1 - West Wood
La voiture file sur la route qui mène chez mon père. Une immense forêt. Un trou pommé. West Wood, voilà où je m’apprête à passer mon été, assorti des deux prochaines années. On dirait bien que ma mère a finalement trouvé le moyen de se débarrasser de moi, une fois de plus.
La fenêtre ouverte, je soupire en laissant le vent s’engouffrer entre mes doigts.
- Et tu crois qu’il y a le net au moins ?
- Si ton père peut survivre, crois-moi, tu le peux aussi !
Je retiens un rire. Je ne sais pas pourquoi mais je sens déjà venir l’été pourri, des journées sans fin à mourir d’ennui. J'ai emporté mon carnet de dessin et quelques fusains, de quoi m'occuper le temps de patienter jusqu'à la rentrée, mais il faudra que je recupère des toiles et que j'aille acheter de la peinture. Je n'ai pas su me résoudre à déménager toutes mes affaires. Ma vie n'est pas ici, elle est chez ma mère, là où se trouvent mes amis, ma chambre, mon atelier. Je soupire. Est-ce qu’elle a vraiment le droit de m’infliger ce supplice ?
- Et n’oublie pas de me contacter, me rappelle-t-elle.
- Parce qu’il y a le téléphone, maintenant ?
- Très drôle, mon fils. Sois gentil avec ton père, tu sais qu’il peut être un peu casanier par moment... Enfin, dans son monde… Ne lui en fait pas voir de toutes les couleurs, la situation est déjà bien assez compliquée comme ça.
Je soupire en regardant défiler les arbres à travers la fenêtre. Est-ce que c'est moi qui ait voulu de ce divorce ? Non, j'ai jamais rien demandé et quitte à choisir, je me serais bien passé de tout ça. Au lieu de quoi je me retrouvé trimbalé d'est en ouest à chaques vacances parce que, je cite, "il est ton père et ça te fait du bien de le voir. Essaie de parler avec lui, il pourrait te surprendre !" Et dire que c'est ma mère qui dit ça alors qu'elle a elle-même choisi de le quitter car justement, elle n'en pouvait plus de sa routine.
Je lui jette un regard tandis qu'elle conduit. Des rides ennuyées traversent son front sous les mèches de cheveux blonds. Elle est soucieuse. Peut-être que de savoir que je ne serai plus dans ses pattes la préoccupe, finalement.
- Ca va aller, maman, tenté-je de la rassurer. Si j'ai pu survivre toutes ces années avec toi, ce ne sont pas deux petites années avec papa qui auront raison de ton fils, vraiment...
- Tu crois ?
- Sérieusement. En plus, j’ai autant de chances qu’il m’arrive quelque chose que toi de te trouver un nouveau compagnon avec ton fichu caractère.
Elle rigole.
- J'appellerai tous les soirs pour te faire un débriefing complet de ma vie, si ça peut te rassurer. Mais je te préviens, elle est à mourir d'ennui.
Nous dépassons le panneau qui annonce West Wood. Trois kilomètres plus loin, la voiture s’engage sur un sentier en terre qui mène au terrain familial, perdue entre les arbres. L’odeur des pins s’infiltre dans l’habitacle. Je remonte mes lunettes de soleil tandis qu'elle gare la voiture devant la maison, à côté de l’énorme pick-up de mon père
- Est-ce que cette baraque a toujours été aussi pommée ? lancé-je, sarcastique, en détaillant les alentours.
La maison de mon père se trouve à l'écart de la civilisation, des visiteurs curieux, et peut-être bien même de la technologie, si je m'en fie au générateur relié à la baraque. Est-ce que google connait au moins notre adresse ?
- Ce n’est pas aussi isolé que ça en a l’air... Et puis au moindre pépin, tu peux toujours m’appeler.
- Maman…
- C’est une blague, fait-elle en me lançant un clin d’œil. Je sais que tu sauras te débrouiller. Tu prends les valises ?
Elle m'embrasse sur le front et je grommèle un "je ne suis plus un gamin" avant de sortir de la voiture. Mon père descend du perron et vient à notre rencontre. Ca doit bien faire deux ans que je ne l'ai pas vu. Il a vieilli, il a l'air plus fatigué aussi. Il a les yeux d'une personne qui ne trouve plus le sommeil depuis plusieurs nuits, ses cheveux grisonnent et il ne s'est pas donné la peine de raser sa barbe de trois jours. Tu me diras, dans un coin aussi pommé qu'ici, qui s'en préoccupe ? Mais il aurait au moins pu faire un effort pour nous...
- Salut, Judith. Tu veux entrer ?
- Bonjour John. Euh… Non, je ne reste pas longtemps. Je m’assure juste qu’Eliott a tout ce qu’il lui faut.
- C'est bon maman, je vais survivre, la notifié-je en sortant les trois valises du coffre.
- Ca m'embête un peu que tu reprennes déjà la route alors que vous venez juste d'arriver. Tu es sûre que tu ne veux pas rester ? J'ai fait des pancakes.
On dirait que mon père la supplie presque de ne pas l'abandonner, ce qui me met mal à l'aise pour lui. C'est maman qui a quitté papa, à l'époque. Elle n'en pouvait soi-disant plus de passer ses soirées à l'attendre. Mon père est du genre "marié à son boulot" : cest un miracle qu'il se soit libéré aujourd'hui pour nous acceuillir. En temps normal, il aurait passé sa journée à la clinique.
- Je préfère ne pas trop trainer, je reprends le boulot demain, précise-t-elle en faisant mine de partir. Eliott, pense à ton linge et ne fais pas tourner ton père en bourrique !
Puis elle me fait signe de la main de l’appeler et s'installe au siège conducteur. lIs règlent encore quelques détails, il promet de l'appeler rapidement, lui enjoint d'être prudente sur la route. Qu'est-ce qu'ils peuvent être exaspérants quand ils s'y mettent...
Le moteur démarre et la voiture s'engage sur le sentier.
- Viens, je t’ai installé dans la chambre que tu préfères, m'informe-t-il une fois qu'elle a totalement disparu. Il faudra juste que tu fasses attention à l'eau chaude, on est assez limité.
- A chaque fois que j'arrive ici, je me demande toujours pourquoi tu t'es installé dans ce trou perdu.
- Tu sais, il y a pleins de choses à faire dans le coin, tu serais surpris.
- A commencer par les randonnées, je sais. Vraiment pas ma tasse de thé...
- Tu as pris de quoi dessiner ?
- Le stricte minimum...
- Ils ont un programme de préservation des loups très intéressant...
Des loups... Qu'espère-t-il ? Que je m'engage dans la première asso du coin et milite pour leur protection ? C'est mal me connaître. Je déteste ce genre de choses.
- Et tu n'es pas si loin de la ville, une demi-heure à tout casser.
Une demi-heure de route pour nouer une vie sociale. Le calvère...
Je soupire et me laisse choir sur le lit. Les draps sentent le propre. De toute façon, je crois que je suis tellement crevé que je pourrais m’endormir à peu près n'importe où. Qu'est-ce qui m'a pris de venir vivre avec papa... Je ne pouvais pas choisir une université près de chez maman, comme tous les étudiants ?
La couette étouffe mon grognement.
Adaptation, Eliott. Tu l'as voulu, maintenant assume tes choix et ferme ta gueule.
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