53. Gang de rouquines (partie 1)

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Dimanche 18 novembre 2013

J’aurais bien aimé revoir Sten avant de partir, dîner avec lui, même en présence des autres aspirantes, juste pour analyser son regard, savoir s’il y a de l’aigreur envers moi, ou si ces deux jours ont effacé sa déception.

Mes courtisanes ont enfilé le pagne doré qu’elles portaient pour les Eternels-Brûlants. Un collier de bois au ras du cou remplace l’anneau de métal, et il soutient une toge composée de feuilles dentelées de tissu vert. À six, elles essaient de refermer le corset que Thomas a fabriqué avec un entrelacemenet de branchages souples semblables à du noisetier. En vain, leurs mains appuient dans mon dos et le bois s’enfonce dans ma poitrine. Siloë et Malika entrent à cet instant dans ma suite.

— Alors ? s’enquiert Siloë.

— Il est trop petit, protesté-je.

— Mais non ! Je l’ai essayé. C’est juste que les branches sont souples, faut forcer.

La piecette de tissu glisse et mon téton se coince entre deux branches.

— Aïe !

— On recommence, ordonne Siloë. Faut relever les seins avant !

Je tiens à deux doigts les pièces en forme de feuilles devant ma poitrine, et Fantou et Mala repositionnent mes seins dans le corset. Siloë aide Zélia à plier les branchages pour les attacher avant de s’exclamer :

— Ça y est !

Les branches prennent leur courbure et mes seins s’installent. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus agréable à porter, mais il faut admettre que ça a du style. On y reconnaît la patte de Thomas qui semble aimer les nombrils nus. Une grande jupe verte tombe devant mes jambes, arborant mon emblème brodé de fil d’or. Un entrelacement de branchages enveloppe mon mollet. La poitrine reste nue, visible entre les branchages, et ses pointes ne sont masquées que par les pièces de tissus placées comme des feuilles d’arbre sous le bois. Une fleur factice en tissu doré repose au coin d’une épaule. Les cheveux détachés et coiffés, les yeux à peine maquillés, aucun bijou de métal n’orne ma chair.

— Ce ne sont pas mes couleurs, constaté-je.

— Oui, reconnaît Malika, mais ce sont celles de Duc et de la Duchesse des Hauts-Ligneux, ça les flattera. Leur fille, Tatiana fait partie des éliminées, il faudra donc les charmer par tous les moyens.

— Elle avait treize ans et demi, trop vieille ? me moqué-je.

— Quatorze ans.

L’âge évoque le souvenir d’une conversation avec Sten. Je mets de longues secondes à rassembler mes bribes de souvenirs. « Ce pendentif est un gage de Tatiana une fille du duché des Hauts-Ligneux, la tignasse rousse comme le soleil l’été, la peau douce comme la soie et elle sent bon la mousse des clairières. Et de vous, je n’ai aucun gage d’amour. »

— La tignasse rousse, la peau douce qui sent bon la clairirère ? questionné-je.

Siloë et Malika écarquillent les yeux. Ma conseillère acquièsce :

— Elle est rousse, en effet. Pourquoi ?

— Sten portait un pendentif de sa part. Et un bracelet par Johanna du comté des Planes-Prairies. C’est de chez toi ?

— Oui. Johanna était ma principale concurrente. Elle n’était pas de descendance noble, mais la baronne Louibierès l’a pris sous son aile.

— Quatorze ans, aussi. Son simple regard suffit à fêler l’armure de Sten. Il a quand même des faiblesses pour les gamines. C’est bien que t’aies été élue.

— Johanna est tombée amoureuse d’un garçon avant l’élection et elle s’est enfuie avec lui.

— Après avoir offert un gage d’amour à Sten ? ricané-je. Quel dommage ! Bon, ben nous sommes partis !

J’enfile une grande cape noire pour cacher ma tenue, puis quitte la chambre.


Nous parvenons à temps pour l’heure du portail. Kalia nous a précédées vers un autre duché. Nous autres prenons sa place pour nous rendre au duché qui l’adule. Le portail nous conduit dans une forêt aux arbres immenses qui n’est pas sans me rappeler le comté des Verts-Bois. Pour cause, le duché est frontalier. J’ôte ma cape pour savourer le soleil qui inonde la clairière. Nous nous enfonçons dans les bois, et après moins d’une heure, les arbres se font plus espacés, la lumière moins rare. Je papote avec Siloë, mêlant des rappels à nos origines à des constats sur ce que nous vivons. Elle kiffe ce monde autant que moi, elle s’est habituée aux commodités plus rustiques et elle trouve un sens à sa vie. De toute manière tant que nous sommes entre meilleures amies, aucun monde n’est véritablement invivable.

La ville ducale se situe sur une falaise. Un large pont permet de traverser un gouffre béant au-dessus de la vallée, profonde de peut-être mille mètres. Les éoliennes tournent rapidement, agitées par le vent. Des arbres de taille normale poussent entre les différents rangs de remparts bâtis à flancs du précipice. Comme toutes les cités importantes, exception faite de Varrokia, les châteaux sont bâtis de pierre blanche. Je partage ce constat que les villes ducales sont bien plus accueillantes que le château impérial.

— Varrokia a toute une histoire, explique Malika. Elle a eu d’ailleurs beaucoup de noms, et la magie imprègne chaque pierre de la forteresse.

Le pont traversé, nous pénétrons dans les faubourgs. Ma garde rapprochée se place de manière à ne pas me dissimuler, mais à être à ma hauteur en deux enjambées de véloce. Je ne me sens nullement menacée, mais c’était également le cas dans l’embuscade des Verts-Bois. Les armures des quatre femmes qui m’escortent sont impressionnantes et semblent refroidir un peu les gens. Je salue donc la première.

— Holà ! Gens des Hauts-Ligneux ! Il fait beau chez vous !

Quelques mains se lèvent, et j’avance en forçant mon sourire, mise mal à l’aise par cette tiédeur. Au moins, dans le Duché Noir, c’était clair, les citadins n’avaient rien à faire de moi.

— Quel beau corset ! lance une voix d’homme.

Je repère le marchand d’armes et fais obliquer ma monture jusqu’à lui. L’hésitation et la méfiance se dessine sur son visage. Je glisse d’Anaëlle.

— Merci, marchand. J’ai eu un peu de mal à l’enfiler.

— Ah…

— Que vendez-vous comme armes ?

— Principalement des arcs. C’est ma spécialité.

— Montrez-moi. — Je me tourne vers les Messiennes. — Archères ! Venez apprécier la qualité des arcs de cet artisan.

Il bredouille, un peu décontenancé de l’approche frontale. Je l’oblige à me parler de son métier. En bon passionné, il nous garde dans sa boutique plus d’une demi-heure. J’ai bien compris au regard dubitatif des Messiennes que ni la qualité, ni l’esthétisme ne sont au rendez-vous. Toutefois, je les oblige à faire des compliments, et à me demander de leur en acheter un.

Les autres commerçants, rassurés par la bonne humeur qui nous accompagne, animent alors notre trajet jusqu’au château. Mes partisans sont rodés à la flatterie. Bien plus qu’aux Eternels-Brûlants, il nous faut deux heures d’hypocrisie appliquée avant d’atteindre notre destination.

Une fois le pavé gravi jusqu’au cœur de la citadelle, nous parvenons à la place où nous attendent le Duc, la Duchesse, leurs deux fils et leur fille. Une belle brochette de rouquins plutôt grands. Comme toujours, c’est le patriarche qui prend la parole :

— Soyez la bievenue, Dame Hamestia, vous aussi Siloë Hamestia, et Malika des Planes-Prairies.

— Merci bien.

Je pose pied à terre avec les autres. La fille a beau avoir quatorze ans, elle me dépasse d’un front. Le Duc reprend :

— Laissez moi introduire mes fils : Jules le Sage, Maxime l’Aguerri. Ils sont l’avenir de notre Duché, ceux qui feront le pont entre l’Empire et les familles des Hauts-Ligneux.

— Ravie et votre fille ?

— Tatiana l’Apaisée.

— Tatiana ? J’ai beaucoup entendu parler de vous.

— Par Kalia ? s’étonne l’adolescente.

— Non, par Sten. Nous avons souvent eu le loisir de parler, nous sommes un peu comme un frère et une sœur l’un pour l’autre. Il ne quitte pas un pendentif qui lui a été offert par Tatiana. La tignasse rousse comme le soleil l’été, la peau douce comme la soie et qui sent bon la mousse des clairières, ça doit être vous.

La lèvre de l’adolescente tremble et ses yeux s’humidifient.

— Ce doit être une autre Tatiana, glisse la Duchesse.

L’adolescente s’enfuit soudainement. Me forçant à ne pas sourire, je bégaie :

— Je ne pensais pas blesser. Qu’ai-je dit d’offensant ?

— Ne vous inquietez pas, me rassure le Duc. Nous avons organisé une élection entre les douze filles des Hauts-Ligneux, et Tatiana a du mal à accepter que Kalia l’ait emportée. C’est le jeu de toute élection.

— C’est vrai, admets-je. J’espère que ces élections n’ont pas jeté un trouble sur les Hauts-Ligneux.

— Avec les scribes, pas de triche, ajoute la Duchesse. Cela évite tout mal entendu et toute accusation. Nous sommes des familles très unies, et je suis personnellement ravie que ce soit Kalia, comme ça aurait pu être Tatiana.

— Vous m’envoyez rassurée, j’avais peur d’avoir ravivé de la rancœur ou du malaise.

— Nenni. Mais venez donc. — J’emboîte le pas de la Duchesse. — On m’avait dit que vous étiez rousse, mais je ne pensais pas que ce serait d’un roux si vif et atypique.

— Ah ! C’est une couleur chaude que j’aime bien.

— Votre tenue est très originale, très seyante.

— Mon tailleur a des idées très variées et originales. Je vous confie que contrairement à ma chevelure, le choix de cette tenue a été fait pour vous plaire. Je suis donc fort aise que vous l’appréciiez.

Midi approchant, nos hôtes nous invitent directement à un banquet. Toutes les baronnies de la lignée sont présentes. Il y a donc toutes les autres prétendantes au trône présentes au banquet. Au regroupement de dix d’entre elles commérant à messes basse, je devine lesquelles ont passé la sélection de la citadelle. J’ignore ce qu’elles marmonnent sur moi et il me brûle d’aller me planter dans leur conversation. Il ne me vient pas le temps de trouver une réplique cinglante. Je fais la tournée des salutations et je ne retiens aucun nom de ceux qui me sont présentés. Les parents de Kalia sont ici. Sa mère est particulièrement belle, et je ne m’étonne pas que ce soit sa génétrice.


À table, la Duchesse dit :

— Et Dame Hamestia est proche de l’Empereur, comme un frère et une sœur.

— Ah ? s’étonne un barbu. Et vous vous sentez prête à épouser votre frère ?

Je souris à leurs rires idiots, puis je dis :

— C’est plus une relation de confidence, un peu pimentée de jeu.

— Pour être pimentée, je confirme qu’elle est pimentée, sourit Siloë.

— C’est vrai, renchérit Malika, que Léna entretient une relation assez particulière avec l’Empereur, un peu intimiste.

Un malaise naît sur les visages et une femme pose une question idéale pour que je rebondisse :

— Et il se confie beaucoup à vous ?

— Pas sur tout, mais il m’a parlé beaucoup des aspirantes dont il attendait beaucoup. Sutout au début de notre rencontre où je n’étais qu’une rouquine au milieu de la foule. Sten était très attaché à certaines soupirantes. Notamment, j’en parlais à Malika, Johanna des Planes-Prairies. C’était un joyau sorti de la fange, une fille de nulle-part qui le charmait. Il portait un bracelet qu’elle lui avait offert. Il a été très peinée d’apprendre sa fuite. Et il y a eu Tatiana dont la peau douce au parfum de clairière l’avait littéralement envoûté. Il me montrait son pendentif chaque fois pour rappeler que j’avais affaire à forte concurrence. Je ne me souviens plus dans quel duché elle se présentait, mais je sais que ça lui a fait quelque chose qu’elle ne soit pas présente en finale. Enfin, comme il me le dit : le destin, en effaçant toutes celles qu’il jugeait dignes d’intérêt, m’ouvre la route vers lui. Non pas que Kalia ne soit pas digne d’intérêt, ne vous offensez pas. Elle est, je pense la seconde plus jolie.

— Après vous ? glisse le barbu avec un rictus.

— Non, après Pauline du Désert.

— Ah, ça ne m’étonne pas, grommèle une femme.

— Pauline a deux ans de plus, c’est normal qu’elle suscite un peu plus d’attrait. Rassurez-vous, Kalia génère beaucoup de bienveillance de la part de Sten, il cherche beaucoup à la ménager à la suite des épreuves.

— C’est vrai, confirme Siloë, que c’est la seule dont il s’inquiète, à qui il demande comment ça va, et tout.

— Normal, il prend autant de précaution. Comme il nous l’a dit hier, c’est plus une enfant qu’une femme.

— Ça, je l’avais dit, glisse la Duchesse à ses invités.

— Nous n’allons pas revenir sur le vote, déclare le père de Kalia.

— Non, concède le barbu. Elle a la beauté qu’attend tout peuple d’une Impératrice. Cela la rendra célèbre.

— Voilà, renchéris-je. On ignore encore comment le peuple votera, cela a plus d’importance que la manière dont Sten la considère. S’il ne la désirait pas pour épouse, il l’aurait disqualifiée.

— Et elle saura charmer les familles des empires voisins, j’en suis sûre, ajoute Malika.

— Je dis juste que d’autres avaient plus de maturité, insiste la Duchesse, ça aurait peut-être été un bien. D’ailleurs, à discuter avec vous, Dame Hamestia, on a l’impression de parler à quelqu’un de plus expérimenté, et c’est une chose indispensable dans les échanges avec les duchés comme avec les empires voisins.

— La place d’une impératrice n’est pas aux échanges politiques, grommèle un homme austère.

— Ah, je vous arrête ! interviens-je. L’impératrice représente malgré elle ses gens. Il faut qu’elle sache tenir sa place, et avoir de la conversation quand on lui en demande.

— Je partage ce point de vue, indique Malika.

— Moi aussi, conclut le Duc. Nous ne reviendrons pas sur notre vote, il ne nous est pas possible.

— Il n’est pas possible pour ceux qui soutiennent Kalia, souligne Malika. Mais pour ceux dont l’élue a été évincée, ils pourront choisir une nouvelle représentante.

Nombreux opinent. En lisant les visages approbateurs, je réalise que chacun ici a dû voter pour sa propre fille. Dans le lot, seuls ceux qui n’ont que des fils ont dû faire pencher la balance en faveur de Kalia. Je frappe une fois dans mes mains.

— Bien. Puisque vous semblez lancés sur le sujet, dîtes-moi ce que représente une Impératrice pour vous, ce qu’elle doit être. Si jamais je suis élue, j’aimerais remplir au mieux votre vision et garantir la paisibilité de nos échanges.

La conversation est lancée.


Durant les heures qui suivent, les rancœurs à l’encontre du résultat émergent ci et là. Jeunes parents et plus vieux représentants de la famille du Creux-Suspendu, s’écharpent dans des piques dissmulées en flatteries. Il n’y a pas que les parents de Tatiana qui se sentent lésés. L’alcool délie les langues, et aiguise les propos. Chacun estime avoir perdu quelque chose, malgré que dans tous les cas, si Kalia est élue, l’honneur retombera sur leur famille toute entière. Dans mes réponses, j’essaie de tirer mon épingle du jeu, de me faire remarquer positivement, soutenue régulièrement par Siloë et Malika

La soirée est longue, et les précautions que je porte à chacune de mes réponses me fatiguent autant que l’oreille que je prête aux grommèlements des uns et des autres. Cela me permet de rebondir sur leur mal profond sans donner l’impression de les avoir entendus.

Lorsque la soirée touche à sa fin, je gagne les quartiers qui me sont réservés, plus fatiguée qu’après n’importe laquelle des réceptions auxquelles j’ai assisté. Siloë me fausse compagnie.

— Je vais compter les points de l’élection entre Frithjof et Haldor. Tu veux venir ?

— Je suis crevée. Amuse-toi bien.

Siloë n’affiche pas de grande déception. Après tout, ma présence pourrait intimider l’électorat de ses prétendants. Lasse, je passe le rideau de perles donnant sur un balcon, et j’observe les étoiles, aussi belles et nettes que dans le désert des Eternels-Brûlants.

— Vous êtes malade ? s’inquiète Fantou.

— Juste très fatiguée. Ne reste pas là, tu vas prendre froid.

— Vous aussi.

— Dame Léna ? appelle la voix de Mala. Il y a une fille qui veut vous voir.

— C’est Tatiana du Creux-Suspendu, ajoute Adelheid.

— Regarde si elle n’a pas d’arme, et qu’elle vienne.

La grande rouquine se laisse fouiller, puis passe le rideau de perles. Mes courtisanes s’éclipsent poliment.

— Excusez-moi de vous déranger si tard.

— Si c’est important, je peux excuser.

— Non. Je… Je voulais que vous me disiez ce que le seigneur Varrok pense de moi.

Elle baisse le regard, un peu timide, ou déjà persuadée d’être devant l’Impératrice. Ma migraine me donne l’unique envie de l’envoyer balader. Pourtant, la faire rejoindre mes partisans pourrait sérieusement déstabiliser l’unité de la famille du Creux Suspendu. Elle me confie timidement :

— C’est moi qui lui ai offert le pendentif.

Elle n’ose pas lever les yeux. Je passe ma main sur sa joue pour pousser ses cheveux derrière son oreille et lui sors une banalité :

— Il te trouve très belle.

— C’est vrai ?

— J’avoue avoir été jalouse quand il m’a montré ton pendentif. Moi, je ne lui ai jamais rien offert.

— Est-ce que vous pourriez lui remettre un message… Je ne sais pas… Je ne sais pas encore quoi lui écrire.

— Tu sais, je ne veux pas te chagriner davantage. Mais, quel que soit ton message, il ne changera plus grand-chose. Il faut passer à quelqu’un d’autre. Le coeur de Sten ne se joue plus qu’entre cinq filles… dont moi et Kalia.

— Je vous trouve plus majestueuse qu’elle.

— Tu n’es pas obligée de me flatter.

— Votre robe est superbe.

— Elle est un peu pénible à porter, pour tout t’avouer. Le corsage est serré dur.

— Vous voulez que je vous aide à la détacher.

— J’ai des courtisanes qui ne vivent que pour ça.

— Sauf votre pudeur, j’apprécierais vraiment de vous admirer.

Elle lève deux secondes les yeux vers moi, rougit et baisse davantage le nez. Décontenancée à nouveau, je questionne :

— Pourquoi ?

— Je veux que Sten ait la plus belle épouse. Si vous êtes plus belle que Kalia, je voterai pour vous, et je demanderai aux autres aspirantes déchues de faire de même.

L’argument me désarçonne, mais me convient. Je commence à avoir l’habitude que l’apparence guide les gens. Leur monde n’a rien à envier au mien. Mon bras passe dans mon dos et défais les attaches. Le bois se retend aussitôt comme un ressort, quitte mon buste, laissant tomber les deux pièces de tissus cache-poitrine et apparaître les stries rouges de la journée. Putain que ça fait du bien ! Je garde les épaules droites en m’étonnant du regard absorbé de Tatiana. Je replace mes cheveux derrière mes épaules. La bouche entrouverte, mon admiratrice finit par me dire :

— Vous avez de très beaux seins.

— Profite bien du privilège. Une fois que je serai impératrice, finies les exhibitions.

— J’espère que vous le serez.

— Si tu votes pour-moi, ça aidera. Peut-être sera-ce la voix de plus que Kalia.

— Je pourrais peut-être convaincre les autres de voter pour vous.

Je passe mes mains sur chacune de ses joues pour l’obliger à me regarder dans les yeux et fais le serment :

— Si tu y parviens, je te propose de repartir avec moi, ainsi tu pourras revoir Sten de plus près.

— Vous feriez ça ?

— Si je suis élue, je pourrai même arranger une entrevue. Mais n’oublions pas que je serai son épouse, donc je serai présente pour veiller à ce que ça en reste à une discussion.

— Je vous promets de tout faire ! Demain, je vais organiser une rencontre.

— C’est une bonne idée. Après une bonne nuit de repos.

— Excusez-moi, vous devez avoir froid. Je vous laisse vous reposer.

Elle s’éclipse, et je la retiens par le bras.

— Avant que tu partes, je voudrais percer un secret.

— Je n’ai nul secret.

— Que s’est-il passé après l’élection de Kalia ?

— Il y a eu une grande fête. Elle a dansé avec l’Empereur. Puis peu après, elle est partie pour Varrokia.

— Et entre toi et Sten ? Entre vous toutes, et Sten ?

— Rien. Je me suis enfermée dans ma chambre pour pleurer.

— Bien. J’avais entendu des rumeurs.

— C’était une idée déplacée et indigne de filles de notre rang. Vania a proposée de nous venger de Kalia. Nous étions chacune en colère et en chagrin. De discussion en discussion, nous avons aimé cette fanstasmagorie. Elle glorifiait la virilité de l’Empereur et mettait Kalia dans une position de soumission indigne d’une impératrice. Nous avons laissé nos courtisanes colporter la rumeur sans même leur demander, juste en laissant nos conversations s’échapper.

Je lâche son poignet, contente.

— Bonne nuit Tatiana, à demain.

Siloë revient au moment où l’aspirante déchue quitte la pièce. Elle remarque mon sourire :

— Tu as l’air heureuse. C’est curieux car tu as les miches à l’air, et une fille vient de te quitter.

— J’ai eu la confirmation que l’orgie n’a jamais eu lieu. Je suis trop contente !

— Ah !

— Et toi ?

— Ils ont obtenu exactement le même nombre de votes ! Je suis sûre qu’ils ont fait exprès, il y a de la triche dans l’air. C’est pour m’obliger à choisir. Frithjof ou Haldor.

— Je pensais que Frithjof t’avait plus tapé dans l’œil.

— C’était avant de savoir que Haldor aussi me kiffait. Choisir le brun ou le blond ? Ils se ressemblent, et il faut que j’apprenne à mieux les connaître chacun, pour mieux sentir avec lequel je suis la plus à l’aise.

— Vrai. Organise des rencards.

Je bâille. Il est temps de me piauter.

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