Chapitre 8 partie 1

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 Personne n’osa dire mot. Je me tournais vers Styx, mal à l’aise il regarda brièvement les autres. Aucun ne savait comment l’aider, à moins qu’ils ne veuillent pas s’en mêler.


  — Si Lilian et Alianoï devaient être ensembles. Où est, Alianoï ?

  — Elle n’était pas avec moi, me renseigna Lilian sans comprendre pourquoi je l’avais pensé.


 Entre la surprise de Lilian et le silence des autres, quelque chose me gênait énormément. J’allai me planter devant Styx le regard dur.


  — Tu sais de quoi il retourne ?

  — Sahiane, nous n’avons pas le temps de la chercher, tu as entendu Calypso ? tenta-t-il.

  — Je me fiche de ces vaisseaux, réponds-moi ! exigeai-je les dents serrées.

  — Sahiane, tu devrais te calmer, bredouilla-t-il en reculant, sentant mon énergie se troubler.


 Pour le moment je me contrôlais, mais s’il tentait encore de me détourner de ma question, j’exploserai. Jugeant la situation précaire il prit ses responsabilités et avoua.


  — Elle est à l’infirmerie.


 Je tournai les talons et partis pour celle-ci, les entendant m’appeler sans que j’en aie cure. J’ignorais où j’allais, pourtant je m’y rendais sans hésitation. Après avoir descendu un niveau, une double porte s’ouvrit sur un sas en verre muni d’équipements informatiques. Il servait sans doute à prévenir d’éventuelles contagions, je pouvais voir Alianoï debout devant un lit à quelques mètres derrière la vitre. Elle se retourna quand j’eus franchi le sas.


  — Sahiane ? Je ne pensais pas te voir avant…

  — Avant quoi ? la coupai-je, venant à sa hauteur.


 Dans le lit reposait une jeune fille qui n’avait pas plus de vingt ans. Les yeux clos, ses cheveux auburn étaient longs, sales et emmêlés. Des cicatrices lui zébraient le visage et les bras ; témoignages de plusieurs années de tortures. Les moniteurs tout proches montraient des signes vitaux quasi inexistants.


  — Aya, murmurai-je. Qu’est-ce que…

  — On l’a trouvé dans la salle des machines. Elle était connectée au …

  — Système d’urgence en cas de perte de toute énergie, achevai-je.

  — Oui.

  — Alors c’est comme ça que le Thémis est arrivé jusqu’ici. Est-ce qu’elle, articulai-je sans pouvoir finir ma phrase tandis que je m’asseyais sur le lit.

  — Elle est en train de mourir, souffla Alianoï.

  — Explique-moi, exigeai-je sans la regarder.

  — Quand on l’a trouvé, le flux d’énergie qu’elle avait déployé été si puissant que ses mains fusionnaient avec la machine. Je l’ai menée ici et j’ai soigné toutes ses brûlures, avant de lui donner autant d’énergie vitale que j’ai pu.

  — Alors pourquoi est-elle dans cet état ?

  — Ce n’est pas physique. Elle abandonne, elle ne veut plus vivre et se laisse consumer, m’expliqua-t-elle avec difficulté.

  — Ça ne lui ressemble pas.

  — J’ai tout essayé, Sahiane.

  — Sauf m’avertir, notai-je amère.


 Je caressais délicatement son visage, je ne pouvais pas la laisser s’éteindre de la sorte. Qu’avait-t-elle vécu, s’était-elle sacrifiée sciemment pour mener le Thémis jusqu’ici ?

 Je ne la regarderai pas mourir sans bouger. Comment l’aider ? Soudain, j’eus une idée ; un mince espoir. Le résultat dépendrait de lui. Je n’avais pas d’autres options, hélas. Je déposai un baiser sur le front d’Aya et me relevai résolue.


  — Qu’as-tu l’intention de faire ? me demanda Alianoï avec inquiétude.

  — Ramener à ma fille une raison de vivre.

  — Pardon ?


 Je ne lui répondis pas, fermai les yeux et tournai mon esprit tout entier sur ma cible. Une légère musique d’ambiance remplaça la voix d’Alianoï. Une odeur d’encens fleuri submergea mon nez jusqu’à l’écœurement, à tel point que celle du sang me manqua presque.

 J’ouvris mes paupières, je me trouvais dans une grande salle en escalier, elle comptait trois marches descendantes, chacune faisant six mètres de larges et une quinzaine de centimètres de haut. Une lumière tamisée à l’extrême éclairait la pièce, quelques meubles d’inspiration orientale étaient dispersés. Des tentures pourpres et vaporeuses partageaient l’endroit en petites sections, le tout menait à un grand lit à baldaquin. Derrière les voiles blancs et translucides de ce dernier, se dessinait une silhouette allongée.

 Je pris une bonne inspiration et m’approchai, en m’entendant elle se redressa et poussa un cri de surprise. L’exclamation était bien trop féminine pour la personne que je cherchais.

 Un jeune adonis à la musculature parfaite arriva rapidement, une serviette autour de la taille. Ses cheveux bruns laissaient perler sur sa peau dorée de fines gouttelettes. Son regard bleu magnétique voyagea de sa partenaire jusqu’à moi.

 L’étonnement le plus complet affiché sur son visage parfait, se transforma en une moue méfiante lorsque ses yeux se posèrent sur le pommeau de mon épée.


  — Comment peux-tu être ici, Sahiane ? demanda-t-il avec une pointe d’aigreur qui perçait sous la surprise.

  — Renvoie-là.


 En dépit de mon ton, je faisais mon possible pour contenir le déferlement d’émotions et de pensées en moi qui tendaient à augmenter ma colère.

 Il soupira, puis se tourna vers celle qui partageait sa couche et lui fit signe de partir. Elle s’enroula dans un drap et vida la pièce, non sans me lancer un regard venimeux. Quand elle claqua la porte, il reprit sur un ton sarcastique :

  — Heureuse ?

  — Pas vraiment.

  — Qu’est-ce que tu me veux ? Et pourquoi maintenant ?

  — Aya est partie contre mon avis pour te rejoindre il y a sept siècles.

  — Je m’en serais aperçu si elle était venue, s’agaça-t-il.

  — Je n’ai aucune raison de mentir. Elle est montée dans le Thémis et s’en est servie pour te retrouver. Actuellement elle est mourante à l’infirmerie de bord. Ce qui s’est passé entre les deux je l’ignore, déclarai-je calmement.


 Le dieu m’évaluait, perplexe et incrédule. Visiblement il ne savait pas comment réagir à mes propos. Selon ses sentiments, mes mots n’auraient pas les mêmes implications.


  — La dernière fois que le Thémis a été vu, c’était près de Baldwin… Nous devions nous retrouver dans un parc de la ville. Elle n’est jamais venue. Lorsque le vaisseau a disparu, j’ai cru que tu l’avais ramenée de force.

  — L’as-tu cherchée ?

  — Évidemment ! Je suis venu sur Terrae, j’ai vu les dégâts, j’ai cherché son aura durant des mois sans la trouver. Au bout d’un moment, ils ont mandaté quelqu’un pour me rappeler à mes tâches, m’expliqua-t-il. Pourquoi est-ce que tu viens maintenant ? Et comment as-tu fais ?

  — Est-ce que tu l’aimes toujours ? le questionnai-je sans tenir compte de ses interrogations.

  — Qu’est-ce que ça peut te faire, tu veux que je reste loin d’elle c’est ça ? déclara-t-il acerbe.

  — Eros, est-ce que tu l’aimes encore ? insistai-je calmement.


 Je ne le quittais pas du regard, analysant chacune de ses réactions. Pour l’instant il ruminait les dents serrées, sans rien dire.


  — Eros, soufflai-je impatiente.

  — Oui ! Bien sûr que je l’aime encore, lâcha-t-il. Cette fois je ne te laisserai pas me l’enlever !

  — Je ne suis pas venue pour ça. Comme je te l’ai dit, Aya est dans un état précaire. Elle se laisse mourir. Et si ton amour lui donne une raison de vivre, je n’ai pas l’intention de m’opposer à ce que vous soyez ensemble.


Ses yeux s’écarquillèrent de surprise.


  — Tu es sérieuse, elle est vraiment mourante ? blêmit-il.

  — Je n’ai pas besoin de mentir, viens-tu avec moi ?

  — Oui.


 En un battement de cil, il se vêtit, m’agrippa la main et nous partîmes sur le champ. Nous atterrîmes à l’infirmerie, Alianoï se trouvait dans le sas parlant avec Styx et quatre de mes amis. Ils affichèrent une expression ahurie mais n’eurent pas le temps de m’interroger. Eros se pencha aussitôt auprès d’Aya, ignorant tout le reste.


  — Comment s’est-elle mise dans cet état ?

  — Je n’ai pas les détails. Le Thémis était à court d’énergie, je suppose que lorsque j’ai lancé l’appel elle s’est servi de sa propre énergie pour ouvrir un vortex direct jusqu’à Terrae. Alianoï l’a soigné mais ça n’a pas suffi.

  — Pourquoi arbore-t-elle tant de cicatrices ? Tu viens de dire qu’elle avait été guérie.

  — Elles sont anciennes, l’informai-je contenant la rage que cette vérité déclenchait en moi.

  — Qu’attends-tu que je fasse ? se désola-t-il.

  — Je ne sais pas trop. Parles-lui, sers-toi de tes dons pour toucher son âme.

  — Tu peux faire de même, me dit-il surpris par la simplicité de ma demande.

  — Je n’ai plus rien de la mère qu’elle a connue. Elle est partie par amour pour toi et en a été privé. J’ai simplement l’espoir que ça fonctionne, sans aucune garantie.

  — Je ne veux pas la voir disparaitre alors que je la retrouve à peine, gémit-il.

  — Dis-le lui, soufflai-je en posant ma paume sur son épaule pour l’encourager.


 Il posa délicatement une main sur ses cheveux, saisit avec l’autre la sienne et appliqua son front contre le sien. L’aura de sa puissance divine s’intensifia. D’interminables secondes s’écoulèrent ainsi, il murmurait des paroles douces et chantantes, à peine audible. Il ne se passa que quelques minutes, pourtant elles me parurent des heures.

 Il stoppa d’un coup sa mélopée et déposa un long baisé sur ses lèvres. À mon grand soulagement, les moniteurs démontrèrent une augmentation des signes vitaux. Aya ouvrit lentement les yeux. Son regard d’abord éteint, s’illumina en reconnaissant le visage d’Eros sur lequel perlaient des larmes de joie.

 Elle tenta une première fois de parler sans succès. Je fis immédiatement le tour du lit pour saisir un verre et le remplir d’eau. Eros l’aida à se redresser un peu. Je lui tendis le récipient pour la faire boire à petite gorgée. Elle prit une inspiration et articula.

  — Je ne croyais jamais te revoir.

  — Et moi donc, je n’ai pas cru ta mère lorsqu’elle est venue me chercher, dit-il en se détendant.

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