68. Esclandre au CHRS
Julien
Je la serre contre moi, à l’entrée du CHRS. Elle est en pleurs, toute tremblante et elle ne parvient pas à se calmer. J’essaie de la réconforter comme je peux, inquiet de savoir comment elle va. Je n’en reviens pas de ce qui vient de se passer d’ailleurs. Alors que j’allais repartir pour aller travailler, j’ai vu cet homme attraper Albane et la tirer à lui. J’ai pas eu le temps de réagir qu’il lui a mis un coup. Et le pire, c’est qu’elle n’a pas réagi plus que ça ! Et dire que moi, à mon arrivée, j’ai un peu râlé et elle s’est transformée en furie ! Là, c’est comme si toute sa volonté était annihilée…
- Tu n’aurais jamais dû le frapper… Il est capable de tout, finit-elle par me dire, entre deux sanglots.
- Personne n’a le droit de te toucher ! D’ailleurs, c’est qui ce type ? C’est lui ? C’est ton mari ?
Elle acquiesce, et moi j’encaisse. Ce con est l’homme qui est la cause de tous les soucis d’Albane. Et en plus je l’ai frappé sans savoir que c’était lui. J’ai presque envie de ressortir et d’aller lui en remettre une pour l’ensemble de son œuvre, mais il faut d’abord que je m’assure que tout va bien pour ma belle éducatrice toujours en pleurs. J‘essuie ses larmes avec mes doigts et reviens un peu dans la réalité. Je m’écarte à regret d’elle.
- Albane, je crois que tes collègues t’ont vue dans mes bras… Je suis désolé.
- Tu crois ? soupire-t-elle en essuyant ses joues. Je… Tu viens de me défendre, j’ai craqué, c’était pas professionnel mais défendable…
- Ouais, on verra… Mais là, il faut que tu ailles porter plainte. En tous cas, je suis sûr que Nicolas nous a vus. Il vient juste de refermer la porte de son bureau et il n’a rien dit. Ce n’est pas bon signe.
Albane se laisse tomber sur le banc derrière elle et se prend la tête dans les mains. C’est comme si tout le malheur du monde lui tombait sur les épaules, à cet instant, et ça me peine de la voir ainsi.
- Il débarque et va foutre toute ma vie en l’air…
- Albane, il n’a pas ce pouvoir, ce type. On est dans un pays de droit. Va porter plainte contre lui. Tu sais, on n’est plus dans les années soixante. C’est la génération #Metoo !
J’essaie de la réconforter par mes mots quand tout à coup, la porte s’ouvre et j’entends un cri de satisfaction. Cet abruti se précipite vers nous et, sans un regard vers moi, se penche sur Albane. Il pose ses mains sur ses épaules et colle son front contre le sien dans une attitude à la fois menaçante et possessive.
- Albane ! Tu ne peux pas t’enfuir ! lui glisse-t-il tout bas. Si tu ne viens pas tout de suite, je fais un esclandre et tu vas perdre ton boulot.
- Mais vas-y, rétorque Albane en le repoussant pour se lever. Vas-y, fais ton scandale. Tu pourras tout tenter, m’en faire voir de toutes les couleurs, me frapper encore, que ça ne changera rien au fait que je ne reviendrai jamais avec toi ! Tu m’entends ? JAMAIS !!!
Je suis aussi surpris que lui du mouvement d’humeur d’Albane et de sa colère. Je le vois qui lève le bras, mais je le retiens.
- Me parle pas comme ça, Salope. Je vais te briser. Jamais tu t’en sortiras. Et toi, lâche moi !
- Tu m’as déjà brisée, et ça n’est pas près d’arriver encore une fois. Fous-moi la paix ! Vis ta vie, mais plus jamais je ne tomberai dans tes filets. T’es un malade, Jonathan !
J’aperçois du coin de l’œil Jordan et Nicolas qui rappliquent. Il y a aussi quelques gars du CHRS qui sont là.
- Il se passe quoi ici ? demande un Nicolas déterminé. Albane, ça va ? Tu as besoin d’aide ? C’est Julien qui t’embête ?
Je lui jette un regard furieux et lâche le mari d’Albane qui a l’air de s’être calmé maintenant qu’il y a plein de monde autour de nous.
- Si j’avais pas été là, ce porc aurait frappé Albane. J’ai rien fait d’autre moi. Et toi, mon salaud, tu lèves plus la main sur elle, sinon je t’étripe et je te pends avec tes intestins au plafond. Tu m’as compris ?
- Toi, tu vas finir en prison avec tes menaces et tes coups. Je te le promets. C’est pas parce que tu baises ma femme que ça te donne tous les droits. Espèce d’enc…
- Monsieur, calmez vous ! Julien, laisse nous gérer l’histoire. Albane, il se passe quoi ici ?
NIcolas est furieux, mais lui et Jordan sont maintenant entre Albane et son mari. Je décide de me reculer un peu, je me suis déjà assez mis en avant. Et j’espère que Nicolas et Jordan ne vont pas prendre au sérieux les accusations de ce fou.
- Je… Heu, bafouille Albane avant de soupirer. Je suis en instance de divorce et… C’est mon… Enfin voilà quoi. Va-t’en Jonathan, je t’en prie, tu t’es suffisamment ridiculisé comme ça…
- On n’est pas en instance de divorce. Tu es ma femme et tu vas venir avec moi. On reste pas dans cette maison pourrie un instant de plus. Alors, tu te bouges et tu viens avec moi, sinon, ça ira mal pour toi…
- Monsieur, ça suffit. Soit vous sortez, soit je vous mets dehors.
- T’es qui toi pour me parler comme ça ? Encore un autre qui baise avec ma femme ? T’as rien à dire et je bouge pas d’ici sans elle.
Nicolas fait alors un geste à Jordan qui se rapproche du mari d’Albane. Pour une fois, je suis content de voir qu’il va utiliser ses muscles pour intervenir.
- Monsieur, je vais vous demander de sortir, ou c’est moi qui vais le faire. Et je peux vous dire que vous ne faites pas le poids.
J’observe la scène et je vois Jordan et le mari d’Albane se défier du regard. Je me rapproche de lui et Nicolas fait de même. Nous voilà à trois pour affronter ce mec qui me révulse et que j’ai envie de tabasser jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il réalise qu’il n’est pas en position de force, mais ce type a quand même du culot. Il me dévisage un peu plus longtemps que les deux autres et s’adresse à moi, me pointant d’un doigt accusateur.
- En fait, c’est toi qu’elle baise. Tu couches avec elle depuis quand ? Je te jure que je vais la récupérer. Elle n’est pas à toi, Albane. Elle m’appartient. Pour toujours. Et vous, éducateurs de merde, je vous jure que je vais tout faire pour faire fermer votre centre de merde. J’espère que vous êtes à jour sur les réglementations incendie et sur vos comptes. Je vais trouver de quoi vous faire couler.
Jordan ne patiente plus et attrape le gars en dessous des bras. Nicolas fait de même et ils le sortent à deux pendant que je les regarde, un peu chamboulé par l’accusation qu’il vient de porter contre moi devant tout le monde. Je me tourne vers Albane que je vois en pleurs. J’ai envie de la prendre dans mes bras, mais je me retiens. On est déjà assez dans la merde et il faudrait pas que j’en rajoute.
Nicolas revient alors, furieux et nous lance :
- Albane, Julien, dans mon bureau. Il faut qu’on parle !
- Donne-moi deux minutes, s’il te plaît, Nicolas… Je… J’ai juste besoin de deux minutes…
Je regarde Albane se précipiter vers les toilettes au fond du couloir et je me demande si je l’attends pour aller dans le bureau de Nicolas ou si je dois y aller tout de suite. Jordan se rapproche de moi et me lance :
- Pourquoi il dit que tu baises Albane ?
- Je ne sais pas, moi. Il a aussi dit que Nicolas la baisait. Il doit être jaloux de tous les mecs qui l’approchent. Etonnant qu’il n’ait rien dit sur vous, Jordan. Il a dû tout de suite voir que vous n’étiez pas son style !
- Tu perds rien pour attendre. J’ai dit à Nicolas que tu avais pris Albane dans tes bras…
- Et moi, je vais lui dire que vous ne savez toujours pas respecter les résidents en les vouvoyant…
Je suis tellement énervé que je me moque de la réaction de Jordan. Je lui tourne le dos et le laisse rentrer dans son bureau. Puis, sans attendre le retour d’Albane qui est toujours dans les toilettes, je vais au bureau de Nicolas. J’hésite deux secondes puis je frappe.
- Entrez.
Le ton est sec et martial. Je sens que cet entretien ne va pas être une partie de plaisir. Je me demande ce qu’il sait, surtout. Si ce n’est que l’étreinte du jour, ça devrait passer. Ça peut s’expliquer. S’il a d’autres choses en tête, ça risque de chauffer… Et si Albane perdait son travail à cause de lui ? Est ce qu’elle ne serait pas obligée de retourner vivre avec son mari ?
J’entre alors et je vois Nicolas assis derrière son bureau. Tendu. Nerveux. Le regard fuyant. Il ne me regarde pas mais me fait un signe de tête pour m’indiquer de m’asseoir.
- Tu es seul ? Albane n’est pas avec toi ?
- Elle est toujours aux toilettes et si j’étais resté un peu plus, j’aurais étripé ton éduc…
- Il t’a bien aidé, mon éduc, quand même. Sans lui, l’autre te défonçait…
Je préfère ne pas répondre. Je reste silencieux en attendant qu’Albane arrive. Je me demande vraiment ce qu’il va nous dire. Et je ne peux m’empêcher de penser à Albane qui, j’en suis sûr, tente de se reprendre alors qu’elle vient de vivre le moment qu’elle redoutait tant, pour en vivre sans doute un autre, qu’elle redoute également. Et puis, qu’est-ce qui se serait passé si je n’avais pas été là ? Est-ce qu’elle serait partie avec lui ? Est-ce qu’elle aurait été capable de se rebeller comme elle l’a fait il y a quelques minutes ? Parce qu’elle semblait vraiment avoir perdu tous ses moyens, sur le trottoir, face à cet enfoiré. Et si elle était partie, est-ce que ça aurait été la fin de notre histoire ? J’ai l’impression que le Destin a joué en notre faveur. C’est le moment où l’on joue carte sur table. Le moment où il va falloir sortir tous les atouts que l’on a dans nos manches. Il y avait un moment que je ne l’avais pas invoquée, mais je prie à cet instant pour que la chance reste de notre côté…
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