50. Opération désert

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Mercredi 14 novembre 2013

C’est le matin. Je porte mon plastron habituel. Malika ne veut pas que ma tenue soit révélée à mes concurrentes. Siloë termine de me maquiller. Comme elle le dit :

— Quand on n’a pas les yeux envoûtants de Pauline, il faut tricher.

Malika m’explique :

— Thomas et Cendre restent au château pour préparer la tenue pour les Duchés suivants. J’ai demandé aux danseuses de venir. Nous demanderons au Duc et à la Duchesse de juger leur chorégraphie en préparation pour l’Empereur. Ils sont très friands de spectacles, et attachés aux traditions. Pour le reste, il faut être toi-même et mettre en avant ta bonté.

— Ma beauté ou ma bonté ?

— Les deux, réplique Siloë. J’ai fini.

Je me lève, fais rouler mes épaules alourdies par l’armure, puis me mets en route. Ma briève escorte est dans la cour. Magdeleine, fille du Baron des Falaises-Rouges, qui gère les danseuses, est du voyage.

— Prête pour la représentation ? demandé-je.

— Un peu exténuée. Nous l’avons modifiée selon les conseils de Malika. Je vous promets que les filles feront de leur mieux.

— Je vous fais confiance à toutes.

Mes courtisanes, mes éternels soldats sont prêts, les véloces sont nerveux. Il est temps de nous mettre en selle. Je demande à Siloë :

— Tu as vue Chell ?

— Elle est déjà partie.

— Bon ! En route !

Un peu plus d’une heure plus tard, notre cohorte parvient au portail tenu par un alchimiste. Nous le franchissons, puis nous retrouvons dans une grotte à l’atmosphère tiède, près d’un lac souterrain. La lumière du jour nous parvient par la large ouverture donnant sur le désert. Malika donne aussitôt ses ordres :

— Déployez le paravent.

Les soldates femmes sautent de monture et déploient aussitôt des tringles sur lesquelles sont accrochés de grandes rideaux noirs. Elles forment un cercle et restent bras tendus au-dessus de leur tête.

— Allons vous changer, suggère Siloë.

Vous signifie moi et les courtisanes. Nous passons à l’intérieur de la cabine d’essayage. Siloë me tend la tunique de soie dorée. Alors que je me déshabille, elle me fait signe d’enlever mon tanga. J’enfile alors le saroual léger directement sur ma peau. Il est très inspiré par Disney. L’échancrure au niveau des reins est telle qu’elle forme un V qui met en valeur mon ventre, presqu’à en dévoiler mon mont devant et ma raie culière derrière. Le haut n’est qu’un cache-poitrine presqu’aussi indécent. Le V est à l’envers et il n’offre aucun maintient à mes seins. Mes bras et mes épaules restent complètement nus. Je m’orne de bracelets dorés, de mon diadème et d’un rubis attaché à une chaîne sous mon plexus. Je ne porte plus aucune touche de noir, uniquement du doré.

— Voilà, une vraie princesse.

— Je transpire quand je monte Anaëlle. On va voir mon cul à travers le tissu.

Les courtisanes pouffent de rire. Elles n’ont le droit qu’à un pagne doré, des bracelets de chevilles et de poignets, ainsi qu’un collier ras du cou duquel part un cache poitrine très fin. Lorsque je quitte la tente, je sens bien les regards de chacun sur moi, tant des femmes, que des hommes. Sigurd me dit :

— Tu sais t’adapter à toutes les situations.

— Vous êtes encore plus belle que Pauline Du Désert ! renchérit Jeannine.

— J’ai la peau blanche et je n’ai pas son air candide.

— Tu fais plus mature, donc plus désirable, indique Sigurd.

— Tu es d’une beauté à couper le souffle, promet Siloë.

Elle m’embrasse sur la joue. Un peu réticente car craignant de transpirer, je remonte à dos de véloce. Ma garde rapprochée a ôté ses heaumes pour paraître moins menaçante, et je perçois bien le regard des quatre femmes sur mes reins. Un peu plus agacée que flattée, je talonne Anaëlle.

Nous sortons sous le soleil de plomb. Sans crème solaire, moi et mes courtisanes allons brûler. Quelle idée idiote ! Je vais arriver plus rouge que blanche au palais.

Après un peu moins de deux heures, grimpant régulièrement sur mes étriers pour maintenir l’air chaud du désert sur la simili-soie trop légère qui enveloppe mes jambes, c’est avec les quadriceps douloureux que nous parvenons à la cité ducale des Éternels-Brûlants. Les rues sont bâties d’un peu de pierres et beaucoup de toiles colorées. Les gens ont le teint halé, leur accueil est enthousiaste. Je craignais que l’ombre de Pauline réfrène quelque peu leur hospitalité, mais ce n’est pas le cas. Comme Malika disait, je suis peut-être la future Impératrice, ils veulent donc se montrer sous leur meilleur jour.

Je mets pied à terre, mes chaussons dorés dans le sable, bien avant les portes du palais pour aller à leur rencontre. Ma garde rapprochée stressée quitte également les étriers pour rester à ma hauteur. Les autres soldats se placent stratégiquement, prêts à intervenir.

Il me faut plus d’une heure pour parvenir aux portes du palais blanc, semblable à celui du comté des Verts-Bois. Les murs sont hauts, des toitures en toiles colorées égayent le site.

Le Duc et la Duchesse, des cornus, viennent à ma rencontre, dans des tenues légères et blanches. L’homme s’exclame :

— Dame Hamestia ! Soyez la bienvenue entre nos murs.

Je capte le regard de la Duchesse qui s’étonne de voir Zélia et qui lui adresse un regard affable. Son mari me tend la main pour que je pose mes doigts.

— Permettez-moi de vous dire combien votre beauté me surprend.

Je décide d’encenser leur choix premier :

— Vous êtes bien trop flatteur. Je n’ai pas le charme de Pauline. Moi-même sa beauté me met en émoi. La première fois que je l’ai vue, j’ai cru sentir ma destinée rouler sous mes pas.

La femme s’adresse à ma conseillère :

— Malika, quelle joie immense de vous voir parmi nous. Nous avons reçu votre père il y a peu. Il m’a dit que vous ne sembliez pas déçue de votre sort.

— Et bien, je sais masquer mon désarroi face à la foule, mais croyez bien que j’ai versé plus de larmes qu’il n’en faudrait pour faire verdir votre Duché. — La duchesse ricane. — Il serait malhonnête de ma part de mentir sur ce point. Toutefois, la place que m’a octrôyée Dame Hamestia à ses côtés était inespérée. Aujourd’hui, je suis persuadée qu’elle est la seule à mériter la place d’Impératrice.

— Je serais curieuse d’entendre vos arguments.

— Si nous en discutions à l’intérieur, propose son mari. Nos serviteurs vont aider vos gens à s’installer. Nous avons préparé un buffet de fruits frais pour votre venue.

— Merci beaucoup.

Nous avançons vers le palais. Mes servantes, Siloë et Malika avec moi. La Duchesse, titillée par Malika demande tout en marchant :

— Qu’est-ce qui donne plus de mérite à Dame Hamestia qu’à Pauline ?

— Et bien, ce n’est pas une question de beauté. Chacune est une figure différente d’élégance et de charme, tant et si bien qu’on ne peut les départager ainsi. Et ce n’est pas pour vous flatter, mais il est vrai que Pauline est aussi belle qu’envoûtante. Même l’Empereur semble captivé face à elle. Léna Hamestia se distingue de toutes les autres par son caractère. Et les intéractions qu’elle a avec l’Empereur sont très différentes…

Nous parvenons dans une grande salle au plafond fermé par de grandes voiles colorées. De cordages et des poulies permettent de diminuer et d’orienter leur couverture. Le soleil traversant les tissus, donne une atmosphère apaisante. Des fruits frais et des céréales couvrent en abondance une grande table basse.

Nous nous plaçons autour, pendant que Malika illustre ses éloges à mon attention. À chacun de mes gestes, je prends garde à rester parfaite. Pas de grimace, pas de grattage de tête.

Après d’abondantes discussions, le soir tombe sans prévenir, et je propose à mes hôtes de découvrir le spectacle que préparent mes danseuses pour les Empereurs. Je leur dis que Malika m’a fait part de leur expertise dans leur domaine et que je serais honorée de recevoir leurs conseils.

Les voiles colorées sont repliées, la lune illumine au-delà des lampes multiples et nombreuses qui surplombent un bassin d’ornementation. Les huit danseuses prennent place, vêtues de robes complexes noires et rouges. Le groupe de musicien commence la musique.

C’est doux, délicat et envoûtant. Magdeleine elle-même finit par apparaître au milieu des danseuses et ouvre grand ses ailes magnifiques. Sa jeune sœur peine à contenir sa joie et émet un couinement d’excitation.

Le ballet devant s’inscrire dans le spectacle de mes concurrentes, il dure à peine plus d’une demi-heure. Il n’en faudrait pas plus. Ne m’étant pas intéressé une seconde à leur préparation, je ne m’attendais pas à un tel érotisme. Les pièces de tissu noir tombent au fur et à mesure, ne laissant que du rouge, léger et audacieux, des jambes et des ventres nus. Les étoffes se détachent et se déroulent au fil de la chorégraphie. Les filles finissent par danser en tenant les grandes écharpes de soie les unes pour les autres. Si lorsqu’elles tournent le dos, leurs fesses musclées et nues sont à demi-dévoilées, de face, c’est un calcul savant qui évite qu’à chaque pas, la pointe d’un sein ou la toison d’un pubis ne soit montré.

Elles finissent en tournant sur elle-mêmes s’emprisonnant les unes avec les autres dans un cocon de bandeaux rouges. Les ailes de magdeleine se referme autour de ses partenaires, et la musique s’amenuise jusqu’au silence.

Le Duc appalaudit chaleureusement. La Duchesse me dit toute abasourdie :

— C’est d’une sensualité jamais vue !

Le cœur tétanisé par l’émotion, je balbutie :

— Je vais demander à Magdeleine de venir vous parler de son projet.

Je tapote le genou de Marianne pour qu’elle aille voir sa grande sœur. Les filles ramassent pudiquement les étoffes noires sans se dévoiler, puis se dissimulent derrière les plantes. La Messienne revient ensuite avec elles.

— Je vous présente Magdeleine qui a conçu le spectacle.

— Quel inspiration ! lance le Duc. Et quel rythme ! Jamais un tissu ne tombe, jamais rien n’est montré, alors qu’on le sait, vous évoluez en parfaite nudité ! Je ne sais pas qui vous a poussé à tant d’audace !

— Et bien, pour dire vrai, Dame Hamestia m’a beaucoup inspirée. Ce que j’ai ouï sur sa manière de séduire m’a vraiment inspirée. Ensuite, nous avons beaucoup travaillé entre nous et dernièrement face à un large miroir pour parvenir à la perfection.

— Les Empereurs vont être subjugués !

Je souris :

— Si j’avais su cette danse tant aboutie, je n’aurais peut-être pas demandé votre avis. Je ne voudrais pas que vous envoyiez un message à Pauline.

La Duchesse rit :

— Le spectacle de Pauline est tout autre.

— Dîtes-moi, comment pensez-vous l’améliorer ?

— Rien à changer, indique le Duc.

La Duchesse a la libido moins agitée et donc répond :

— Et bien, vous pourriez être au milieu des danseuses. Pauline fera son spectacle avec ses danseurs.

— J’aurais trop peur qu’un accident me dévoile, éludé-je. Et nous n’aurons pas le temps de m’y préparer.

— Sinon, je pense qu’il manque quelque chose qui vous caractérise. Le spectacle doit réfléter qui vous êtes. Nous sommes dans une sensualité et une audace qui peut-être vous caractérise. Mais on ne devine pas qu’il s’agit de vous. Si on montrait le spectacle aux Empereurs, sans leur dire quels danseurs appartiennent à quelle Aspirante, comment le devineraient-ils ?

— C’est un très bon conseil, lui dis-je.

— J’avoue avoir modifié les tenues, indique Malika. Magdeleine avait déjà une idée en cachant le visage de chaque danseuse derrière un masque lugubre.

— Nous pouvons trouver quelque chose de plus subtil, reconnaît Magdeleine.

Pas de dîner. Je rejoins l’une des chambres des plus hautes tours. Des voiles servent de paravent tout autour, mais le ciel étoilé est découvert. La ville a éteint toutes leurs lumières. Mes courtisanes dorment, exténuées. Je cherche la Grande Ourse, mais elle n’existe pas dans ce monde. Il semble y avoir deux étoiles du berger.

Je suis certaine d’avoir tapé dans l’œil du Duc et de la Duchesse, mais pas de les avoir convaincus que je valais mieux que Pauline. Siloë entre puis s’allonge à côté de moi.

— Ça va Poulette ?

— Ouais. Je cherche des constellations.

— T’es sur une autre planète.

— Autre planète ? Autre monde ? Je ne sais pas.

— Tu sais quoi ?

— Non.

— J’ai embrassé Frithjof et Haldor.

— Les deux ?

— J’ai organisé un concours. Leurs potes ont deux jours pour élire lequel me mérite le plus.

Je ris à cette inversion de situation :

— Tu n’as pas exigé que les participants soient vierges ?

— Non. M’en fous un peu. Je suis trop impatiente de savoir lequel va avoir le plus de voix. — Je ris. — Et t’as regardé Whatsapp ?

— Je ne regarde jamais puisque tu es là.

— Chell nous dit de ne pas rentrer trop tard. Il faut qu’elle nous briefe pour le Duché Noir.

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