16. Noël approche
Julien
Quelqu’un frappe à la porte. Un coup discret. Je soupire car je sais ce que ça veut dire : c’est la fin de ma tranquillité. Je pose mon pinceau et je me dirige vers la porte que j’ouvre, sûr d’y trouver Asma, un sourire accroché à son visage.
- C’est l’heure, Julien. Tu viens bien faire le cours de français avec Albane ?
- Oui, bien sûr, je n’ai rien d’autre à faire, Asma. Et c’est toujours un plaisir de vous retrouver pour ce petit moment. Je vous rejoins dans cinq minutes. Dis à Albane qu’elle peut compter sur moi.
Je n’ai en effet rien d’autre à faire car je n’ai toujours pas retrouvé de travail. Grâce à Albane, j’ai pu débloquer la situation avec Pôle Emploi. J’ai eu mon rendez-vous avec une jeune conseillère à peine sortie de l’école. Tout ce qu’elle a pu me dire, c’est qu’il va falloir être patient. Mais je ne peux pas me permettre d’attendre ! J’ai envoyé des CV, des candidatures un peu partout. Mais même McDo m’a refusé. J’en ai marre de recevoir tous ces rejets, mais ma référente me dit de patienter. Et, je ne sais pas pourquoi, mais je lui fais confiance.
Depuis l’épisode avec Sophie où elle était là quand j’ai eu besoin, je sens que notre relation a évolué. Oh, je lui mène la vie dure, encore. Ça ne serait pas drôle, sinon. Mais, même quand je la pousse dans ses retranchements, que je critique la société, la lenteur des procédures, la vie dans le CHRS, je ne la remets plus jamais en question. Je crois que je l’exaspère un peu quand je râle et m’emporte lors de nos entretiens. Mais quand je vois son regard et la colère dans ses yeux, je ne peux m’empêcher de trouver ça attirant. Je suis fou, je crois. Mais j’adore quand elle me demande de me calmer et de regarder la situation avec sérénité. Elle me dit que je ne manque de rien, que mes enfants sont heureux, et que bientôt, la vie me sourira à nouveau. Une vraie source de positivité au quotidien. J’avoue que, maintenant, j’attends mes entretiens avec elle avec impatience. C’est comme si je prenais à chaque fois une dose de positivisme. Son entrain est admirable. Je la sens parfois un peu triste et sans énergie. Mais dès qu’elle rentre dans son rôle d’éducatrice, elle change et elle me rebooste.
Je sors de chez moi après avoir rangé tout mon matériel. Je suis en train d’essayer de peindre une scène du CHRS à laquelle j’ai assisté il y a peu. Nicolas a organisé une réunion avec tous les résidents et on s’est retrouvé dans le réfectoire. Ce conseil de vie sociale a été une vraie révélation pour moi. J’avais jusque-là plutôt évité le collectif et le bâtiment principal. Mais je voulais assister à cette rencontre, un peu par curiosité, surtout parce c’était une occasion supplémentaire de voir Albane qui m’avait informé qu’elle allait co-animer avec Nicolas. Je me suis assis un peu à l’arrière, ce qui m’a permis d’observer tous les participants. Et d’admirer le travail réalisé par l’équipe éducative, car ça partait dans tous les sens. Les critiques fusaient, de la nourriture jusqu’aux toilettes pas propres en passant par le bruit dans les couloirs. Et à chaque fois, Albane ou Nicolas répondaient de manière calme et attentive.
Ce qui m’a fasciné pendant cette réunion et que j’essaie de retranscrire dans mon dessin, c’est l’impression d’être au milieu de la cour des miracles. Les visages marqués par la rue autour de moi, les gens alcoolisés, les regards un peu perdus des migrants présents. Tout ce petit monde assis autour des tables regroupées au milieu de la salle m’a laissé une impression un peu mitigée. Tant de misères rassemblées en un seul lieu. Tant d’espoir de vie meilleure… Tant de normalité pour des gens que la société a rejetée et considère comme des parias. Et ce sentiment à la fois de faire partie de ce collectif et d’être différent. Cela m’a permis de relativiser un peu ma situation, galère, certes, mais je n’ai connu la rue que peu de temps, comparé à certains présents ici, et j’ai la santé. Bref, j’espère que j’arriverai à retranscrire tous ces sentiments dans mon dessin, mais ce sera pour une autre fois. Il faut que j’aille rejoindre Albane et les autres pour le cours de FLE.
Je pousse la porte de la salle et vois tous les regards se porter vers moi. Je cherche immédiatement celui d’Albane afin de savoir de quel groupe elle s’occupe et m’installer auprès d’un autre groupe. J’essaie toujours de me mettre de telle sorte à ce qu’elle soit dans mon champ de vision. J’adore la voir jouer avec ses beaux cheveux bruns sans s’en rendre vraiment compte. Et là, on approche de Noël, donc elle est plutôt couverte, mais ses vêtements, toujours choisis avec goût, révèlent une vue bien agréable sur des courbes que l’on devine généreuses. Il n’y a pas de mal à regarder, si ?
- Alors, tout le monde est prêt pour le cours d’aujourd’hui ? Albane m’a dit de choisir le thème et j’offre un bisou ou une accolade à celle ou celui qui trouvera de quoi on va parler !
- La cuisine !
- Le restaurant !
- L’école !
C’est devenu un peu notre routine. Albane me fait confiance sur le thème, on prépare ensemble la leçon et les exercices, et on commence par laisser les gens deviner. C’était mon idée et elle a tout de suite accroché. Je lui ai expliqué que ça permettait à tout le monde de participer et de faire tomber la timidité. Surtout quand tout le monde se met à parler ensemble, ce qui est aussi le but de ces ateliers car ça permet de travailler sur la convivialité.
- Non, non, non… Il va falloir que je garde ma récompense pour moi-même si vous continuez comme ça ! Allons, réfléchissez un peu !
- La recherche d’emploi ? me demande un jeune d’origine maghrébine.
- Non, non… Vous donnez votre langue au chat ?
Je vois les regards des participants interrogatifs et comprends qu’ils ne connaissent pas cette expression.
- Ça ne veut pas dire littéralement que vous donnez votre langue à un chat ! ris-je. Cela veut juste dire que vous abandonnez et que vous me laissez vous donner la réponse !
- Moi, je sais ! dit Albane dans un sourire malicieux. On va parler de Noël !
- Oh ! Mais c’est de la triche, ça ! Il ne fallait pas leur dire !
- Est-ce que j’ai quand même le droit à la récompense ?
Je souris car je me dis que ça ne serait pas désagréable d’aller lui faire une petite bise. Mais est-ce bien raisonnable ? Je vois un petit rictus malicieux se dessiner sur ses lèvres. Je ne peux m’empêcher de me demander ce qu’elle a derrière la tête. Pourquoi a-t-elle dit la réponse ? Pour me mettre mal à l’aise ? Mais quand je la vois me sourire comme ça, je ne peux pas croire que ce soit le cas. On dirait qu’elle a vraiment envie d’une bise. Et j’avoue que ça ne me déplairait pas, mais je ne vois pas comment faire ça de manière naturelle.
- Je ne sais pas moi, parce que clairement, il y a eu utilisation d’informations confidentielles ! C’est une honte, ce comportement ! Qu’est-ce que vous en pensez, les autres ?
- Baise la !
Je manque de m’étouffer en entendant Irina prononcer ces mots ! Je deviens tout rouge à l’idée de me retrouver nu avec Albane en train de lui faire l’amour. Mais, en bon joueur de poker, je reprends vite mon masque et, même si tout mon corps réagit à cet ordre, je me contiens et reprends Irina :
- On ne peut pas dire ça Irina ! Vous venez de me dire de faire l’amour à Albane ! Vous vous rendez compte ? Ce ne serait pas bien ! Il faut dire : “Fais-lui un bisou” ou “ Fais lui un baiser”.
Irina comprend sa méprise et éclate de rire comme les autres personnes présentes. Je vois Albane qui rit aussi, mais elle a quand même l’air troublé par tout ce qui est dit. C’est vrai qu’elle est censée être la professionnelle. Elle devrait même intervenir pour calmer un peu les choses, mais elle semble comme pétrifiée. Incapable de réagir.
- Bon, ce que je vous propose, c’est de faire un exercice. Si vous le réussissez en majorité, je me plierai à votre volonté collective et je ferai un bisou à notre éducatrice préférée. Dans le cas contraire, elle devra nous chanter une chanson ! Allez ! C’est parti ! Vous devez tous écrire pour chaque lettre du mot “Noël”, un objet, une plante, un prénom, un animal et le titre d’une chanson ! A vous !
J’espère secrètement que tout le monde va réussir l’exercice ! D’ailleurs, je me mets tout de suite à aider le groupe des débutants et je suis content et flatté de voir qu’Albane s’y est mise aussi. J’ai l’impression qu’elle a vraiment envie de ce baiser. Elle l’a demandé d’abord, et maintenant, elle ne s’est même pas opposée à ma proposition saugrenue. Et là, voilà qu'elle aide Asma à trouver un objet qui commence par N. J’essaie de me concentrer sur le jeune nigérian qui réfléchit en anglais quand tout à coup, j’entends les deux femmes glousser. Albane ne peut s’empêcher de crier :
- Nuisette !
Et là, c’est le drame. J’oublie tout ! Le cours, les autres participants ! Je n’ai plus qu’une chose en tête, la vision de mon éducatrice dans une nuisette transparente et qui met en valeur ses formes plantureuses… J’imagine ses jolies fesses qui ressortent sous ce vêtement court et séduisant. J’ai l’impression d’être un flipper qui a fait TILT. Tout est bloqué chez moi… Sauf mes hormones qui se sont bien réveillées. Comme jamais depuis une éternité. Je suis content d’être assis à table, ce qui me permet de dissimuler mon état d’excitation, mais mes pensées continuent d’aller à cent à l’heure. Jusqu’à présent, jamais je n’étais allé aussi loin dans mes rêveries envers Albane. Oh, je ne nie pas que j’avais déjà un peu zieuté son joli décolleté. Ce serait mentir de prétendre que je n’avais jamais regardé ses fesses bombées. Mais, à part mon rêve, une fois, jamais je n’avais eu des envies aussi lubriques en tête vis-à-vis de cette jolie femme que je n’arrive plus, à cet instant, à voir en tant que travailleur social.
J’essaie de revenir à l’exercice que j’ai donné à tout le monde et de me concentrer sur mon petit nigérian. Il faut vraiment que je l’aide à trouver le titre d’une chanson qui commence par L… Je lui souffle alors “Laisse-moi t’aimer” de Mike Brant. Et bien sûr, il ne connaît pas. Tout le monde devrait connaître cette chanson !!! Quelle honte ! Je me retourne vers Albane et je lui demande :
- Albane, j’ai une question pour vous qui êtes un peu plus jeune que moi. Vous connaissez Mike Brant ? Et sa chanson “Laisse-moi t’aimer” ?
- Évidemment que je connais cette chanson, dit-elle en souriant. C’est même la première chanson que j’ai chantée en Karaoké, en vacances au camping, je devais avoir seize ou dix-sept ans. Pourquoi ?
- Si vous perdez, il faudra la rechanter ici pour nous alors !
Et je commence à fredonner en plongeant mon regard dans le sien : “Laisse-moi t’aimer, toute une nuit…”
- Vous avez mis quoi comme chanson qui commence par N ? J’espère que vous en avez une, Albane. Sinon, il y aura un gage !
Ce cours va déraper, je le sens. Je ne sais pas ce qui me prend, mais j’ai envie d’oublier mon quotidien pas toujours gai et de profiter de ce moment un peu à l’écart du temps. Et je me tourne donc à nouveau vers la jolie éducatrice qui est censée animer pour voir ce qu’elle va me répondre.
- Un truc de votre génération, Monsieur Perret. Du Jacques Brel… Ne me quitte pas, termine-t-elle en chantonnant le titre.
Je suis touché. A la fois par son commentaire sur mon âge. Mais aussi par le fait que je ne vais pas pouvoir lui mettre de gage. Je n’ai même pas dix ans de plus qu’elle, au maximum, pas de quoi parler de ma génération.
- Vous me prenez donc par un ancêtre parce que j’ai cité une chanson de Mike Brant ? Ce n’est pas très gentil. Ça me donnerait presque envie de ne pas vous écouter et vous quitter tout de suite ! En tous cas, je suis déçu, je ne pourrai pas vous donner de gage tout de suite…
Albane fait la moue avant qu’un sourire en coin ne se dessine sur ses jolies lèvres pulpeuses. Je sens que la réplique qui suit promet, et j’aime particulièrement ces moments de complicité, même si la réalité est souvent la suivante : elle me chambre, cette flicaille.
- Voilà, c’est fini, on va pas s’dire au r’voir comme sur le quai d’une gare, chantonne-t-elle, ses yeux rivés aux miens.
- Du Jean-Louis Aubert ! Vous avez bon goût, Albane !
En prononçant ces paroles, je ne peux à nouveau contrôler mes pensées qui s’évadent et qui me font donner un autre sens à ce que je viens de dire, car je ne peux m’empêcher de me demander quel goût ont ses magnifiques lèvres.
- En tous cas, vu que vous m’avez traité de vieux, je n’ai qu’une chose à vous dire : “Tout, tout, tout est fini entre nous”.
Je ne peux m’empêcher de prendre la voix de Lara Fabian et de chantonner ma réplique, en la regardant sourire de plus en plus et éclater de rire quand elle m’entend. Les autres nous regardent, amusés. J’ai l’impression que tout le monde apprécie ces moments simples et naturels… Et nos talents de chanteurs ! Je me demande d’ailleurs ce qu’elle aura à répondre à ma dernière réplique…
- Joli, Monsieur Perret, belle répartie. On pourrait s’arrêter là, qu’en pensez-vous ? J’ai hâte de savoir si j’aurais droit à mon bisou. Je comptais vous chanter “Avec le temps va, tout s’en va” mais nous allons tous finir par pleurer, les chansons deviennent trop tristes, là…
Je souris à ses paroles. Je l’avais presque oublié ce bisou, tout à mon envie de l’impressionner et ne pas passer pour un imbécile en ne trouvant pas de chanson pour lui répondre. Mais, c’est bien la quatrième fois qu’elle le demande, ce bisou. Je la dévisage un moment pour essayer de voir ce qu’elle a en tête, mais elle est en pleine discussion avec Asma et Irina. Je me lève et j’essaie de me reconcentrer sur le cours.
- Albane a raison ! Voyons voir ce que vous avez réussi à trouver avec les lettres du mot Noël. Et on décidera ensemble si elle mérite ou pas son bisou, notre éducatrice !
Je donne ensuite la parole à chacun, à tour de rôle pour qu’ils puissent dire tout ce qu’ils ont noté. Je suis agréablement surpris de voir l’étendue du vocabulaire qu’ils ont déjà tous emmagasiné. Certains ont énormément progressé alors qu’on n’a dû faire ensemble que quatre ou cinq séances. Et, le plus drôle, c’est que tout le monde semble être rentré dans notre jeu et chantonne un peu la chanson qu’il a trouvée. Bon, certains ont juste copié les chansons que l’on a données, Albane et moi, mais je me garde bien de leur enlever des points, au risque de me priver d’un bisou qui me fait de plus en plus envie. Noël approche et il faut bien que je me fasse un petit cadeau. Ou que j’en fasse un à Albane. Qui sait ? Elle aime peut-être les bisous barbus !
- Bravo à tous ! On arrive à un total de 87 sur 100 possibles ! Je crois que c’est un beau succès ! Et vous savez ce que ça veut dire ?
- Baise là ! crie à nouveau Irina, hilare.
Tout le monde éclate de rire. Je me joins à tous quand tout à coup la porte s’ouvre avec fracas.
- Qu’est ce que c’est que ce bordel ici ? On vous entend rigoler et crier depuis le bureau du bas ! C’est un cours de français ou bien c’est la foire ? Vous profitez qu’Albane vous ait laissés seuls pour faire n’importe quoi ? Encore un coup de ta part, Julien ?
Une fois encore, ce crétin de Jordan débarque pendant un de nos cours. Et une fois encore, il me manque de respect. Jamais je ne l’ai autorisé à me tutoyer. Jamais je ne lui ai permis de m’appeler par mon prénom. Et je sens mon sang bouillir quand il dit que c’est la foire. Il ne voit pas qu’on passe du bon temps ? Qu’on oublie notre quotidien en pensant à autre chose ? Je repousse ma chaise qui tombe par terre violemment et je me lève d’un bond quand Albane intervient.
- En fait, je suis là, Jordan, dit-elle en contournant sa table pour approcher de son collègue en se mettant, volontairement ou non, entre lui et moi. Et je riais moi aussi. Tu devrais essayer parfois, je te jure que c’est sympa. Ça te changerait, et ça nous éviterait une nouvelle crise désagréable qui plombe l’ambiance.
- Oh, désolé, j’avais pas vu que tu étais là… répond-il un peu gêné certainement de s’être emporté comme ça devant une collègue.
Je vois Albane fièrement dressée devant lui. J’ai l’impression d’avoir devant moi un chevalier ou une super héroïne qui se dresse devant l’injustice. De la voir se mettre ainsi en avant et prendre notre défense, je sens ma colère diminuer. Je ramasse ma chaise et me rassois, sans quitter les deux éducateurs des yeux. J’ai l’impression que leur confrontation n’est pas très professionnelle, mais ils n’ont pas l’air de s’en inquiéter. C’est comme si Albane voulait, une fois pour toutes, lui faire comprendre qu’il n’avait rien à faire dans ce cours où, à chaque fois qu’il intervient, ça finit en dispute. Mais cette fois-ci, ce n’est pas avec moi. Je ne vais pas me faire avoir une nouvelle fois par cet imbécile irrespectueux !
- En tous cas, il est tard et le cours devrait déjà être fini, Albane. Tu devrais te dépêcher, le repas va bientôt commencer au réfectoire et on a besoin de toi là-bas ce soir. Alors, arrête de t’amuser et viens un peu bosser. On est payés pour ça, quand même.
- Je te demande pardon ? dit-elle, clairement incrédule avant de lâcher un rire qui n’a rien de joyeux. Attends… Tu es en train de me reprocher de ne pas bosser, là ? Où étais-tu, toi, pour nous entendre ? Je ne pense pas que ce soit au réfectoire, en train de faire ce pour quoi tu es payé. Glander derrière un bureau et rabaisser nos résidents n’est pas ce pour quoi tu es payé, je te signale. Et d’où tu te permets de me dire ce que j’ai à faire, tu es mon chef ? Je dois te rendre des comptes ? Elle est bien bonne celle-là ! Commence par faire ton boulot correctement et peut-être alors que tu pourras te permettre de critiquer le mien.
Je jubile de la voir se rebeller comme ça. Elle est en train de lui rabaisser son caquet à cet abruti. Elle est belle quand elle se rebiffe de la sorte. Ça fait plaisir à voir. Et je ne suis pas le seul à apprécier, à voir les mines réjouies des participants au cours qui baissent les yeux dès que Jordan les regarde, mais sourient en douce de le voir se prendre une soufflante par une Albane plus déchaînée que jamais. En tous cas, Jordan 0, Albane 2. J’attends avec impatience l’arrivée du coup final qui le mettra à terre.
- Albane, calme-toi… Ce n’est pas très professionnel de t’énerver comme ça sur un collègue devant les résidents….
Oh le con ! Il ose tout !!! Je sens qu’Albane va repartir au quart de tour et lui balancer une chaise dans la tête à ma place. Je vois la furie sur son visage et je ne peux m’empêcher de la trouver, à cet instant, encore plus belle et formidable.
- Parce que tu connais la signification de ce mot, toi, peut-être ? Entrer dans cette pièce en vociférant comme un bœuf et t’en prendre, encore, à Monsieur Perret sans preuve aucune, c’est professionnel, ça ? Sors d’ici, et si tu as un problème avec ma façon de te parler, on bosse ensemble demain, on ira voir Nicolas et on en discutera avec lui.
Je me décide alors à intervenir pour calmer les choses. Je ne voudrais pas que, à cause de moi, Albane ait des problèmes avec sa hiérarchie. Je pense que Nicolas est intelligent, mais qui sait ce que ce trouble de Jordan pourrait inventer. Je m’approche derrière Albane et je pose mes mains sur ses épaules pour la calmer. Je fais un signe à mes camarades du cours et je dis, du même ton calme et tranquillisant que j'utilise quand je parle à mes enfants qui se disputent :
- Ça va aller Albane. On va vous laisser pour ne pas envenimer les choses. Merci d’être intervenue, mais Jordan a raison. Le cours est fini et vous avez d’autres choses à faire. On va vous laisser régler ça avec lui sans que nous soyons dans vos pattes.
Et profitant de la proximité qu’il y a entre nous et du bruit des chaises qui bougent, je me penche un peu plus vers elle pendant que tout le monde se lève et je lui murmure à l’oreille, mon souffle chaud sur son cou :
- Et pour le bisou, vous pouvez passer le prendre à la fin de votre service. Je tiens toujours mes promesses.
Je lui lâche alors les épaules et sors, un sourire aux lèvres, sans un regard pour Jordan qui nous observe tous partir. Je pense qu’il a compris la leçon lui aussi, aujourd’hui, et qu’on n’est pas près de le voir revenir débouler et nous menacer pendant le cours de français. Il a perdu la partie et il le sait comme nous tous. Que c’est bon d’avoir quelqu’un qui se bat pour nous !
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