2. Premiers contacts
Julien
Gabin me réveille ce matin en me sautant dessus. Il vient se lover dans mes bras, bientôt rejoint par sa sœur qui réclame aussi ses bisous du matin.
- Papa, on est bien ici. Est-ce qu’on va pouvoir rester ? Je n’ai plus envie de retourner dans la voiture… Il fait froid et en plus on n’a pas de place…
Je soupire aux paroles de mon petit poussin. Je n’ai moi non plus pas envie de retourner dans la voiture, mais qui sait comment ça va se passer dans ce centre… S’ils me menacent de me retirer mes enfants, je partirai. Ou s’ils pensent qu’ils vont m’apprendre comment élever mes enfants, pareil, je ne me laisserai pas faire ! Je rassure mes enfants en leur disant que normalement, on pourra rester jusqu’à ce que je trouve un logement pour nous et nous passons la matinée dans la chambre à dessiner, jouer et essayer d’oublier les derniers jours qui ont été particulièrement pénibles.
La première nuit a été plutôt agréable et les enfants ont aimé prendre le temps de s’installer. Ils ont défait leurs valises et nous avons entassé tous nos vêtements dans le placard de la chambre, fait le nécessaire pour que les jouets ne traînent pas trop partout en découpant en deux les cartons dans lesquels ils étaient, pour pouvoir en faire des tiroirs glissés sous les lits. Je fais avec les moyens du bord, c’est toujours mieux que rien. Sophie était heureuse de pouvoir prendre une longue douche chaude et j’avoue que je l’ai appréciée également. J’ai voulu tailler ma barbe mais je n’ai pas le matériel nécessaire. Je rêve d’un rendez-vous chez un coiffeur-barbier histoire de ressembler à nouveau à quelque chose. En attendant, mon bonnet ne me quitte pas. Le centre dispose d’une buanderie avec plusieurs machines et j’ai pu faire une tournée de linge ce matin pour renflouer notre stock de vêtements propres. Je ne me suis pas trop mélangé aux autres pour le moment, mais j’ai un peu échangé avec une des mamans présente à la buanderie, et j'ai négocié un peu de lessive en attendant de pouvoir faire des achats.
On grignote le midi mais nous restons dans notre studio. Je ne veux pas me mélanger à tous ces clochards ou paumés qui vivent ici… Et je dois avouer que je redoute le premier entretien avec Albane. Elle est mignonne, mais j’ai peur de ce qui se cache derrière son joli minois.
C’est avec cinq minutes de retard que je frappe à la porte du bureau, juste par provocation. On ne peut pas dire que je sois très occupé ou qu’une raison particulière m’ait empêché d’être à l’heure. Juste l’envie de faire chier. C’est comme ça. Gabin et moi entrons lorsque nous y sommes invités et découvrons Albane, installée à un bureau d’angle contre un pan de mur dans le coin droit d’une pièce plutôt grande et lumineuse, dont les fenêtres donnent sur l’entrée de la cour et du bâtiment où se trouve la cuisine. Mon fils repère les jouets un peu partout, la salue rapidement, lui offrant un large sourire qu’elle lui rend, et va s'asseoir à un petit bureau, décapuchonnant déjà un feutre pour commencer à dessiner.
- Bonjour Monsieur Perret.
- Madame.
Oui, j’ai sorti la tête de con, j’assume pleinement. C’est provocateur, j’attends une réponse. Qui ne vient pas. Foutus travailleurs sociaux et leur patience à toute épreuve.
- Sophie n’est pas là ?
- Elle lit dans la chambre. Vous voulez vérifier si elle n’a pas été battue pendant la nuit ?
L’éducatrice arrête de taper sur son ordinateur à ma question, mais ne me regarde pas pour autant. On bosse son self-control, mademoiselle ? Elle reprend, comme si de rien n’était, après avoir inspiré profondément.
- Du tout, non. Installez-vous dans l’un des fauteuils, je termine ce que j’ai commencé et suis à vous.
- Prenez votre temps, je suis sûr que vous avez mieux à faire que de vous occuper d’une famille en détresse, dis-je d’une manière plus amère que je ne le souhaitais.
- C’est ce que je suis en train de faire, figurez-vous, répond-elle calmement.
Ça valait bien le coup de me donner rendez-vous si c’est pour me dire d’attendre. Ça m'énerve de la voir pianoter sur son ordinateur. J’hésite même à ressortir tout de suite, mais je me retiens. J’acquiesce alors qu’elle a déjà remis le nez sur son écran, m’accordant bien moins d’attention qu’à mon fils à qui elle a souri, et vais m’assoir en l’attendant. J’observe mon fils, concentré sur son dessin alors que l’une de ses jambes gigote dans tous les sens et souris en constatant que je fais de même de mon côté. Je ne pourrais pas tenir dans de telles conditions sans mes enfants, ils sont la seule raison pour laquelle je ne me suis pas encore foutu en l’air. J’ai l’impression d’avoir une montagne à franchir pour reprendre pied alors que je n’arrive pas à aligner deux pas.
Je ne sais combien de temps je suis resté dans mes pensées, mais Albane finit par venir s’installer dans le fauteuil face à moi, un bloc-notes sur les genoux. Elle est habillée comme hier lors de notre rencontre, si ce n’est que son chemisier est noir aujourd’hui. Elle fait jeune, je pourrais lui donner vingt-deux, vingt-trois ans, mais j’ai mené ma petite enquête auprès de ma fournisseuse en lessive et appris qu’elle approchait de la trentaine. Elle est plutôt jolie, brune aux yeux bleus, des formes là où il faut, pas trop mince, juste ce que j’aime d’ordinaire, mais ma libido s’est faite la belle avec l’été qui nous a quittés. Non, ma libido s’est barrée quand je me suis retrouvé à la rue en vérité.
- Alors, comment s’est passée votre installation ?
- Bien.
- Vous avez pu un peu discuter avec vos voisins ?
- Non.
Je ne réponds que par monosyllabe. Je ne veux prendre aucun risque qu’elle interprète mal mes réponses.
- D’accord. J’ai pris le temps de regarder votre questionnaire plus attentivement hier soir pour en dégager quelques objectifs. Avant de vous en parler, j’ai encore quelques questions.
- Allez-y.
- Pourquoi êtes-vous venus en Normandie ? Vous êtes de la région parisienne à ce que j’ai lu.
- Le 115 m’a dit que je n’aurai jamais de place sur Paris. Ils m’ont proposé de venir dans ce coin paumé. Pour mes enfants, je n’ai pas eu le choix.
- Des contacts dans la région ?
- Non…
Un peu, mais elle n’a pas à le savoir. Cet entretien me gonfle déjà, je n’ai aucune envie de lui raconter ma vie.
- Vous voulez vous installer ici ?
- Pourquoi cette question ?
- L’objectif c’est de vous aider à retrouver une situation normale, on est d’accord ?
- Normale ? C’est quoi pour vous ? Vivre avec des paumés et des clodos pendant que des petites jeunes comme vous nous disent comment on doit vivre ? Laissez-moi rire !
- Pour moi, une situation normale c’est une école pour les enfants, un travail pour vous, un appartement, me répond-elle toujours plus calmement. Donc j’ai besoin de savoir si c’est par ici que vous souhaitez vivre, tout simplement.
- D’accord.
- Et… Donc ?
- Oui.
Je repère bien son petit haussement de sourcils et j’aurais presque envie d’en rire. Je l’agace et ça me plaît. J’ai eu affaire à une assistante sociale à Paris, qui m’a pris de haut et n’a pas fait son boulot, je n’ai aucune confiance dans le système, je n’ai confiance en personne.
- Vous n’avez pas noté de ressources financières. Nous allons donc mettre en marche une demande d’allocations familiales pour commencer, et vous rencontrerez l’assistante sociale du centre pour avoir des coupons pour les besoins de première nécessité.
- J’ai déjà fait les démarches pour les allocs ici, je n’ai pas besoin de vous pour ça. Je ne suis pas un handicapé mental.
- D’accord, soupire-t-elle et je suis presque content qu’elle réagisse davantage à mes paroles, même si c’est succinct. Vous avez des documents à ce sujet ? Un numéro d’allocataire ?
- Oui, là-haut.
- Entendu, nous pourrons appeler ensemble si vous le souhaitez, histoire de voir où ça en est.
- Je vous ai dit que je savais me débrouiller !
- Très bien… Mais faites-le rapidement. Quels sont vos objectifs à court terme ?
- Des objectifs ? Partir d’ici. Le plus vite possible. Mais il faut surtout inscrire les enfants à l’école. Pour le reste, je vais le faire tout seul.
- Parfait. Et à long terme ?
- Ne plus vous voir. Ne plus jamais voir un travailleur social. Et ça passe par un boulot et un appartement.
- Bien, marmonne-t-elle en regardant au loin derrière moi. Espérons que cela aille vite alors, je ne voudrais pas que vous risquiez l’overdose de travailleurs sociaux...
Je sens son agacement augmenter. Cela me fait plaisir. J’ai un peu l’impression de partager ma révolte et ma colère en lui transmettant mon énervement. Ça n’est pas très utile, mais, dans ma situation, ça me fait du bien. Et vu le manque d’opportunité de me faire du bien, tout est bon à prendre… Même ma mesquinerie…
- J’ai quelques questions un peu plus délicates à vous poser…
- Ça m'aurait étonné du contraire. Vous n’avez pas dû lire le dossier du 115 car tout y est noté !
- Concernant la maman des enfants, dit-elle plus bas, est-ce qu’elle est toujours dans le circuit ? Y a-t-il une garde alternée ? Vous n’avez pas noté de pension alimentaire.
- Non, non et non.
- Je vois… Donc pas de pension, dit-elle en prenant des notes sur son bloc. J’aimerais savoir ce qui vous a amené à cette situation, est-ce que vous pourriez m’expliquer votre parcours ?
- Mon passé ne vous regarde pas. Vous n’êtes pas là pour m’aider à commencer une nouvelle vie ?
- L’idée est de ne pas reproduire les possibles erreurs du passé, non ? A moins que vous ne vouliez vous retrouver à nouveau en CHRS d’ici quelques mois ou années, tout au plus.
Je hausse les épaules sans daigner répondre. Ma vie personnelle ne la regarde pas. Je ne suis pas là pour qu’elle m’aide, juste pour que mes enfants aient un toit et des repas chauds. Je m’en fous de ce qu’elle peut me proposer. Je ne suis pas étranger, je ne suis pas illettré, je ne suis pas stupide, je sais faire des démarches administratives.
- D’accord… Pourquoi avez-vous perdu votre travail ?
- Je l’ai perdu, je n’ai rien d’autre à dire, m’agacé-je.
- Bien, je vais jouer aux devinettes alors. Absentéisme ? Pétage de cable sur un collègue ou un chef ? Violence ? Arnaque ? Hum… A bien y réfléchir, je vais voter pour le pétage de cable, personnellement.
Je lui lance un regard noir qui ne vient que justifier son intuition. Elle me fait chier. Je n’ai aucune envie de lui expliquer l’homme faible que je suis devenu en perdant ma compagne. Je n’éprouve plus que de la colère pour elle et jamais je ne pourrai lui pardonner d’avoir abandonné nos enfants de la sorte, j’ai eu un passage à vide avant de comprendre que notre couple était fini depuis un moment déjà. Sans son départ, je n’en serais pas là. Nous ne serions pas à la rue. Si elle donnait des nouvelles aux enfants, ils ne seraient pas si malheureux.
- Dépression.
- D’accord. Est-ce que vous êtes encore sous traitement ?
- Non.
- Et comment vous sentez-vous par rapport à ça ?
- J’ai l’impression d’être au paradis, madame l’apprentie psy.
- Nous avons un vrai psychologue qui vient tous les vendredis, il suffit de nous le dire et nous vous inscrivons au planning si vous en ressentez le besoin.
- Je n’ai pas besoin de parler bon dieu ! haussé-je le ton.
- La proposition tient pour les enfants aussi, me répond-elle, impassible et cela m’énerve d’autant plus.
Je la fusille du regard. Sujet sensible. Je fais tout pour mes enfants, qu’elle n’en doute pas une seconde parce que je pourrais devenir rapidement très désagréable.
- Ne faites pas cette tête bon sang, soupire-t-elle. Vivre à la rue est difficile pour toute personne adulte, alors imaginez pour les enfants. Et vivre dans ce genre de centre n’est pas non plus l’idéal. Je veux juste que vous leur disiez que s’ils ressentent le besoin de parler, il y a des personnes qui pourront les écouter, que ce soit le psychologue ou les éducateurs.
- Ils ont un père.
- Que j’espère plus ouvert quand il s’agit d’écouter ses enfants.
- Je vous emmerde, murmuré-je de telle sorte que mon fils ne m’entende pas.
Albane se redresse dans son fauteuil et se penche en avant, mettant en exergue son décolleté alors que ses seins se pressent l’un contre l’autre. Petit soubresaut de ma libido.
- Ne me parlez pas comme ça, murmure-t-elle, ses yeux plantés dans les miens. Je ne suis ni votre chien, ni votre copine.
- Pour l’école, éludé-je l’air de rien, on peut s’y mettre quand ?
- Dès aujourd’hui. L’école du secteur est à cinq minutes à pied d’ici. Je vais vous imprimer ce qui vous servira de justificatif de domicile pour que vous puissiez aller les inscrire à la mairie et mettre en branle la machine. Est-ce que vous avez les certificats de radiation des anciennes écoles ?
- Oui, j’ai aussi le dossier scolaire de Sophie. Pour Gabin, c’est l’entrée en CP, ils ne m’ont rien donné de particulier hormis le certificat.
- D’accord… Je… Vous êtes conscient que cela risque d’être difficile pour Gabin ? Je veux dire, l’année de CP est très importante et il faut qu’il prenne le moins de retard possible sur les apprentissages. Deux semaines de retard sur la rentrée scolaire, ça va, mais il ne faut pas tarder.
- Je lui ai fait l’école autant que possible. Gabin commence à lire et à écrire, je ne suis pas totalement inconscient non plus, bougonné-je sans cacher mon agacement.
- Encore une fois je n’ai rien dit de tel, soupire-t-elle.
- J’ai pourtant l’impression qu’il faut que je précise.
- La précision n’était pas nécessaire. Mon supérieur m’a dit que vous avez une dépendance, sans me préciser à quoi. Vous n’avez pas rempli le questionnaire à ce sujet. Est-ce que je peux savoir de quoi il s’agit ?
- Non. Il n’y a plus de dépendance. D’ailleurs ce n’était pas une dépendance.
- Heu… Vous pouvez m’éclairer sur le sujet ? me demande-t-elle en fronçant les sourcils.
- Ça ne vous regarde pas.
- Julien…
- Bordel, vous êtes une sacrée emmerdeuse, vous le savez ça ?! m’énervé-je en me levant brusquement.
- Papa ! C’est pas très poli de dire ça, intervient mon traître de fils en relevant le nez de son dessin, faisant sourire l’éducatrice.
- Tu as raison, mais parfois c’est nécessaire, bougonné-je en m’éloignant de mon fils pour me poster devant l’une des fenêtres.
- Je ne pense vraiment pas, intervient l’éducatrice que j’entends approcher avant qu’elle ne reprenne, plus bas. Alcool ? Drogue ? Vous êtes dans un bâtiment avec des enfants, j’ai besoin d’en savoir un minimum…
- Ni alcool, ni drogue nom de dieu ! Rien qui mette en danger qui que ce soit.
- D’accord. On va dire que je vous crois, ajoute-t-elle.
- Comme si j’en avais quelque chose à foutre que vous me croyiez ou non.
Elle regagne son bureau, où elle pianote sur l’ordinateur durant un moment. Evidemment, ce n’est pas elle qui se retrouve dans cette situation merdique à devoir se justifier de tout et demander la charité. Après avoir regardé un moment à travers la fenêtre, je me rapproche de la petite table sur laquelle mon fils est accoudé. Il a dessiné une grande maison, ressemblant au bâtiment où nous avons pris nos quartiers, et plein de personnages dans la cour.
- Je n’arrive pas à imprimer, encore un bug de l’informatique. Je vais aller faire ça au bâtiment principal. Vous m’attendez ici ?
- Comme si je n’avais que ça à faire de ma vie, bougonné-je.
- Très bien. Je vous donnerai le document ce soir, la mairie est fermée cet après-midi de toute façon.
- On y va Gabin ?
- Attends papa, je finis de dessiner.
- Prends ton dessin, tu le termineras là-haut.
- Mais non, je veux le donner à Albane pour qu’elle l’accroche derrière son bureau comme tous les autres. J’ai presque fini !
Je n’avais même pas fait attention à la décoration de la pièce. Effectivement, le mur derrière le bureau est rempli de dessins d’enfants du centre, j’imagine. Je me demande où elle va bien pouvoir accrocher celui de Gabin.
- Voilà ! dit-il en se redressant, un sourire jusqu’aux oreilles, tout fier de son dessin. Attends encore, j’ai besoin de toi papa !
- Pour quoi faire, Poussin ?
Gabin me fait signe d’approcher et se penche à mon oreille une fois que je suis à ses côtés, parlant tout bas.
- Comment on écrit « pour Albane ? »
Je souris et hésite une seconde à lui épeler le mot « emmerdeuse », mais lui dicte finalement les bonnes lettres en murmurant pour ne pas être entendu par la concernée. L’écriture de Gabin est brute, pas très droite mais il n’a que six ans. J’ai beau faire tout ce que je peux pour lui apprendre, je ne suis pas enseignant.
Il acquiesce, satisfait de lui une fois terminée son œuvre, et se lève avant de tendre son cadeau à l’emmerdeuse, qui prend le temps de le détailler et s’accroupit à ses côtés.
- Il est magnifique ! Qui sont les petits bonhommes ?
- Ben y a papa, Sophie et moi là, dit-il en pointant du doigt un homme gigantesque avec un bonnet et deux bonshommes plus petits à côté. Et puis là y a la madame aux cookies et sa fille. Et là c’est toi et Emmanuelle.
Emmanuelle est une autre éducatrice, qui était là hier soir. Elle est allée piquer en cuisine les restes du repas du midi quand Gabin boudait de devoir manger des choux farcis, et s’est évidemment offert les faveurs de mon fils avec l’assiette de spaghettis bolognaise qu’elle a déposée devant lui. Elle est représentée avec ce qui semble être ladite assiette dans les mains, alors qu’Albane, à ses côtés, porte une robe de princesse.
- Attends, mais elle est trop belle cette robe, pourquoi je suis en robe ? rit la concernée.
- Ben parce que t’es jolie et gentille !
- Merci Gabin. Tu permets que je te fasse un bisou pour te remercier ?
Mon adorable garnement continue dans sa trahison à mon égard et me sourit en haussant un sourcil, puis tend sa joue à la princesse emmerdeuse qui y pose ses lèvres. Il n’y a pas à dire, mon fils sait y faire avec les femmes. Albane se relève et va accrocher le dessin de Gabin sur le pan de mur contre lequel le bureau se trouve.
- Tu baptises le nouveau mur de dessins Gabin, alors je le mets au milieu.
- Cool, j’en ferai plein d’autres !
- Allez, on y va Poussin, ta sœur va s’ennuyer toute seule.
- Oui papa. A ce soir Albane !
- A ce soir Gabin.
Je sors du bureau sans un mot ou un regard pour l’éducatrice, main dans la main avec mon fils et nous montons les deux étages pour rejoindre la chambre. Sophie est toujours au même endroit, installée dans le lit du haut, son livre à la main. Ses cheveux blonds lui tombent sur le nez et elle passe son temps à souffler sur sa frange. Elle aussi aurait bien besoin d’un passage chez le coiffeur.
- On fait un peu de lecture Gabin ?
- Oh non papa, je veux faire des maths !
- Lecture Gabin.
- D’accord, bougonne-t-il en s’asseyant bon gré mal gré sur le lit après avoir récupéré son livre.
- Sophie, tu termines ton chapitre et tu viens bosser un peu ?
- Je travaille papa, lire c’est travailler.
- Sophie, s’il te plaît.
Pourquoi les enfants sont-ils dans l’opposition constante ? J’essaie de rester calme, tout le temps, mais intérieurement je bouillonne déjà d’ordinaire, alors il m’est parfois compliqué de garder pour moi mon agacement. Je suis un homme en colère. En colère contre la vie, contre le destin, contre le système. Je travaille sur moi, et sans doute qu’en retrouvant un peu de sécurité ici, je vais réussir à m’apaiser, mais pour le moment, la colère gronde encore.
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