de partager une ration de soldat, il est naturel que son estomac gronde. Il y a déjà cinq couverts sur la table. Mon père sourit :

— Tu as fait sortir Hélène de sa chambre ?

— Comme vous voyez.

Ils échangent une bise, puis ma mère s’égosille :

— Mathieu ! À table !

— Vous saviez que nous serions de retour pour manger ?

— De retour d’où ? De Varrokia ? se moque mon père.

— Ouais, j’ai rencontré le futur époux de Léna.

Elle montre le selfie qu’elle a pris. Mon père perd son sourire :

— C’est donc à ça qu’il ressemble. Il a quel âge ?

— Soixante-neuf, tranché-je.

— Elle est amoureuse, c’est ce qui compte, me défend Maman.

— Franchement, en vrai, il est super charismatique, ajoute Siloë.

Pendant que Siloë le décrit, je repense à ce mot : « amoureuse. » Je ne sais pas si je le suis. Charnellement attirée, sexuellement aimantée… mais amoureuse… C’est un mot bien trop fort pour le moment. Je ne connais Sten que de sa réputation et de quelques entretiens dans lesquels chacun a joué avec l’autre. Nos échanges ont été amusants, excitants, mais il ne laisse entrapercevoir rien d’un avenir commun.

Couchée contre Siloë dans mon grand lit, je me confie :

— Et si je ne tombais pas amoureuse ?

— Je croyais que t’étais grave love de lui.

— Ouais, mais pas amoureuse. Juste séduite, charmée. J’ai envie de le kène, mais après. Dans un an, quand j’aurais fait tout le Kama Sutra ? Est-ce qu’on sera encore attirés comme ça ?

— Tu ne peux pas savoir. Vous ne seriez pas le premier couple.

— Faudra que je joue la femme parfaite ?

— Tu le tues et tu deviens Impératrice et tu te fais un harem.

— T’es conne, ris-je.

— Tu doutes parce que ça fait longtemps que tu ne l’as pas vu. Demain sera un autre jour.

Elle dépose un baiser sur ma joue, mes yeux se ferment, et mon avenir guide mes rêves.

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