64. Spectaculaires aspirantes (partie 2)
La soirée arrive plus vite que prévu. L’effervescence est totale. Malika, Siloë et Chell sont parties avec nos parents pour être présentés aux barons, comtes et ducs avant notre arrivée. Je me retrouve seule avec les seize fillettes. Je souris aux deux Ramiennes qui normalement traînent dans le sillon de Cendre.
— Ça faisait longtemps que vous ne m’avez pas accompagnée. Ça change de porter la couture plutôt que de la faire.
— C’est intéressant à faire, indique l’une d’elles.
— Et vous ? Malika a l’air d’être une maîtresse gentille.
— Oui.
— Ça ne vous dérange pas d’avoir les cheveux rouges ?
— Non. Malika dit que vous êtes la plus grande impératrice que Varrokia aura jamais, et qu’il faut que vous soyez élue.
— Je suis contente qu’elle le pense.
En même temps, c’est la seule façon pour elle de garder un pied au château, songé-je. Est-ce que j’ai su m’entourer que de gens dénués de fourberie ou bien est-ce que je me fais manipuler par tout mon entourage ?
— Bon, je crois que nous avons assez attendu. Faites deux rangées devant-moi. Mélangez-vous. Parfait, c’est parti ! Allons rencontrer nos voisins.
Les couloirs menant à la grande salle ne m’ont jamais paru si proches. J’ai beau m’être fait attendre, je constate qu’aucune de mes rivales n’est encore là. Mes parents sont en pleine discussion avec le Duc de Cœur-Empire. Sten est avec ses invités de marque. Le premier Empereur est aussi noir de peau que Malika. Il est aussi grand que Sten, et des cornes droites poussent sur son front. Quatres femmes en robes noires se tiennent en retrait derrière-lui, sans doute quelques unes de ses épouses. Ses yeux se baladent déjà, comme prévu, du côté de Malika. L’Empereur Fu est l’archétype du sorcier chinois avec de longues moustaches et une longe barbiche blanche. Sa femme elle aussi asiatique, vêtue d’une robe couleur émeraude se tient à ses côtés, et non en retrait. Elle semble plus jeune que lui. Quant à leur fille, elle est le sosie de celle que j’avais imaginé lorsque Sten m’avait parlé de son premier amour. Il est étonnant qu'il n’ait pas cédé à la proposition de l’Empire voisin de l’épouser.
On m’annonce :
— Léna Hamestia, la pourfendeuse de dragons, tueuse de mages noirs, et chef des armées de Varrokia.
Les têtes pivotent toutes vers moi. Aucune rivale n’est là pour s’accaparer ma présence. Mes servantes et leurs consoeurs s’avancent dignement pour m’ouvrir le passage jusqu’aux empereurs. Lorsqu’elles s’immobilisent, elles forment une haie, me permettant d’avancer. Je m’incline humblement.
— Impératrices, Empereurs c’est un honneur de vous rencontrer.
Ils ne répondent pas. Le chambellan crie aussitôt :
— Pauline du Désert.
Des jongleurs avec des bâtons enflammés et des danseuses vêtues de simple cache-poitrine et de courtes jupes à grelots la précèdent brièvement. Elle aura décidément tout emprunté à Aladdin. Mon entrée fait vraiment ridicule. Exceptionnellement, Pauline porte une robe blanche et légère lui arrivant jusqu’aux pieds, ceintrée par une ceinture argent, le front ceint par un diadème assorti. Pas de nombril apparent pour une fois, mais une élégance certaine. Soit elle aura voulu être moins audacieuse devant ses parents, soit elle aura été briefée sur l’appétit de l’Empereur des Sables. Lorsqu’elle fait sa révérence, je note la touche érotique du galbe de ses seins laissés libres sous le tissu, dégagés de moitié par le col de la robe. Le regard de Sten comme celui du noir s’y perdent.
— Mes seigneurs.
— On ne m’avait pas menti, dit le noir à Sten. Vos gens ont su élire les plus belles parmi les plus belles.
Je considère qu’il m’inclut dans sa remarque. Sten raconte alors comme il l’a rencontrée. Les yeux noirs de Pauline semblent envoûter le couple de l’Empire Précieux tandis que je cherche comment la disqualifier. Un verre d’eau ou de vin suffirait à rendre sa robe moulante et transparente. Mais tel que je commence à connaître ce monde, je ne serai pas surprise que cela la serve plus que ça ne la desserve.
— … Il en a été de même pour Léna.
— Hein ?
— Je racontais, reprend Sten, comment j’ai rencontré Pauline. Et je disais que notre rencontre était similaire.
— Oui, en effet, souris-je, dans un lavoir, un peu moins féérique.
— Mais tout aussi surprenant.
Le chambellan nous interrompt :
— Kalia du Creux-Suspendu !
À nouveau les visages se tournent. Les courtisanes, pas beaucoup plus jeunes que leur maîtresse, s’avancent en dansant. Vu leur nombre, les cousines de Kalia ont du lui en prêter. Les enfants ne portent qu’un pagne rouge qu’elles font danser en tourbillonnant et des bracelets de bois. Pauline et moi nous décomposons en découvrant Kalia debout sur un bouclier porté par des hommes de chaque côté. Kalia ondule, vêtue uniquement d’un bikini de tissu rouge sombe avec une armature forgée en argent. Un long pagne descend devant ses frêles jambes, jusqu’à effleurer ses chevilles. J’entends le rire d’approbation de l’Empereur des Sables. Kalia est sexy, mais vient de commettre sa première erreur de la soirée.
Les deux hommes amènent le bouclier jusque devant Sten. Kalia se pend à son cou, puis l’embrasse sur la bouche tout en descendant au sol.
— Quelle entrée ! s’exclame l’Empereur des Sables.
— Oui, murmuré-je, mais pas très sérieuse pour une Impératrice.
La Reine de l’Empire Précieux a bien entendu ma remarque, mais fait mine de rien. Sten Varrok frappe deux fois dans ses mains.
— Bien ! Maintenant que les aspirantes nous ont rejoints, je vous invite à commencer les festivités. Merci de laisser souffler vos reines, pour qu’elles puissent échanger avec nos invités.
Je décide de commencer directement la conversation avec le vieux sage.
— Et bien, Seigneur Fu. Vous demeurez silencieux. J’ai l’impression que vous êtes un homme qui ne parle jamais pour rien dire.
— Ma sensation, dame Hamestia, est que la soirée est bien plus prévue pour le plaisir des yeux que celui des oreilles.
— Pour le plaisir des yeux, j’ai l’intime conviction que Kalia pourra occuper la scène à elle seule. Pour le plaisir des oreilles, nous pourrions discuter, à moins que vous considériez qu’une femme n’a pas à ouvrir la bouche.
— Homme ou femme, nul n’a à parler s’il n’a rien à dire.
— Alors laissez-moi vous amener à la parole. Je suis très curieuse, et je n’ai, à ma grande honte, pas eu beaucoup le temps de me documenter sur l’histoire de votre Empire. Ma conseillère m’a dit que l’Empire Précieux était le plus grand de tous, et le plus raffiné.
— Votre conseillère semble avoir bon goût, sourit l’Impératrice.
— Laissez-moi vous la présenter.
Je fais signe à Malika d’approcher. Cela resserre son approche auprès du groupe VIP.
— Je vous présente Malika, ma conseillère. Je racontais le peu que tu m’avais enseigné sur l’Empire Précieux, et notamment sur le raffinement de sa culture.
— Disons qu’il doit être plus rare de voir une femme si peu couverte, je me sens un peu confuse de vous êtes présentée ainsi, dit humblement Malika.
— Ce n’est pas nous que vous devez séduire ce soir, sourit le seigneur Fu.
— Non, et c’est à Léna de vous plaire. Vous a-t-elle au moins raconté d’où elle tient son titre ?
— Non. Je suis curieuse, confie la femme.
La machine est lancée astucieusement. Tandis que leur fille reste dans une écoute très silencieuse, je narre mes deux chasses au dragon. À l’éclat de leurs regards, j’en déduis que l’intérêt va au-delà d’une oreille polie. L’impératrice semble apprécier les femmes fortes et les discussions d’une certaine maturité. La conversation s’étire, jalonnée par des remarques avisées de Malika permettant de m’orienter dans les réponses. Comme convenu, je m’adresse à l’homme, mais accorde de l’importance au regard de la femme et la prends à témoin régulièrement, surtout sur des sujets où, dans un univers machiste, on n’attendrait pas l’avis d’une femme. Le sourire discret qui se dessine sur le menton de mon interlocutrice me dit combien je lui plais et l’attention qui s’accroît chez sa fille me permet de marquer davangage des points.
Notre longue conversation est interrompue par l’Empereur des Sables.
— Voilà trop longtemps que je patiente pour faire connaissance avec cette longue paire de jambes.
Ses yeux suivent la croupe de Malika, alors je lui réponds :
— Je vous présente Malika, ma Grande Conseillère.
— Votre Grande Conseillère semble chercher à ravir votre gloire. Elle brille comme une montagne d’or au milieu d’un désert de caillou.
— Quel compliment. J’espère qu’elle sait l’apprécier.
— Je l’apprécie, confirme Malika.
Kalia prend à parti la famille Fu, et je poursuis à l’attention du seigneur des Sables :
— Mais ne vous inquiétez pas, je sais qu’elle brille bien moins que moi aux yeux du seigneur Varrok, et c’est ce qui m’importe. Alors comme ça, les paysages de votre Empire sont les plus reconnus de ce monde ?
— On le dit.
— Malika, en tout cas, le dit.
— Voilà une femme avec autant de goût que de beauté.
La stratégie fonctionne, il n’a d’yeux que pour Malika. Laissant ma conseillère parler un peu, bien qu’en retrait par rapport à moi, j’observe ce qu’il se passe.
Pauline prend très vite le relai auprès de la famille impériale Fu. Kalia, reste près de Sten, comme une petite fille perdue. Trop immature pour que l’Impératrice lui prête attention, trop frêle pour que l’Empereur des Sables garde les yeux sur elle. Malika le submerge de sa beauté. Il votera donc pour moi dans l’espoir de la revoir, et j’insiste bien sur le fait qu’elle restera ma conseillère à vie. Pauline semble à l’aise, mais je sens bien que l’Impératrice est moins convaincue. Malika, par ses conseils, tant que par son physique aura su m’ouvrir une route près des Empires voisins. Espérons que la danse ne vienne pas gâcher l’opinion qu’ils ont de moi.
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